Avril et son poisson sous une pluie battante. L’ensemble du pays confiné affronte ainsi... les éléments réunis, plus la tempête, sale temps. “On en a vu d’autres”, répètent inlassablement les vieux du village pendant que les plus jeunes creusent de leurs doigts accoutumés, le... trou béant de leurs smartphones. “Rien n’est comme avant et ce n’est que la leçon inaugurale”, insistent les vieux. C’est également vrai lorsque par ce temps exceptionnellement mauvais, nous n’avons pas commémoré la Révolution nationale de 1821, la fête nationale du 25 mars. L’exception est d’autant plus triste car le contexte est, au dire de tous, suffisamment sournois.
Péloponnèse mythique. Avril 2020 |
“L’année est bissextile, c’est un signe de calamité d’après notre tradition”, martèlent imperturbables les pêcheurs du coin. C’est donc pour cette raison d’après les villageois, “que nos politiciens nous annoncent par un sourire si satanique que nous ne fêterons pas Pâques et que nos églises resteront fermées. Quels bougres.” Péloponnèse toujours humain en dépit des tempêtes, aux paysages de collines comme aux montagnes caractérisées par des terrasses de pierre plantées d’oliviers, voilà pour l’indispensable. Péloponnèse toujours mythique d’après les professionnels du tourisme, mais c’était avant le... coronavirage global.
Il y a pourtant certaines constantes, on dirait incontournables. Parmi elles, figure le silence total que la Grèce contemporaine impose depuis toujours à la commémoration de la lutte armée du peuple de Chypre pour se défaire du colonisateur britannique et pour rattacher son île à la Grèce, comme d’ailleurs la Crète l’avait réalisé en 1913. Cette réunion de l'île à la Grèce dont le peuplement est essentiellement grec à 81% avec une minorité turque de 18 % de sa population, est vécue comme la dernière étape de la libération des pays de culture grecque.
La semaine dernière, seul Lámbros Kalarrýtis sur la radio 90.1 FM a consacré quinze bonnes minutes de son émission au 1er avril en tant que date historique de l’Hellénisme, sinon partout ailleurs, rien que le silence. Car le moment inaugural de cette lutte armée était le 1er avril 1955, par l’EOKA, “Organisation nationale des combattants chypriotes” restée active de 1955 à 1959. Son fondateur et chef fut Geórgios Grívas ; dont la biographie est souvent rappelée lorsqu’on évoque les faits historiques de cette période.
Terrasses de pierre plantées d’oliviers. Péloponnèse, avril 2020 |
Répression britannique. Chypre, années 1950 |
Jeunes des écoles soutenant l’EOKA. Chypre, années 1950 |
Geórgios Grívas, dit Digenís est né en mai 1898 à Tríkomo, dans la province de Famagouste. Il fut l’élève du réputé lycée pan-chypriote de Nicosie. En 1916, il entre à l’Académie militaire d’Athènes puis prend la nationalité grecque. En 1919, il sort de l’Académie avec le grade de lieutenant d’artillerie. Il participe à la campagne d’Asie Mineure contre les Turcs en 1920-1922. Il effectue deux stages à l’École supérieure de guerre en France dans les années 1920 et devient professeur de tactique à l’École d’application en Grèce. Lieutenant-colonel en 1940, il participe à la campagne d’Albanie en tant que membre du bureau des opérations de l’État-Major général, puis en tant chef d’État-Major de la 2e division.
Démobilisé, il vit à Athènes de 1941 à 1944. En 1944, il fonde et dirige la milice royaliste anti-communiste, celle dite des X. Sa milice a été d’ailleurs décimée par les milices communistes à Athènes en décembre 1944 lors de la deuxième phase de la guerre civile grecque. Il retourne à Chypre dans les années 1950 où il prépare le mouvement insurrectionnel contre les Britanniques. Il dirige l’EOKA dans les maquis du mont Tróodos de 1955 à 1959, et pendant ces quatre ans, son organisation employa des méthodes de guérilla contre les occupants britanniques et contre le TMT, organisation terroriste turque. Ensuite, il rentre en Grèce pour observer de manière critique les négociations des politiques lesquelles accouchent à un accord liberticide pour la majorité grecque, contre toute logique de détermination, de démocratie, tout comme contre tout respect élémentaire de la volonté de la majorité populaire.
