Greek Crisis

jeudi 28 février 2019

Oh my Greece



Météo changeante, temporalité contemporaine. La Grèce continentale sous la neige, Athènes sous la tempête, d’importants dégâts en Crète. Ponts coupés, villages en partie engloutis sous les eaux et par la boue, véhicules emportés, victimes humaines. “C’est grave certes mais c’est climatique”, me dit-il mon ami Sífis, il est Crétois. “Dans vingt ans, le droit de vote, le suffrage universel auront disparu au profit d’un vote obligatoirement censitaire. D’où d’ailleurs toute cette décadence programmée des dites démocraties occidentales, nos marionnettes grecques qui s’agitent dans le bocal, comme celles des autres. On ne prend plus de la hauteur, c’est terminé.” C’est... rassurant.

Le drapeau flotte, le jour se lève. Grèce, février 2019

Au pays réel et visible le drapeau flotte encore, le vent se lève parfois, nous voilà donc heureux. La mutation instituée par les années de la Troïka depuis 2010, celle de la dite crise grecque, elle-même initiée par l’effarante affaire de la dette souveraine, voilà ce qui modifie le présent, l’avenir, voire, le passé ressenti en ce pays. Une dette il faut rappeler détenue à 75% en interne à la fin des années 1990 et en monnaie nationale, la drachme, et qui s’est transformée en une nuit en dette exprimée en monnaie étrangère, à savoir l’euro, désormais détenue... en externe. Il fallait y penser et la gauche Syrizíste s'y est mise à la fin sous les ordres de la Troïka et avec quel brio pour achever la Grèce, son peuple, sa culture, son identité en passant également par “son” referendum.

Sauf qu’en ce temps de vent alors très mauvais, les cœurs se retournent, on en a comme on dit jusqu’aux trippes. D’après Sífis le Crétois, “dans un contexte alors moins civilisé que le nôtre, Tsípras et les siens, ils auraient été tout simplement trucidés par une foule de plus en plus grégaire, entre mecontents ahuris et désenchantées alors chroniques, lesquels tout d’un coup, ils ne se suicident plus de manière aussi automatique.”

Manifestants. Années dites de crise. Athènes, 2010-2013

D’où bien entendu toute cette décadence programmée, littéralement sous l’Acropole. Tout y est passé au cours de cette histoire grecque des années sous la Troïka, depuis les désastres sociaux jusqu'aux effondrements successifs des revenus et aux écrasements finalement de l’espoir Sans l’annoncer, la “gouvernance” SYRIZA aurait modifié les règles en matière d’urbanisme autorisant la construction d’immeubles de dix étages, évidemment sous l’Acropole, et ce n’est alors qu’en remarquant “à chaud” s’ériger un premier immeuble de ce type, bien naturellement un hôtel, que l'alerte avait été donnée.

Les riverains, les associations du quartier, l’ordre des architectes s’en émeuvent, tandis qu’au Ministère de la Culture on fait semblant de découvrir l’affaire, de même que le flou artistique quant à l’octroi des permis de construire. “Tout, n’aurait-il pas été contrôlé” précise-t-on, d’après le reportage de la semaine, ou sinon “comment se fait-il qu’un tel immeuble si haut voit le jour, comment un tel permis de construire avait-il pu être délivrée ?”

Le tout, dans l’hypocrisie la plus totale, comme pour tout autre dossier imposé par les globalistes au pouvoir. Le permis de construire est alors provisoirement suspendu, mais étant donné que la construction de l’immeuble est quasi-terminée, il n’y aura pas de démolition possible. SYRIZA aura introduit alors jusqu’au bout le rouleau compresseur de l’affairisme, lequel a envahi les lieux jusqu'aux pieds de l’Acropole. Sans doute, avant de la vendre peut-être à terme aux escrocs internationaux et aux autres globalistes. La presse, certes mainstream alors ironise à très juste titre: “Oh my Greece”, les Grecs en sont une fois de plus outrés, et c’est la glaciation ainsi que la main finalement très visible du marché impose tout azimut. Sale temps, même les Monastères du Mont Athos ont été bloqués par la neige. Météo changeante.

L'immeuble de la honte sous l'Acropole. Presse grecque, février 2019

L'hybris à travers la presse. Quotidien ‘Kathimeriní’, février 2019

Monastères du Mont Athos sous la neige. Presse grecque, février 2019

Les politiciens en rigolent, comme ils rigolent de tout et surtout des Grecs, tandis que chaque déplacement d’un officiel, d’un ministre, d’un député SYRIZA provoque alors des manifestations autant que l’écœurement général, surtout en Grèce du Nord, en Macédoine grecque et en Thrace. Souvent, la Police interpelle et elle arrête même provisoirement certains des manifestants, des journalistes de la presse locale sont expulsés des conférences de presse pour non-conformité avec la ligne gouvernementale, et ainsi partout à travers les sondages les candidats SYRIZA aux élections Municipales arrivent en troisième, voire en quatrième position.

