Greek Crisis

mardi 8 janvier 2019

Salage en cours



Neige et verglas. Première semaine de l’année et voilà que le surnommé manteau neigeux vient de couvrir près du 51% territoire du pays d’après les météorologues. On est loin... de l’Été Grec de Jacques Laccarière, gorgé du soleil et des parfums de la Grèce comme de l'odeur des feuilles de figuier qu'on froisse dans ses mains. Par les temps qui courent les médias en rajoutent... de la poudreuse aux yeux des Grecs, pendant que rien ne change, hiver grec.

L'Acropole sous la neige. Athènes, le 8 janvier (presse grecque)

En Thessalie, où c’est presque le nord de la Grèce, la neige n’a jamais été conçue comme un grand événement, si ce n’est qu’à travers certains mauvais côtés... très humains et encore. Les services techniques de la municipalité de Tríkala par exemple, ville de cinquante mille habitants, ont aussitôt salé et sablé rues et trottoirs, de nombreux sacs de sel ont d’ailleurs été distribués aux administrés, pour ce faire, il suffisait de se rendre au point de distribution. Les engins ont autant gardé les routes et les autoroutes pratiquement ouvertes, il faut certes chaîner mais tout le monde comprend, comme il comprend aussi que les élections locales et régionales seront organisées au mois de mai prochain.

Le peuple pourtant, il a d’autres préoccupations. Au village Thessalien sous la neige, mon cousin Kítsos, revenu d’Allemagne, s’occupe jour et nuit du bois du seul et unique moyen de chauffage, depuis les années dites de crise. “Nous nous fatiguons mais nous tenons encore le coup ma femme et moi, à plus de 65 ans. On prend pourtant de l’âge.” Kítsos et María y sont restés près de quatre ans pour aider leurs enfants et leurs petits enfants installés en... “notre” Métropole de l’européisme Merkelochrome, dès les premières années de la Troïka en Grèce et du chômage alors massif. “Le bistrot de notre fils a été fermé par manque de clientèle, lui et sa femme touchent alors des allocations et ils recherchent activement du travail dans une usine après avoir changé de Lander. Sauf qu’ils sont tentés de recommencer dans une nouvelle aventure du genre bistrot ou petit restaurant. Nous pensons qu’ils feraient mieux de trouver un emploi vraiment sans façon, c’est plus sécurisant, surtout en Allemagne.”

L’ambiance de Noël, dont les illuminations du pont central de la rivière Lithaios à Tríkala, pont construit par deux ingénieurs français en 1886, n’ont pas du tout concerné Kítsos. Le couple se rend d’ailleurs si rarement en ville: “Que pouvons-nous y faire, à part travailler un peu ou acheter trois bricoles au marché de Tríkala ? Puis, au village, il y a le toujours bistrot qui sert le café pour seulement un euro”.

Mon cousin est... un micro-retraité tandis que son épouse travaille une journée par semaine dans une poissonnerie de Tríkala pour 30€ par jour... plus les cotisations correspondantes. “Encore heureux que l’on puisse encore gagner trois sous”, se dit-elle María. Elle, mais surtout Kítsos, n’ont pas supporté de rester plus longtemps en Allemagne. Ils sombreraient alors dans la dépression, “nous n’avions pas émigré du temps de notre jeune âge, nous n’allons pas le faire maintenant, c’est impossible.”

Sous la neige. Athènes, le 8 janvier (presse grecque)

Bistrot en Thessalie. Janvier 2019

Le pont central à Tríkala. Décembre 2018

Marché local près de Tríkala. Décembre 2018

Bistrots des villages ou pas, pour María c’est incontestable: “Ça nous a sauté à la figure dès notre retour. En quatre ans, les liens entre nous tous ici n’y sont plus comme avant. Les visites deviennent rares et les fêtes encore plus rares encore. Les gens restent cloitrés chez eux, ils n’ont plus envie de sortir, comme ils n’ont plus le courage nécessaire pour se parler. Heureusement, nous nous échangeons encore quelques légumes ou alors petits services pour donc communiquer parfois entre nous. Sinon rien. Et il ne faut pas oublier que les jeunes ont massivement quitté notre village pour l’Allemagne, près de 300 habitants sur 1.200 environ avant la crise. Où va-t-on ?”

“Seulement Státhis, le plombier, lui il était parti avec sa femme en Allemagne en 2012, et il est revenu au village durant l’été dernier pour ne plus repartir. Ils ont réalisé des économies et ils viennent de mettre en place une unité moderne d’élevage de bovins, il a eu sans doute raison que de ne pas laisser sa vie en Allemagne.”