Par les accords dits de Zurich et de Londres de 1959 et 1960, Chypre devient certes sur le papier un état indépendant, sauf que derrière sa Constitution inapplicable imposée par les Britanniques, accordant déjà la surreprésentation à la minorité turque, et faisant par la même occasion entrer la Turquie dans le jeu, se dissimulait à peine le plan turco-britannique du soi-disant “partage” moitié-moitié, datant des années 1950. Cette partition de l’île ainsi imposée par la ruse et par la guerre, entre la majorité grecque et la minorité turque, a d’emblée ouvert la voie et l’appétit de la Turquie nationaliste, instrumentalisant par la même occasion la minorité Chypriote-turque.
Notons que la planification génocidaire et agressive de la Turquie, celle que les Britanniques ont très exactement et habillement “travaillé” n’est guère nouvelle. Alors que la Turquie s’est officiellement retirée de tout droit sur l’île de Chypre avec le Traité de Lausanne de 1923, notamment par les articles 20 et 27, dès les années 1950, la doctrine turque, ou plutôt turco-britannique est claire, elle est même annoncée dans les journaux. “Le jour où l’île reviendra à son vrai propriétaire, la Turquie, la majorité de sa population reviendra également à nous. L’île baignera dans le sang et votre majorité dont vous êtes si fiers, deviendra alors une minorité.” Quotidien turc “Hürriyet” s’adressant à la Grèce, le 15 octobre 1953, citation faite par la presse grecque, “Kathimeriní”, Damonídis, le 7 septembre 1954.
Geórgios Grívas portant la moustache, et ses combattants de l'EOKA. Chypre, années 1950 |
Manifestation à Athènes pour Chypre en soutien à l'EOKA. Le 9 mai 1956 |
Manifestation à Athènes, trois morts. Le 9 mai 1956 |
C’est dans ce contexte très trouble que le général Grívas va commander la Garde Nationale chypriote de 1963 à 1967. Il meurt d’un arrêt cardiaque à le 27 janvier 1974, six mois avant l’invasion de l’île par l’armée turque. Et à défaut d’autopsie, les rumeurs courent depuis quant à son supposé empoisonnement. Plus de deux cent mille personnes participeront à ses obsèques à Chypre, du jamais vu pour une île de six cent mille habitants.
Il faut noter que les Anglais ont été féroces dans leur répression, entre terrorisme “d’en haut”, exécutions par pendaison, raids punitifs, voire, la torture aux méthodes qui n’ont pas grand-chose à envier à celles pratiquées par l’Allemagne nazie. “Ils nous accrochaient nus depuis le plafond, ils faisaient alors passer les électrochocs par nos parties intimes, et pour finir, ils nous faisaient avaler des excréments”, presse de Chypre et ouvrage de deux médecins Chypriotes-grecs.
Sauvagerie britannique et politique du pire, surtout sous le Maréchal Sir John Harding, nommé Gouverneur et Commandant en chef de Chypre en octobre 1955. Le but était de réprimer par tous les moyens la révolte populaire et armée sur place, car Harding avec son habileté coloniale... si bien expérimentée, était alors l’homme de la situation. C’est vrai qu’en moins de six mois, Harding a réussi à transformer l’ensemble de l’Hellénisme en Grèce comme à Chypre en fervents défenseurs de l’EOKA. La potence qu'il a mise en place pour les combattants de l'EOKA a enfin unis dans des manifestations antibritanniques tous les Grecs, et ceci, pour la première fois depuis l'horrible guerre civile de 1943-1949, laquelle a tant déchiré le pays entre Monarchistes et Communistes. Les premiers combattants de l’EOKA exécutés de la sorte ont été Michalákis Karaolís, 23 ans, et Andréas Dimitríou, 22 ans, pendus avant l'aube du jeudi 10 mai 1956.
