Dans Athènes des vieux quartiers, les chanteurs de la dernière chance nous offrent encore des moments inoubliables. Car voilà ; contre vents et marées, notre musique populaire des années 1930 à 1970 n’est pas morte. Les Grecs chantent, les touristes apprécient, et pour chaque consommation, le prix est majoré de deux euros, car nos artistes ont d’abord besoin de subsister. Septembre plutôt mélancolique, quand la pluie est parfois de retour et que les Grecs, se tournent massivement vers le bois pour se chauffer.
Temps plutôt mélancolique. Poros, septembre 2022 |
Le Régime, tourne aussi pleinement. Mitsotákis, la marionnette aux affaires, déclare à Bloomberg “que nous menons une guerre contre la Russie” ; sauf que majoritairement les Grecs rejettent cette position tandis que le “Parlement”, ou ce qui s’y colle de la sorte à travers la mascarade représentative d’Athènes, n’ose toujours pas déclarer... la guerre à Moscou.
Cette dernière pente grecque est glissante, nous glissons d’ailleurs déjà depuis un bon moment. Vu et vécu de l’intérieur, cet ultime pourrissement de l’Occident dépasserait alors largement celui de l’Empire romain durant l’Antiquité, celle que l’on dit souvent Tardive. On aperçoit l’arbre et l’on perd la forêt. Parfois il faut dire, au sens propre. Dans Athènes du moment, certains jeunes manifestent pour défendre “leur” place devant la construction d’une nouvelle station de métro, tandis que nos musées nationaux sont en ce moment bradés en douce par le Régime et ceci dans l’indifférence totale.
Musées nationaux bradés. Athènes, septembre 2022 |
L’Hybris décidément, ça court les rues. Même les journalistes parmi les mieux connus... chez les établis des tabliers et assimilés, finissent par dénoncer cette vertigineuse chute vers l’abime.
“La société grecque, son personnel politique, tout comme son showbiz du plus bas niveau, vivent dans leur propre monde. Entre tragédie et comédie. Entre destruction et indifférence. Entre l’État et le para-État. Et il y a ce sentiment de destin collectif, qu'on est tous embarqués à bord du même navire et qu'on n'a pas le droit de le diriger une deuxième fois en une décennie sur l'iceberg, sauf que l'horizon s'est... définitivement assombri et ce n'est plus le temps pour de nouvelles rigolades. Cependant et malheureusement, c’est plutôt le contraire qui se produit”.
“L'intérieur du pays est caractérisé par les conséquences d'une guerre civile quotidienne non déclarée entre hommes d'affaires et politiciens d'une même faction, lequels règlent leurs comptes à coups francs, sans se soucier du tout de ce qui se passe aux frontières. Cet intérieur du pays est caractérisé par des pratiques mafieuses en spirale, que même les élus du Parlement national adoptent soit de leur propre gré, soit en tant qu'instruments dociles de tiers”.
“Des pratiques, qui visent à ne jamais dévoiler leurs crimes en cours, quand les cortèges des officiels violent brutalement la Constitution et la loi pour la plupart, et cela de manière continue. À l'intérieur du pays, les couches inférieures de la société encouragées par... les couches supérieures, sont plongées dans la transgression et se nourrissent de la corruption. La drogue, la prostitution à peine voilée des nantis, la violence, la délinquance, l'argent facile détaxé sont désormais la norme. La Grèce est une Ukraine qui se prend pour l'Italie”.
Georges Séféris, poète et diplomate, 1900-1971 |
Du moins, comme l’écrivait jadis le poète Yórgos Séféris: “J’ai maintenu ma vie, en chuchotant dans l’infini silence”, ce maintient de la vie poetique n’est plus vraiment possible. Nous passons désormais à côté de l’essentiel, y compris dans le travail mémoriel. Ainsi, pour les 51 ans de la mort du poète et diplomate, rares ont été les médias qui en Grèce s’en sont souvenus. Le diplomate notons-le, ayant fait sonner comme il l’avait pu, la grande alarme, sur Chypre, sur la Grèce et en réalité, sur le bien vaste sujet de notre piètre humanité.
Il s’est éteint déjà gravement malade, hospitalisé en juillet 1971 au grand hôpital public d’Athènes Evangelismós pour être opéré du duodénum. Et il meurt de complications post-opératoires le 20 septembre de la même année.
