Greek Crisis

samedi 11 septembre 2021

Le Bataillon des va-nu-pieds



Nuages devant. Le blog tourne au ralenti, mais seulement en apparence. C’est alors fatal; tout laisse croire que la vie palpable et son alter ego la mort auront même sous peu, la peau d’un certain numérique. Mise à mort creusée des sociétés, des idées, des cultures, comme des peuples. Supposons bien entendu que la procédure des initiés ira jusqu’au bout. Une fois le téléchargement terminé... il ne restera que le vide de la glaciation, pour ne pas dire celui de l’extermination, encore possiblement lente. Courage ainsi aux Résistants et futurs rescapés du dernier monde rural. Nous n’avons pourtant pas dit notre dernier mot.

La traditionnelle soupe aux tripes. Thessalie, septembre 2021

En ce septembre 2021, les nuages de saison descendent déjà bien bas, c’était prévu. Les ruraux de la Thessalie et de la Macédoine, ces Grecs enfin loin d’Athènes, se préparent pour l’hiver. Depuis leurs montagnes et leurs forêts c’est le grand moment du bois de chauffage ainsi que celui de la préparation des bêtes.

Aux petits restaurants spécialisés du coin, on déguste dès six heures du matin la traditionnelle soupe aux tripes, que l’on savoure il faut dire avec tant de satisfaction. Car sinon, il va falloir se dépêcher, vu qu’à partir du lundi 13 septembre, le Régime interdira aux sujets non-vaccinés l’accès des cafés et restaurants en intérieur. Vive... les tripes libres!

Puis, il y a eu la mort de Míkis Theodorákis. La Grèce a perdu son deuxième grand compositeur du siècle passé, après Mános Hadjidákis. Ils étaient nés tous les deux en 1925, sauf que Hadjidákis a quitté ce bas monde dès 1994. Pressé... d’en finir.

Theodorákis quant à lui, il a fini par incarner tout un mythe ; d’abord politique et premièrement de la gauche. Enfant du système en dépit des apparences et des moments de sa vraie Résistance, il a été donc enterré avec tous les hommages... par l’ensemble de la nébuleuse des politiciens du pays.

Míkis Theodorákis, 1925-2021

Tous ces assassins hystériques et historiques ont rendu leur hommage à Theodorákis; à Athènes d’abord, puis en Crète, lors des obsèques. Dans les deux cas, présent sur place, Mitsotákis a été hué. Très énervé, il s’est même plaint auprès du chef du PC grec Koutsoúmbas. “C’est toi qui as emmené tout ce monde devant l’église pour hurler de la sorte?” Et la réponse. “Ce n’est pas de ma faute si le peuple est en train d’insulter”. Et toute la Grèce a enfin un peu rigolé.

Dans le même ordre du bas monde, plus tout à fait nouveau, les téléspectateurs assidus ont remarqué que le sociopathe Mitsotákis se tenait assis les jambes croisées devant le mort de Míkis Theodorákis. Naturellement, il était bien le seul à montrer à la fois tant de signes de défense et ainsi d’irrespect. Cette position est d’ailleurs interdite par le... lointain protocole à la Cour d’Angleterre. Tout de même! C’est vrai que le grand compositeur nous a fait rêver, espérer, pleurer et même rire. D’ailleurs, au beau milieu de l’hybris qui caractérise les médias actuels, ce n’est qu’à la suite de l’annonce de son décès, que nous avons enfin pu réentendre depuis les ondes de la vraie musique, la sienne ; en lieu et place des toxines habituelles que le système diffuse sans cesse pour mieux nécroser les derniers neurones chez ses sujets. Car cela fait près de trente ans que plus aucun grand média au pays ne diffuse de la vraie musique, grecque ou internationale aux heures comme on dit de grande écoute.

Nous ne pouvons par exemple guère oublier la sublime musique que Míkis Theodorákis avait composé pour ce chef d’œuvre du cinéma gréco-américain, “Le Bataillon des va-nu-pieds” ; film réalisé par Gregg Tallas sorti en 1954, que nous présentons à l’occasion sous-titré en anglais.

L’histoire se déroule à Thessalonique, pendant l'occupation allemande, quand une bande de 160 enfants, chassés de leur orphelinat par l'occupant, dévalisent les profiteurs du marché noir et redistribuent la nourriture à la population qui meurt de faim.

