Histoire en cours de devenir entre gesticulations et gestation. Temps sombres. Et pour ce qui est du pays réel, il reste partagé entre son mauvais présage quant au futur et la fausse insouciance dont il est... porteur. Vivons au jour le jour sous le soleil, même hivernal. Rien n’est jamais acquis... hormis la paupérisation, et plus personne ne remarque la distribution d’un bol chaud plein de pâtes que les bénévoles distribuent de manière devenue assidue en plein centre d’Athènes. Aux mêmes endroits, les terrasses sont déjà pleines, car l’histoire se fabrique comme elle se déboutonne depuis la nuit des temps, inégalités croissantes, voire “normalisées”. Temps présent !
Les terrasses des cafés sont pleines. Athènes, janvier 2020 |
Et de gesticulation en gestation, dans un ordre événementiel plutôt semblable, on se souviendra de ce lointain avril 1967 qui fut le moment de l’instauration en Grèce du régime des colonels. Suite alors à ce 21 avril maudit, le grand poète et ancien diplomate Georges Séféris, ne publiera plus rien dans son pays où, selon ses propres termes, “la liberté est bâillonnée.” Il sortira de son silence seulement en mars 1969, pour remette aux journalistes étrangers une déclaration qui accuse le régime “de conduire la nation vers un précipice” lorsque “toutes les valeurs spirituelles que nous sommes parvenus à garder vivantes, au prix de mille peines, vont se trouver englouties dans ce cloaque bourbeux” ; cette déclaration fait alors grande sensation.
Le climat politique délétère qui règne alors en Grèce plonge Séféris dans le désespoir. “Le dégoût que j'éprouve pour les mœurs partisanes grecques est indicible”, note-t-il dans son “Journal”. Au même moment, le prix Nobel de littérature 1963 décline le poste prestigieux de la chaire “Charles Eliot Norton” à l’université Harvard, et il ne changera pas d’avis. “Lorsqu'on n’a pas la liberté d’expression dans son propre pays, on ne la trouve nulle part au monde. Je veux demeurer auprès de mon peuple pour partager les aléas de son destin”, écrit-il au doyen de cette université si renommée.
Il est significatif qu'un demi-siècle plus tard, on découvre toujours à ses propos une actualité et une évidence étonnantes. Ce climat désormais métapolitique et inlassablement délétère qui règne ainsi en Grèce est bien palpable au quotidien, en dépit des terrasses certes emplies sous un soleil généreux. Lorsque l’on observe par exemple un peu mieux les passants de la rue Éole, alors on s’aperçoit que leurs visages sont souvent crispés, à leur manière autant englouties dans le cloaque bourbeux du moment. Et c’est en même temps le démenti le plus formel au sujet du présumé “retour à la normale” pour l’économie et la société, d’après certains médias grecs et internationaux.
Passants de la rue Éole. Athènes, janvier 2020 |
Même endroit de la rue Éole vers 1920 |
Athènes... c'est un capital. Spectacle en ville, 2019-2020 |
En 2020, la ville d’Athènes est considérée d’abord comme étant une forme de capital, ses visiteurs Chinois portent de masque antiprojections et par ailleurs, plus personne ne prête attention aux milliers de sans-abris. C’est autant vrai que les rénovations d’immeubles souvent entiers battent alors des records historiques; derrière leurs belles façades se déroule la plus grande spoliation de biens en Grèce depuis l’autre Occupation, celle des années 1940.
Le gouvernement Mitsotákis fait sauter les derniers et autant faibles verrous aux saisies des résidences principales par les banques et par l’État, plusieurs milliers de saisies étant de ce fait programmées dès cette année 2020, disons... prometteuse. Les banques, ainsi que la Germanocratie européiste interdisent le rachat par les citoyens de leurs dettes; c’est ainsi que le parc immobilier grec est cédé, autrement-dit offert à moins de 10% de sa valeur aux fonds rapaces étrangers
Ce qui scandalise encore plus les pauvres indigènes du pays de Zeus, c’est que le pirate financier Sóros annonce son attention d’y investir... à la hauteur de ses possibilités pour que les migrants que la Turquie déverse en Grèce en colons bien manipulables puissent être convenablement logés, supposons-le dans la... continuité, presse grecque en novembre 2019. C’est bien connu, la guerre n'est rien d'autre que la continuation de la politique par d'autres moyens, flux migratoires générés ou manipulés compris.