Les Grecs quant à eux, ils observent les excitations des Quisling actuels, et pour ne rien laisser au hasard, ils commémorent toujours à Milos, la très belle Cyclade, le sacrifice de ceux que l’Armée et la Marine Allemande avaient exécuté durant l’Occupation précédente, plus exactement à la date du 23 février 1943. La presse locale, puis, une partie de la presse Internet en Grèce, rappellera que le Capitaine Hans Kawelmacher ayant donné l’ordre des exécutions, il avait également signé l’ordre de l’exécution des Juifs de la ville de Libau en Lettonie, du temps également de la funeste Shoah, presse grecque de la semaine.

Et à Chypre, l’Armée d’occupation turque (elle occupe près du 40% du territoire de la République de Chypre depuis 1974), vient d’étendre sa zone Occupée de quelques centaines de mètres dans la région de Strovilia, près de la base militaire britannique, d’ailleurs, la presse en parle alors si peu, drôle de guerre.

Hilarité maladive des marionnettes. Tsípras et ses ministres, Athènes, février 2019 (presse grecque)

Commémoration à Milos. Février 2019 (presse grecque)

Chypre, zone occupée par l'Armée turque, (presse grecque)

Au gré des apparences, il n'en reste pas moins que cette justesse... des injustices alors érigée en système de gouvernance plus inégalitaire que jamais. D’après l’Institut d’Enquêtes Économiques et Industrielles à Athènes (IOBE) ; 64% de la population ne s’en sort pas financièrement, tandis que pour 85% des Grecs, épargner si ce n’est qu’un seul euro est tout simplement impossible, enquête IOBE, février 2019, presse grecque.

Entre précarisation, sauve-qui-peut et alors colère allant jusqu’à la haine de la classe politique, le pays réel demeure paralysé. Il faut dire aussi que parmi les jeunes ayant vaillamment participé aux mobilisations des Indignés des années 2011 et 2012, nombreux sont ceux qui ont alors quitté le pays, plus d’un demi-million en tout cas d’après les chiffres cités par la presse. C’est beaucoup, la Grèce compte près de dix millions d’habitants... Syrizístes compris, et ce ne sont ni les plus âgés, largement majoritaires et encore moins les migrants qui iront jusqu’au bout d’une démarche redéfinissant les règles et surtout les enjeux de la vie politique, maintenant que le régime actuel supposé démocratique est définitivement achevé.

Ensuite, les Grecs alors font remarquer que les “protagonistes illustrés” lors du mouvement des Indignés de 2011-2012, les Varoufákis, Katroúgalos et autres Tsakalótos, sont tous devenus par la suite eurodéputés, députés, voire ministres, incorporés de la sorte au sein d’un système politique via la foutaise de la gauche Syrizíste pour ne rien cacher. Et le résultat et autant constat actuels sont terribles: La trahison programmée, le choc permanent, pour que la population ne se donne même plus les moyens psychiques pour organiser sa résistance. En tout cas pour l’instant.

Jeunes et manifestants. Indignés de 2011 à Athènes

Paupérisation. Athènes, février 2019

Fermés pour toujours. Athènes, février 2019

La Grèce telle qu’elle est. Sur les étals des bouquinistes on y découvre de plus en plus souvent ces récits qui retracent les vies de moines sanctifiés. Au pays où les trains sont rarement à l’heure, voilà que la littérature Orthodoxe finira par alors chasser celle des gares. En 2019, oubliés de la politique, les Grecs se souviennent paraît-il de leur Orthodoxie ; ce que rappelait en son temps et à sa manière Yórgos Séféris, poète et diplomate, à travers son discours du 11 décembre 1963, il recevait alors le Prix Nobel de littérature.

“Et en vérité c’est chose étonnante que d’observer comment la vieille religion païenne est venue s’unir en Grèce avec notre Orthodoxie Chrétienne. En Grèce, Dionysos fut, lui aussi, un dieu crucifié. Cet homme qui a senti et appelé si fort la résurrection de l’homme et du monde est cependant le même qui a dit: ‘la seule méthode est la mort’. Il avait compris que vie et mort sont les deux faces d’une même chose. J’allais le voir, chaque fois que je passais par la Grèce. Il souffrait d’une longue maladie, mais la force qui l’inspirait ne l’a jamais quitté, jusqu’au bout. Un soir, chez lui, après un évanouissement qui nous avait inquiété, il m’a dit: ‘J’ai vu le noir absolu, il était indiciblement beau’.”