Leurs dépouilles ont été enterrées à 4 heures du matin dans ce que l’on nomme depuis les “Tombes Emprisonnées”, c’est-à-dire ces tombes creusées par les bourreaux des Anglais à l’intérieur du bagne, car les Britanniques n’ont pas osé rendre les corps à leurs proches, ni au peuple de Chypre. Dans ces “Tombes Emprisonnées” sont inhumés au total treize combattants EOKA. Neuf d’entre eux ont été pendus par les Britanniques, trois ont été tués en action et un dernier combattant est décédé à l’hôpital de ses blessures lors de la bataille.
Les “Tombes Emprisonnées”. Chypre, Nicosie |
Vétérans de l'EOKA. Lieux de mémoire visités, presse Chypriote-grecque |
Église en nettoyage. Péloponnèse, avril 2020 |
La veille de la première double exécution par pendaison, toute la Grèce était mobilisée pour que la vie soit épargnée aux héros Karaolís et Dimitríou. Dans chaque ville, les habitants ont participé à des manifestations massives le mercredi 9 mai 1956 pour exiger des “alliés” britanniques de ne pas commettre ce crime horrible et surtout, de laisser le peuple de Chypre décider librement de son union avec la Grèce. Ces jeunes de tout bord politique se réclamaient alors de l’EOKA, jeunes de gauche même, sachant que le personnage politique et militaire du général Grívas n’était guère apprécié par les gens de gauche et pour cause.
Pourtant en cette journée du 9 mai 1956 non loin de l’Ambassade du Royaume Unie à Athènes, ce sont trois jeunes manifestants qui tombent sous les balles des policiers dépêchés par le gouvernement Karamanlís. L’homme de droite et surtout des... Britanniques, n’allait pas sacrifier les intérêts du monde occidental tels qu’il les percevait, pour servir les intérêts, voire le droit légitime du peuple grec, en Grèce comme à Chypre. Notons pour l’anecdote que les trois morts d’Athènes, à savoir, Evángelos Gerontís, Ioánnis Konstantópoulos et Frangískos Nikoláou, comptent depuis parmi les héros officiels de l’EOKA, et que même sans mentionner l’EOKA, le quotidien du PC grec “Rizospástis” dresse à l’occasion leur nécrologie, où on y apprend que le jeune Evángelos Gerontís avait été également un ancien jeune résistant communiste pendant l’Occupation allemand, “Rizospástis” le 9 mai 1998.
Dans le Péloponnèse mythique... sous la menace du coronavirus, les églises sont nettoyées en ce moment même faute de fidèles autorisés, elles resteront pourtant fermées “car nous n’aurons pas notre Semaine Sainte non plus” d’après le dictat du gouvernement. Cela-dit à Patras, des fidèles et leur pope ont été verbalisés par la Police, pour avoir organisé une messe “clandestine”, de même qu’en Crète presse grecque du 5 avril.
Les promeneurs sont rares. Péloponnèse, avril 2020 |
Hôtel fermé. Péloponnèse, avril 2020 |
On croise les chèvres et les moutons. Péloponnèse, avril 2020 |
Pays aux églises fermées par décret, où l’on se balade alors bien peu. Les rues du village sont vides et on rencontre alors plus souvent à leurs abords, les chèvres que les humains. On dirait que le coronavirus efface tout, ce n’est pas tout à fait vrai. L’autre jour sur le port, deux des anciens se sont souvenus du temps de leur service national en 1974, ils étaient prêts à partir pour Chypre sauf que l’ordre n’a jamais été donné, y compris après la passation du pouvoir des Colonels aux politiques. Karamanlís au pouvoir dès la fin juillet 1974, fidèle à lui-même, a encore trahi en accomplissement final de son crime de Zurich et de Londres, tandis que Henry Kissinger de son côté, comme du côté des... illuminés des Services Secrets britanniques. Il a visiblement servi de cheval au cavalier britannique dans l’odieuse machination politique de ce dernier dans l’affaire de Chypre.