Touristes Chinois. Athènes, janvier 2020 |
Sans-abri. Athènes, janvier 2020 |
Immeuble néoclassique rénové. Athènes, janvier 2020 |
La presse fait état de la menace turque qui pèse sur nos îles, comme elle évoque en cette fin janvier 2020, le suicide d’un retraité âgé de 85 ans. Ces nouvelles des suicides à répétition, plutôt gênantes il faut préciser, deviennent de plus en plus rares, d’après les règles non-écrites de la déontologie mainstream. Ça s'est passé en Argolide dans le Péloponnèse et plus précisément à Melendríni, bourgade située non loin de Mycènes. Le vieil homme s’est d’abord attaché sur un arbre avant de s’immoler; les pompiers dépêchés sur place, alertés par les voisins, n’ont pas eu le temps de le sauver, presse grecque du 31 janvier.
Histoire en cours de devenir de gestes en... gestions des uns contre tous les autres. Athènes tout comme la Grèce se sont tant transformées en ces dix sombres années. Les grandes manifestations ont cessé mais on se suicide toujours autant qu’aux premières années de la dite crise, et... les terrasses des cafés sont souvent remplies. Dans cet ordre nouveau, les Grecs sont progressivement dépossédés de leurs biens, surtout immobiliers, tandis que le... capital d’Athènes s’offre comme jamais aux “investisseurs”.
Son vieux centre-ville se transforme en lieu récréatif visitable et en dortoir Airbnbien, et cette transformation est perceptible dans son avancement semaine après semaine. Les boutiques et autres échoppes déjà fermées lorsque 40% du petit commerce avait été anéanti entre 2010 et 2015, se transforment désormais et exclusivement en lieux de restauration ou en cafés. Telle est peut-être la cuisine bien orientée du futur...
La presse fait état de la menace turque. Athènes, janvier 2020 |
Restauration nouvelle. Athènes, janvier 2020 |
On se souviendra, à l’instar d’une certaine presse même mainstream, “qu’Athènes avait été en effet l'une des rares capitales européennes à s'opposer obstinément au conquérant Allemand dans les années 1940, écrivant ainsi certaines des pages de résistance les plus amères et les plus glorieuses en Europe. Cependant, une autre Athènes - celle des conquérants et de leurs associés collabos - s'est amusée dans les hôtels de luxe, les bars et les cabarets, se relaxant au bord de la mer, profitant de promenades romantiques dans la campagne de banlieue, accumulant une richesse incommensurable par le commerce de l'accaparement.”
“D'autres pourtant bradaient tout ce qu'ils possédaient dans l'immobilier - quelque 60.000 biens, essentiellement maisons et appartements ont changé de mains dans la capitale. L'effet s'est même reflété à travers cette chanson populaire de rebétiko: Les petits malins sont devenus des trafiquants - ils ont ainsi plumé tout le monde - nous leur avons vendu nos maisons et nos biens - contre deux olives et une miche de pain pour que nos enfants puissent manger”, presse grecque de 2018. La chanson est de Mihális Yennítsaris , et elle est de nouveau interprétée par nos musiciens actuels.
On laisse des trappes pour les chats. Athènes, janvier 2020 |
Vivons au jour le jour sous le soleil, même hivernal. La ville certes se transforme, mais on y découvre toujours ces trappes aménagées pour nos chats adespotes, c’est-à-dire sans maître. Athènes qui n’est pas qu’un capital, résiste alors comme elle peut.
Car nos chers adespotes règnent alors en seigneurs aux entrées des boutiques encore traditionnelles du centre-ville, de l’histoire qui se fabrique et qui se déboutonne, c’est selon.
Nos chers adespotes. Athènes, janvier 2020 |
* Photo de couverture: Distribution d’un bol chaud plein de pâtes. Athènes, janvier 2020