“Maintenant je voudrais terminer ce court exposé avec un homme que j’ai toujours gardé près de moi; il m’a soutenu dans des heures difficiles, où toute ressource semblait perdue. Dans ce pays de contrastes qui est le mien, il est un cas extrême. Ce n’est pas un intellectuel. Mais l’intellect réduit à lui-même a parfois besoin de fraîcheur, comme les morts qui réclament du sang frais avant de répondre à Ulysse. Il avait appris à lire et à écrire un peu, à l’âge de trente-cinq ans, afin de pouvoir raconter, dit-il, ce qu’il avait vu pendant la guerre de l’indépendance, où il avait pris une part très active. Il s’appelle Jean Makriyánnis.”

Littérature Orthodoxe. Athènes, février 2019

La Grèce telle qu'elle est. Athènes, février 2019

La Grèce telle qu'elle est. Athènes, février 2019

“Je le compare à un de ces vieux troncs d’olivier de chez nous, façonnés par les éléments et qui peuvent, je crois, enseigner la sagesse. Lui aussi a été façonné par les éléments humains, par bien des générations d’âmes humaines. Il était né, vers la fin du XVIIIe siècle, dans la Grèce continentale, près de Delphes. Il nous raconte comment sa pauvre mère allant ramasser des fagots, avait été prise des douleurs de l’enfantement et lui donna naissance dans un bois. Ce n’est pas un poète, niais le chant est en lui, comme il a toujours été dans l’âme du peuple. Quand un étranger, un Français, lui rend visite, il l’invite à table: ‘Mon hôte’, raconte-t-il, ‘voulait aussi entendre de nos chants; je lui en ai fabriqué quelques uns’. Il est doué d’une force d’expression singulière; son écriture fait penser à un mur que l’on bâtit pierre à pierre; tous ses mots fonctionnent et ont des racines; il a parfois des mouvements de style homériques. C’est l’homme qui m’a le plus enseigné en matière de prose. Il n’aime pas les faux semblants de la rhétorique.”

“Dans un moment de colère, il s’écrie: ‘Et vous avez nommé un nouveau chef à la citadelle de Corinthe, un pédant! Son nom était Achille et en entendant le nom d’Achille, vous avez cru qu’il s’agissait de l’illustre Achille et que le nom allait combattre. Ce n’est jamais le nom qui combat; ce qui combat, c’est la valeur, l’amour de la patrie, la vertu’. Mais en même temps, l’on comprend l’amour qu’il a du patrimoine antique, quand, à des soldats qui veulent vendre deux statues à des étrangers, il dit: ‘Même si l’on vous paye dix mille thalers, n’acceptez pas qu’elles quittent notre sol. C’est pour elles que nous nous sommes battus’. Quand on songe que la guerre avait laissé de nombreuses plaies sur le corps de cet homme, on a le droit de conclure que ces paroles ont quelque poids. Vers la fin de sa vie, son destin devient tragique. Ses plaies lui donnent des souffrances intolérables. Il est persécuté, jeté en prison, jugé et condamné.”

“Dans son désespoir, il écrit des lettres à Dieu: ‘Et tu ne nous entends pas, tu ne nous vois pas...’ C’est la fin. Makriyánnis est mort vers le milieu du siècle dernier. Ses Mémoires ont été déchiffrés et publiés en 1907. Il fallut bien des années encore pour que les jeunes prissent conscience de sa véritable envergure”, Yórgos Séféris, poète discours du 11 décembre 1963.

Yórgos Séféris, années 1950

Transformation en hôtel. Athènes, février 2019

Travaux à Athènes. Février 2019

Yórgos Séféris n’aura pas vécu les transformations d’Athènes ni celles de la Grèce en ces autres années apocalyptiques que sont les nôtres. “Même si l’on vous paye dix mille thalers, n’acceptez pas qu’elles quittent notre sol. C’est pour elles que nous nous sommes battus”, mais ce n’est visiblement pas de l’avis des acculturés actuels, couramment incultes à la manière de Tsípras.

C’est la fin. Makriyánnis est mort vers le milieu du siècle d’avant. Ses Mémoires ont été déchiffrés et publiés en 1907. Il fallut bien des années encore pour que les jeunes prissent conscience de sa véritable envergure... et ce n’est guère terminé.

Toujours à Athènes, on peut assister en ce moment à une conférence au sujet de l’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche de Miguel de Cervantes, publié à Madrid déjà entre 1605 et 1615, entre parodie des mœurs médiévales et l'idéal chevaleresque, et c’est autant une critique des structures sociales d'une société espagnole rigide et vécue comme absurde. C'est la preuve même, s'il en faut, que l’Europe existe, au-delà surtout de sa déconstruction européiste finissante et dépourvue de la moindre légitimité, voire, légalité populaire et démocratique.

Don Quichotte. Athènes, février 2019

Allégorie... de l'européisme. Grèce années 2010

Pays réel. Athènes, février 2019

Météo changeante, temporalités contemporaines. Avoir ainsi vu le noir absolu, il était indiciblement beau. “Oh my Greece.” La Grèce telle qu’elle est.

La Grèce telle qu'elle est. Athènes, février 2019


* Photo de couverture: La Crète en hiver. Années 2010