Ceux qui reviennent au village et dans la région après une certaine coupure suffisamment longue, ils constatent alors comment et combien leur pays, humain comme matériel a changé. Ils ne visitent pas forcément les Monastères des Météores, mais ils savent par exemple que depuis peu, parmi leurs visiteurs il y a de nombreux Chinois. “Théologie des signes des temps” diraient peut-être certains. Sacrés Météores, c’est bien le mot. On y découvre entre autres ces photographies plutôt surannées des lieux d’il y a un siècle, à l’époque des visiteurs quasi-exclusivement Grecs et du coin, parfois même habillés en costume traditionnel, temps également de l’Été grec peut-être.

Aux Météores. Thessalie, décembre 2018

Aux Météores. Touristes chinois. Décembre 2018

Aux Météores, photographies de jadis. Décembre 2018

Mes cousins ne visitent donc plus les Météores et encore moins les nouveaux musées de la ville de Tríkala. Les moines y exposent certes leurs livres manuscrits ou tapuscrits des siècles passés, dont leurs belles et salutaires copies des textes antiques à l’instar des œuvres d’Aristote, ou encore, ces représentations du réfectoire et de son ambiance, sans oublier les chats, forcément divins des Monastères. Rien n’y fait. Kítsos fréquentera plutôt le bistrot du village et María, elle se rendra une fois par semaine à la poissonnerie pour y travailler.

Alors que de l’autre côté de la rue, notre autre cousin Tássos, 58 ans... lequel a perdu très visiblement la moitié de ses dents faute de soins, c’est-à-dire de moyens, “il préférera” quant à lui, les petits travaux à effectuer chez les plus âgés de la parentèle maintenant que la génération des plus jeunes se fait bien rare.

La Grèce change, la Thessalie se métamorphose. Et pour ce qui est tout de même du bon côté de la mémoire retrouvée, à part le nouveau musée dédié à la musique populaire de Vassílis Tsitsánis , il y a également le mémorial dédié aux victimes de l’Holocauste à Tríkala, à savoir, les 139 Juifs de la ville raflés par les forces allemandes en 1944 et ainsi perdus à jamais. Le monument très sobre, il n’a été inauguré certes qu’en novembre 2018, sauf que l’histoire, cette histoire précisément n’était pas pour autant oubliée par les Trikaliótes. Je me souviens que du temps de ma dernière année de Lycée à Tríkala... il y a un petit moment déjà, nous évoquions cette histoire autant locale entre camarades de classe, également en compagnie de Samuel, dont une partie de sa famille israélite avait connu ce terrible sort. Histoire hélas humaine.

Réfectoire en image. Météores, décembre 2018

Texte d'Aristote. Météores, décembre 2018

Chat des Météores. Décembre 2018

Mémorial de l'Holocauste. Tríkala, janvier 2019

Mes cousins et les autres au village s’éloignent fatalement et de plus en plus, des affaires et des histoires de la ville, comme ils évoquent de moins en moins les supposées grandes affaires politiques du moment. Ainsi, la presse de la semaine s’enflamme certes sur le départ perçu comme annoncé du parti des Grecs Indépendants (ANEL) du gouvernement, un départ motivé par le présumé désaccord entre Tsípras et Kamménos au sujet du piètre accord Macédonien de Tsípras, datant de l’été 2018.

L’affaire n’émeut pour ainsi dire plus grand monde. Les élus ANEL quittent ainsi leur... petit navire pour s’y coller du côté de SYRIZA ou de la Nouvelle Démocratie de Mitsotákis, histoire de conserver une place si possible éligible aux prochaines élections, car le salaire du député nouveau, apatride et opportuniste, incarne alors les ultimes... valeurs sûres actuelles: Le profit et le chaos.

D’où les irritations théâtralisées de Pános Kamménos lorsqu’il évoque publiquement... “ces affreux Apostats”, le chef du parti ANEL et pour l’instant encore, Ministre de la Défense, un parti il faut dire en décomposition avancée étant donné qu’aux dires de la presse, peu d’élus de son parti lui sont encore fidèles (presse grecque de la semaine). Tout cela fait plutôt rire on dirait à Tríkala, comme partout ailleurs. Salage en cours !

Thessalie cependant profonde... comme en partie enfoncée, avec ses productions encore locales, ses boutiques à café et à bonbons, son marché des légumes et fruits. On y découvre aussi pêle-mêle en ville de Tríkala, ces affichettes estampillées “L’Orthodoxie ou la mort, vaut mieux vivre une heure de vie Orthodoxe, plutôt que d’accepter une vie sous la nouvelle carte électronique d’identité, et l’horrible enfer que cette dernière représente”. On y découvre aussi ce faire-part pour l'annonce des obsèques du concitoyen Apóstolos Proússalis, décédé le 26 décembre 2018... à l’âge de 111 ans.