Ces immeubles des années 1970. Athènes, septembre 2022 |
Signe des temps, ces immeubles construits en cette époque des années 1970 pour loger la classe moyenne alors montante, elle qui fut si souvent critiquée par le poète, sont parfois en ce moment vidés de leurs occupants, car acquis par les funds à la Soros. Ces derniers les transforment... en foyers pour migrants ou en “paradis” de l’Airbnb ; à peu de choses près, cela revient pratiquement au même.
C’est ainsi qu’à Athènes, on y vend certes toujours de la pacotille pour touristes, lesquels ne l’achètent pas vraiment, tandis que dans ce qui en reste des quartiers aisés, on y découvre ces anglophiles patentés, qui se distinguent par exemple à l’occasion de la mort de leur reine-guêpe à Londres.
Et le mal progresse. On se souviendra que pendant la dictature des colonels, Séféris rompt son silence le 28 mars 1969 dans sa célèbre déclaration à la radio de la BBC, quand il a déclaré que la junte était un désastre pour le pays. Il considérait que la langue comme le pays entier, était bâillonné, aussi, écrivait-il, il avait cessé de publier. Ses propos ont fonctionné comme un appel et un signal. La junte des colonels, visiblement bouleversée par cette évolution, va saisir le titre d'ambassadeur d'honneur de Séféris et le droit d'utiliser son passeport diplomatique.
Pacotille pour touristes. Athènes, septembre 2022 |
“Tout le monde a déjà appris et sait que dans les dictatures, le début peut sembler facile, mais la tragédie attend inévitablement la fin. Le drame de cette fin nous tourmente, consciemment ou inconsciemment comme dans les anciennes paroles d'Eschyle. Plus l'anomalie persiste, plus le mal progresse”.
Et dans sa jeunesse, Séféris avait déjà évoqué à juste titre... un certain malentendu grec, une situation qui n’est pas sans lien avec son ultime avertissement. C’était l’époque où le jeune diplomate accompagnait culturellement les hommes politiques étrangers en visite en Grèce. Ainsi à ce propos et pour ce qui est du voyage par exemple d’Édouard Herriot, figure de la IIIe République en Grèce, Denis Kohler dans son livre “Georges Séféris qui êtes-vous?” précise alors le contexte du fameux “malentendu grec”.
“Août 1929. Le ténor du radicalisme français, le parangon de la République des professeurs, Édouard Herriot, effectue en Grèce un voyage semi-officiel, qu’il prolonge à titre privé pour visiter les sites archéologiques. Venizélos, un ami de longue date, est alors Premier ministre, pour l’ultime fois de sa longue carrière politique, et c’est tout naturellement qu’il propose à Herriot pour le guider durant ce voyage un jeune et brillant diplomate, Georges Seferiádis, dont le père était lui-même l’un de ses partisans de la première heure”.
“Or, voici qu’à l’étape d’Olympie, Séféris - il allait adopter ce nom de plume moins de deux ans plus tard - montre à Herriot, à côté de l’atelier de Phidias, les restes d’une basilique paléochrétienne ainsi que des vestiges byzantins. Et c’est alors que le futur chantre de Mme Récamier laisse échapper: ‘A vrai dire, mon jeune ami, tout ce qui est postérieur au IIIe siècle avant J.-C. ne m’intéresse pas.’ Cette gaffe magistrale aura sur Séféris et l’esprit de sa poésie des conséquences si importantes qu’il nous faudra y revenir au moment opportun”.
Anglophiles patentés. Athènes, septembre 2022 |
“Notons seulement l’effet immédiat sur le jeune Grec de cet aveu inconsciemment borné: ‘J’ai éprouvé, à l’entendre, une étrange et froide sensation, comme s’il avait éteint tout à coup les lumières sur une énorme superficie de deux mille cinq cent et quelques dizaines années et que je me débattais désespérément dans cette mare ténébreuse et sans bornes.’ Impression ‘à chaud’ que Séféris analysera plus tard en affirmant, en opposition totale à la Grèce d’Herriot”.
“À ce symptôme, d’ordre intellectuel avant tout, Séféris a pu, hélas, ajouter les manifestations dérisoires et non dépourvues de racisme de la ‘touristocratie’, le mot est de lui. Pourquoi Hergé fit-il Rastapopoulos un Grec? Pourquoi devons-nous subir ce que, à la suite du calamiteux prototype, nous pourrions appeler les ‘Zorbádes’, ce farrago de poncifs à l’image des restaurants ‘typiques’ de la rue de Huchette ? Tant de méconnaissance, tant de mépris condescendant pour la Grèce pourraient se résumer à la vieille question des Lettres persanes: ‘Comment peut-on être Grec ?’ Et les Grecs eux-mêmes, avouons-le, ont longtemps renoncé à contester cette image faussée”.