Le Bataillon des va-nu-pieds. Film de 1953

Le scenario n’est d’ailleurs pas du tout fantaisiste car l’histoire reconstituée est vraie. “Le Bataillon des va-nu-pieds” était le nom d'un groupe d'environ 160 enfants, adolescents et jeunes garçons, âgés de 6 à 24 ans, qui en avril 1941 ont été expulsés de l'orphelinat Papáfeio de Thessalonique occupée, et peut-être bien d'autres orphelinats, car leurs bâtiments ont été réquisitionnés par les Allemands.

Ces enfants ont été retrouvés dans les rues, agités, en bande organisée, et toujours pieds nus. L'instinct de conservation les fit se regrouper et s'organiser en un gang héroïque ; déjà cet instinct les guidait dans leur vie avec succès, puisqu'ils avaient survécu après de grandes pertes et dans les conditions traumatiques de leur temps.

Leur groupe est un exemple rare d'adaptation et d'auto-organisation des enfants et des adolescents quand la famille manque, mais en même temps, accomplissant un acte de Résistance. D'après les quelques témoignages et rares archives historiques dont nous disposons, nous savons que ces enfants ont trouvé refuge dans les ruines de l'hôpital militaire de la ville dit “le 424” bombardé, et qu'ils ont agi principalement sur les hauteurs de Thessalonique.

Pour beaucoup d'entre eux, la vie de groupe était la seule vie qu’ils n’aient jamais connue. Ils apprenaient les mouvements quotidiens des Allemands pour ensuite sauter sur leurs camions et arracher de la nourriture et du matériel divers. Ils firent de même dans les entrepôts où les marchands collabos cachaient des marchandises... commettant “le délit de vol”, à une époque où la légitimité et les valeurs morales en général avaient pris bien de nouvelles formes et dimensions. Grâce à ces actions, les enfants autonomes mais aussi altruistes, comme d'autres Robins des Bois, ont distribué de leur butin à leurs semblables affamés dans les zones environnantes. Ils ont surtout obstinément combattu la peur et la mort. On dit aussi que certains de ces enfants ont été retrouvés plus tard dans la Résistance organisée. Après la fin de la guerre, beaucoup semblent être retournés à Papáfeio, où ils ont appris divers métiers techniques et chacun a poursuivi sa propre vie. Mais ce qu'on ne dit pas souvent, c'est que parmi eux, d’autres ont été exécutés sur place par les Allemands. Combien alors, nous ne le saurons probablement jamais.

Tourné avec des acteurs amateurs et en décors naturels, avec des dialogues tirés de la vie quotidienne, “Le Bataillon des va-nu-pieds” s'inscrit d’ailleurs dans la vague néoréaliste du cinéma européen, tandis que la musique de Míkis Theodorákis est considérée comme une des meilleures musiques de film, accompagnant l'image et lui donnant une signification plus profonde, celle de l'urgence et de la peur.

Voilà donc pour la musique et pour le cinéma. Sauf que Theodorákis avait été souvent un piètre homme politique... comme finalement tant d’autres. Contrairement à la légendaire constance de Mános Hadjidákis, Míkis avait été autant député du PC, puis, élu et même ministre sous la “gouvernance” de l’Éphialte Konstantínos Mitsotákis dans les années 1990; ce n’est pourtant pas sans importance.

Surtout, il avait activement et au préalable, pris part à la préparation du plan Karamanlís en 1974 ; plus exactement, il avait voyagé... ainsi dépêché par une certaine main invisible aux États-Unis pour y rencontrer les acolytes de Kissinger... pendant que la planification de la CIA et de Londres était à deux doigts du... bouquet final. C’est-à-dire, le plan “Attila” des Turcs à Chypre, approuvé à la fois par Ioannídis, le dernier des dictateurs militaires, que par Karamanlís... le pseudo-sauveur du retour à la “démocratie”.