L’histoire officialisée retient toujours que les Américains de Kissinger sont les principaux criminels, facilitant et entérinant l’invasion turque de 1974. La vérité est bien plus complexe... et je dirais même davantage britannique. Notons que Kissinger a fini par admettre qu’il a toujours été un agent de Sa Majesté, y compris au sein de l’administration américaine. Lors d’un discours prononcé le 10 mai 1982 à Chatham House, Sir Henry Kissinger s’est vanté d’avoir été un agent britannique dans les administrations de Nixon et de Ford, agissant comme conseiller présidentiel pour la sécurité nationale et secrétaire d’État. Kissinger est d’ailleurs le Chevalier honoraire commandant de l’Ordre de Saint-Michel et Saint-Georges, un grade normalement attribué aux meilleurs diplomates britanniques. Dans son discours, Kissinger a déclaré qu’il avait poursuivi la politique britannique dans ces positions indépendamment des préoccupations souveraines des États-Unis, qu’il servait pourtant visiblement. Des extraits de ce discours, intitulé “Réflexions sur un partenariat: attitudes britannique et américaine à l’égard de la politique étrangère de l’après-guerre”, sont fort éloquents.
“Les Britanniques ont été si utiles, et ils sont devenus de fait un participant aux délibérations internes américaines, à un degré probablement jamais pratiqué entre nations souveraines. Au cours de mon mandat, les Britanniques ont joué un rôle déterminant dans certaines négociations bilatérales américaines avec l’Union soviétique - en fait, ils ont aidé à rédiger le document clé. Dans le cadre de ma mission à la Maison Blanche alors, j’ai mieux gardé informé le British Foreign que le Département d’État américain.”
Pendant qu'on brûle du bois. Péloponnèse, avril 2020 |
Pendant qu’on brûle du bois dans le Péloponnèse alors mythique et sous la tempête, Henry Kissinger demande la protection de “l’ordre mondial néolibéral”, car “notre monde ne sera plus jamais le même après la pandémie. Un remède doit être trouvé et l’ordre mondial néolibéral doit être protégé.” Dans un article publié dans le “Wall Street”, l’agent britannique venu de loin, précise que la pandémie a mis fin au monde tel que nous le savions. Il faut désormais protéger les citoyens et planifier une nouvelle ère, lorsque la pandémie de COVID-19 sera terminée, on comprendra alors que de nombreux pays ont échoué, Spoutnik Italie, le 5 avril.
Avril sans poisson sous une pluie battante. L’ensemble du pays confiné affronte... les éléments réunis plus la tempête et Kissinger, sale temps. “On en a vu d’autres”, répètent les vieux du village, sans avoir étudié autre chose que la vie personnelle et collective comme toutes leurs expériences. Ils savent et ils le disent alors désormais haut et fort: “C’est une bande d’allumés qui veulent gérer le monde rien que pour eux, peut-être même pour le couler, en réalité pour nous couler. Le coronavirus exploité de la sorte, c’est leur Troisième Guerre mondiale, histoire de mettre à plat les nations et les économies. La Grèce, elle souffrira encore de nouveau, mais nous ne nous laisserons pas faire, nous attendons voir également les réactions des autres peuples, des Italiens, des Français notamment.”
Sous la pluie on trouve refuge. Péloponnèse, avril 2020 |
Sous la pluie, on trouve refuge sur les tables abritées d’un restaurant qui n’ouvrira pas. Chypre, la Grèce, Sir Henry Kissinger qui s’est vanté d’avoir été un agent britannique dans les administrations de Nixon et de Ford, ne sont que moultes exemples d’un modèle effarant, admissible il faut dire un peu partout à travers le monde occidental finissant. Démocraties... lunaires alors gérées par ces agents, prétendument élus, à l’ensemble du pays réel confiné mais qui ne se laisse plus tellement berner par les médias du système.
“Rien n’est comme avant et ce n’est que la leçon inaugurale, sauf que nous devons reconstruire notre pays, une fois n’est pas coutume sans eux”.
Nous devons reconstruire notre pays. Péloponnèse, avril 2020 |
* Photo de couverture: Répression britannique. Chypre, années 1950