“Et Séféris d’ajouter cette phrase chargée de tristesse: ‘Tant nous avions perdu l’habitude d’être compris.’ Il est vrai qu’aujourd’hui encore, l’étranger le plus proche du grec et des Grecs peut percevoir chez son interlocuteur une sorte d’à quoi bon, l’impression de parler à fond perdu comme si jamais ne devait disparaître ‘cette angoisse chaque jour renouvelée d’avoir à justifier notre existence à la face de Dieu”, écrit alors Denis Kohler dans son livre.
Investir... en Khazarie. Internet belge, septembre 2022 |
Depuis, la boucle est si bouclée en... notre Occident. Hergé fit-il Rastapopoulos un Grec, puis l’Occident OTANesque a diabolisé les Russes car il pense pouvoir les génocider comme tant d’autres peuples par le passé. En Belgique, des publicités numériques... incitent à investir en cette Ukraine Khazare de Zelensky tout comme de Victoria Nuland, bande de criminels sous le contrôle des Straussiens. Pendant qu’à Athènes, le Régime organise évènement après évènement métaculturel, et c’est la fin de leur monde déguisée en départ, ou plutôt en Reset. Il fallait aussi y penser.
En somme, plus l'anomalie occidentaliste, entre autres celle des Straussiens persiste, plus le mal ira jusqu’à son bouquet final. D’où d’ailleurs cet écrémage plutôt nécessaire contre ce même mal qui s’opère en ce moment en Russie, et dont Laurence est le témoin direct depuis Pereslavl et ses chroniques émouvantes.
“Qu'on le veuille ou non, nous serons tous entraînés plus ou moins dans ce maelstrom, et les jeunes niais qui vont chercher asile en Occident, où tout cela s'est préparé pendant des années, avec leur complicité enthousiaste et aveugle, ne seront pas plus à l'abri là-bas qu'ici, peut-être même moins. - Il se produit un partage, un tri, me dit Génia, ceux qui veulent partir, eh bien qu'ils partent.- Ce qu'il dit là traduit l'opinion de ceux qui restent et ajoutent parfois: -Mais surtout, qu'ils ne reviennent pas!- Génia observe que ses amis libéraux, qui le rejettent, sombrent dans une absurdité délirante et hystérique. Exactement comme leurs équivalents français qui perdent complètement le sens des réalités”.
Évènement après évènement métaculturel. Athènes, septembre 2022 |
Pour Laurence il n’y a guère de doute. C’est “la fuite des éléments les plus faibles et les plus aveuglés vers l'origine de leur faiblesse et de leur aveuglement est sans doute le signe. Il se peut que la Russie, c'est-à-dire ce qui restera après le départ de l'anti Russie, livre son dernier combat, au moins périra-t-elle debout, et nous avec. Il se peut que la Russie devienne la dernière arche et le camp des saints. Ou bien un empire eurasiatique qui largue les amarres et appareille, en ce moment. Au moins ne suis-je pas sous la coupe de ceux qui ont détruit tant de pays et leurs peuples, avant de s'attaquer aux derniers qui leur résistent encore”.
La tragédie attend inévitablement la fin, sauf que sous les satyres et leurs marionnettes, tout devient satyrique. Notre ami paysant du Péloponnèse bien d’ici, est convaincu de l’avènement du chaos liée à l’hybridation finale.
Nos pois chiches et notre café froid. Athènes, septembre 2022 |
“Le démantèlement mental en Occident ne semble plus permettre les révoltes et encore moins les récoltes... mais je peux aussi me tromper. 20% parmi les gens pourraient du jour au lendemain se transformer en... exécuteurs des... exécutants si le vent tourne, et cela devient parfois possible comme par hasard en temp de guerre. Si nous sommes encore vivants”.
La dernière pente... globale est bien glissante, et nous glissons déjà depuis un bon moment. En attendant le général Hiver sous l’univers concentrationnaire européiste et OTANesque d’Ursula, on peut encore déguster nos pois chiches et notre café froid... ceci à certains ultimes moments, déjà d’exception.
Devant toute cette piètre humanité... en face, notre Volodia attend lui aussi l’hiver, ou peut-être qu’il le prépare à sa manière, quand la pluie et la neige seront de retour.
Notre Volodia attend l’hiver. Péloponnèse, septembre 2022 |
* Photo de couverture: Musique de la dernière chance. Athènes, septembre 2022