Bosquet des disparus à Chypre. En Macédoine, septembre 2021

Paysage. Macédoine, septembre 2021

Nuages donc devant. Sauf que la Grèce encore profonde, celle du Nord en tête, n’a pas la mémoire courte comme souvent c’est le cas à Athènes. Ainsi à Vergína, non loin du musée archéologique d'Aigaí, la première capitale du royaume de Macédoine qui baigne aujourd'hui dans une semi-obscurité, bâti à l'intérieur même du tumulus recouvrant les tombes royales, on y découvre également ce bien humble Bosquet, dédié à la mémoire des disparus de Chypre. Ces 1.619 civiles et militaires, Grecs de Grèce et de Chypre, prisonniers que les Turcs n’ont jamais rendu.

Une question avait été posée à leur propos d’ailleurs au dit “Parlement Européen”, c’était en la lointaine année 2006. “Un rapport d'une société américaine d'analyses et d'études stratégiques mentionne que des Chypriotes grecs et des soldats grecs, portés disparus depuis l'invasion de l'armée turque dans le nord de Chypre, en 1974, ont été utilisés comme cobayes dans des laboratoires industriels de l'armée turque au cours des années 1984 à 1988”.

Étant donné que le drame vécu par les familles des personnes disparues dure depuis plus de trois décennies et que la Turquie, qui maintient l'occupation de la partie nord de Chypre, n'a jamais fourni d'informations et de données sur les personnes disparues, le Conseil entend-il prendre les initiatives nécessaires et exiger de la Turquie qu'elle fournisse toutes les informations dont elle dispose sur les personnes disparues, aussi dures que soient ces informations, pour mettre fin à ce drame?

Au musée archéologique. Aigaí, septembre 2021

Quotidien. Macédoine, septembre 2021

C’est alors... tout le sens de la “solution” Karamanlís... qui fut tant celle de Theodorákis. Le grand compositeur a certes par la suite épousé d’autres positions politiques mieux logiques, surtout durant la première période de la Troïka, quand par exemple il initia son mouvement “l’Étincelle”. Loin donc du bavardage de circonstances des politiciens et des journalistes, le véritable rôle politique de Míkis Theodorákis sera, espérons-le, un jour établi, enfin au-delà du mythe.

Et en Macédoine historique et grecque de ce septembre 2021, on a bien mieux compris les enjeux, que dans la partie sud du pays on dirait. Plusieurs manifestations ont ainsi lieu en ce moment à Thessalonique aux slogans... très francs, comme “Mitsotákis salaud”, ou par exemple de la part des supporteurs de l’équipe de PAOK... “Mitsotákis tu te fais baiser”. En pays réel... les mots sont donc des maux.

Paysage. Macédoine, septembre 2021

Sous... les visiteurs, à la taverne. Vergína, septembre 2021

Il faut préciser que Mitsotákis est en ce moment en visite à Thessalonique... pour le discours annuel du Premier ministre, prononcé chaque fois à l’occasion de l’Exposition commerciale. Pour faire court... il s’agit de raser gratis et de vacciner tout le monde.

Plusieurs manifestations s’y déroulent alors en ce moment, entre les hospitaliers s’opposant à leur vaccination forcée, les citoyens réticents et opposés au Régime, les travailleurs et enfin les supporteurs de PAOK... tout un monde. Plus de 5.000 policiers ont été dépêchés sur place pour... encadrer le Conducător d’Athènes.

Le blog tourne certes au ralenti, mais alors seulement en apparence. Devant les nuages, le pays réel se prépare pour l’hiver. Sur les montagnes de la Thessalie et de la Macédoine, on fera bientôt rentrer les bêtes dans les écuries... bien avant les premiers flocons.

Sur les montagnes de Thessalie. Septembre 2021

Sur les montagnes de Thessalie. Septembre 2021

Plus au sud dans le pays, on se baigne toujours et encore, car c’est encore de saison. Mais alors ici ou là, on ramasse bien les parasols et on plie bagages. La fenêtre de l’été se ferme, le Régime durcit sa dictature aux apparences sanitaires... quand Erdogan via ses sbires, annonce que leur but c’est “de prendre Chypre en entier”.

Les événements nouveaux... ne finiront pas d’innover. Courage donc aux Résistants et aux possibles futurs rescapés du dernier monde rural. En somme, le nouveau Bataillon des va-nu-pieds. Pour déjà combattre obstinément la peur et la mort.
Le... nouveau Bataillon des va-nu-pieds. Thessalie, septembre 2021

* Photo de couverture: Paysage. Thessalie, septembre 2021