Café et sucreries. Tríkala, décembre 2018

Tríkala, marche des légumes et fruits. Décembre 2018

L'Orthodoxie ou la mort. Tríkala, décembre 2018

Obsèques d'Apóstolos Proússalis 111 ans. Tríkala, décembre 2018

Apóstolos Proússalis était le dernier des Grecs refugiés nés en Asie Mineure et installé à Tríkala encore en vie, une population chassée et en partie exterminée par la Turquie en 1922. Près de deux millions de ceux de l’hellénisme d’Asie sont donc arrivés en Grèce. Enfant parmi eux, Proússalis était né à Neochóri dont le nom antique est Neápolis, s’agissant de l’actuelle toujours belle bourgade turque de Yeniköy, au détroit du Bosphore abritant de magnifiques quartiers résidentiels et de quantité d’édifices religieux de diverses communautés, témoignant du passé multiculturel des lieux.

D’après des témoignages publiés par la presse locale, le jeune Apóstolos Proússalis avant de devenir le menuisier qui l’a toujours été par la suite, en arrivant à Tríkala en 1922 il avait alors comme seule fortune dans ses poches, une petite icône de la Sainte Vierge ainsi que quelques graines de pastèque et de melon, (presse locale de Tríkala.) Et d’après son âge, Apóstolos Proússalis aurait ainsi voté pour la première fois de sa vie aux élections législatives... du 19 août 1928, contribuant probablement à la victoire de Venizélos, tout de même 46% des suffrages exprimés. De Venizélos bien entendu du siècle passé, à... Tsípras du siècle d’après, pauvre histoire... comme pour dire neige et verglas !

Région de Tríkala, décembre 2019

Région de Tríkala, janvier 2019

L'odeur des feuilles de figuier qu'on froisse dans ses mains, on est pour ainsi dire loin. Nos amis vétérinaires de Tríkala rencontrés dans un café nous ont fait part de l’histoire actuelle des bêtes qui partent, et qui sont vendus à des intermédiaires pour ainsi arriver en Turquie, voire en Chine.

Mais plus étonnant encore, il y a aussi le cas des holothuries, animaux comme on sait marins de l'embranchement des échinodermes au corps mou et oblong, aussi appelées concombres de mer, animaux il faut dire extrêmement lents, et parfaitement inoffensifs et qui sont massivement pêchés depuis peu par ceux de... la filière chinoise en Grèce. De temps à autre, la presse grecque fait tout de même état de certaines arrestations liées à cette filière, à l’instar de ce reportage datant de 2017. “Il n’en restera plus d’ici peu” nous disent-ils nos amis, “surtout si rien ne change, mais comme le pays est ainsi livré et trahi corps et âme par les politiciens très contemporains... les animaux marins de l'embranchement des échinodermes n’auraient guère plus de chance que nous” .

Neige et verglas, comme autant de la... poudreuse aux yeux des Grecs. Pourtant, le marché de Tríkala, et sans les concombres de mer, il est toujours plein de vivacité, tandis qu’à défaut de sauver peut-être les holothuries, ceux de Tríkala construisent des abris de fortune pour les animaux adespotes de la ville. Comme dans l’Été Grec de Jacques Laccarière, gorgé du soleil et des parfums de la Grèce, le pays réel existe, parfois avec “ses fromages secs, ses olives, ses fruits, ses bouillies d'épeautre, son pain noir, son vin rosé et d'autres saveurs que je découvris: les graines et l'huile de sésame, le fenouil séché au soleil, le basilic frais, le miel de résine.”

Le marché à Tríkala. Décembre 2018

Animal adespote sous son abri de fortune. Tríkala, janvier 2019

Animal adespote sous son abri de fortune. Tríkala, janvier 2019

Première semaine de l’année et voilà que le surnommé manteau neigeux vient de couvrir près du 51% territoire du pays. Dans la dite grande presse, on peut enfin lire mardi soir cet appel, lancé pour ne pas oublier que de nourrir les animaux adespotes (sans maîtres) par ce temps de grand froid, par exemple, le quotidien “Kathimeriní” du 8 janvier 2019.

Pour une fois que nous nous désintéressons des politiciens... animaux avérés “desposés” (ayant leurs maîtres), merci le général Hiver. On s’accroche. Chez Greek Crisis... sans chauffage central depuis fin 2011, nos félins Mimi et Hermès s’accrochent également... au radiateur électrique, seulement, nous restons confiants, ceci grâce à la précieuse contribution des ami(e)s et lectrices/lecteurs pour notre campagne exceptionnelle de soutien financier, et nous venons d'atteindre 84% de notre objectif, comme annoncé notre campagne se poursuit jusqu’à la fin de ce mois de janvier. Un grand Merci !

Mimi et Hermès de Greek Crisis. Athènes, janvier 2019

Neige donc et verglas. Les médias en rajoutent... de la poudreuse aux yeux des Grecs, mais nous passerons enfin cet hiver grec et pour tout dire européiste. Unis, un peu à la manière des animaux adespotes et fiers de l’être qui sont des nôtres.

Animaux adespotes. Thessalie, janvier 2019


* Photo de couverture: Tríkala en Thessalie. Janvier 2019