Greek Crisis

vendredi 11 mai 2018

Genre musical !



Dans Athènes, nos musiciens et chanteurs des trottoirs et du chant Rebétiko sont de plus en plus nombreux à se produire devant les badauds et les touristes. La façon dont la vie et la mort s’incarnent ainsi tout à coup dans ces lieux, parfois devant ces boutiques du centre-ville en faillite est éloquente. Leur musique prend corps dans le silence. Le situationnisme existentiel comme politique actuel se prête forcément au chagrin délicieux du Rebétiko, ce genre populaire anticonformiste qui anime les âmes grecques depuis près d’un siècle. Le pays... et son genre musical !

Sous l'Acropole. Athènes, mai 2018

Sous l’Acropole, comme parfois sous les orages aussi de saison, ces musiciens de Rebétiko “s'offrent” aux passants pour interpréter en réalité la complainte, voire, le chant à la fois héroïque et funèbre de la Grèce contemporaine. Les touristes apprécient le rythme, hélas sans comprendre les paroles, pour eux c’est du folklore disons bien interprété.

Les Grecs quant à eux, ils se figent parfois durant un moment devant ces musiciens pour écouter, et saisir justement tout ce verbe venu tout droit des entrailles de leur propre culture populaire pas encore morte en dépit des orages, entre pays imagé et pays magique.

Ceux du Rebétiko des rues et des trottoirs auront ainsi le visage crispé, et ce que les touristes ne remarquent pas toujours, c’est que ces Rebètes des rues se situent visiblement dans la petite cinquantaine plutôt entamée. De leur autre vraie vie, ils sont fatalement tous chômeurs... issus de tous les métiers réunis, et parfois même, ils sont ces musiciens professionnels sans-emploi, et alors tous autant virtuoses et porteurs très sains de cette culture populaire grecque.

D’autres praticiens du Rebétiko et du chant populaire, plus chanceux, accompagnent... les repas dans les tavernes, même à midi, ce qu’avant la dite crise était exclusivement réservé à un... usage nocturne. Pays figuré et pays... féerique, Zorba... forcément le Grec, et les journaux étrangers si différents des nôtres il faut dire. Les journaux grecs, ont fait leurs gros titres ces derniers jours sur les diminutions des montants des pensions, vaste mouvement. Rien que depuis 2015, c’est-à-dire depuis le temps des escrocs à Tsipras, les retraités du pays ont perdu plus de 7 milliards d’euros, pertes qui se rajoutent aux diminutions forcées du même genre depuis 2010.

Toujours depuis 2010, toute une partie du centre-ville d’Athènes tient plutôt de la friche économique, culturelle et humaine, entre activités mortes, remplacement des habitants par les nouveaux et anciens migrants, lesquels il faut dire, ils se débrouillent aussi comme ils le peuvent donc très mal. Notre... admirable méta-monde le-voilà, depuis peu autant comblé en cellules Airbnbiennes qui poussent comme des champignons après l’orage... radioactif de l’ultime capitalisme avant la mort, la sienne, ou la nôtre, c’est selon. Pays pourtant de Zeus !

Friche économique et humaine. Athènes, mai 2018

Presse grecque et étrangère. Athènes, mai 2018

Friches économique et humaines. Athènes, mai 2018

En attendant... le futur. Athènes, mai 2018

Dans cette vie et par cette vue du siècle d’après qui est le nôtre, les portes des vieilles demeures néoclassiques d’Athènes en décrépitude, elles restent hermétiquement fermées, et les Athéniens, ne raisonnent alors que par la nostalgie. Autrement-dit, par cette douleur du non-retour à domicile, un chez-soi pourtant rongé par plus d’un demi siècle de mondialisation porteuse autant de mutations que de mutilations.

Ceux du voisinage ou de passage dans ces quartiers, se contenteront du moins pire, en contemplant par exemple la désolation des intérieurs clos oubliés à jamais, sinon, jusqu’à leur futur effondrement ou démolition, urbaine comme autant humaine. Il y a ainsi de quoi se consoler en nourrissant les chats adespotes, animaux sans maître attitrés, jour et nuit dans ces ruelles, comme autant devant le bâtiment très officiel du “Parlement”, place de la “Constitution”. Finalement... la société sans classes pourrait alors exister diront certains.

Il y donc de quoi chanter et interpréter tout le chagrin délicieux du Rebétiko, surtout en public. L’effondrement grec, cette désagrégation de la société qui ne se relève pas, déjà tout simplement parce qu’elle n’existe plus, ou plus tout à fait comme avant. Tous les voyants sont alors passablement au rouge. D’où d’ailleurs la multiplication des accidents de la route, en réalité ils sont autant des accidents de la crise, des actes anomiques et criminels, des meurtres même il faut dire, parfois très inhabituels en Grèce.

La fermeture de plus de la moitié des lits en psychiatrie hospitalière et le non-suivi de tant de milliers de malades, ont conduit par exemple ces derniers, à être théoriquement pris en charge par les seules familles, ce qui reste en réalité très hypothétique. Un tel homme malade, âgé de 38 ans, dont le suivi psychiatrique aurait cessé d’après les reportages, vient d’assassiner sa mère à plusieurs coups de couteau cette semaine dans un quartier d’Athènes.

Alertés par la persistance de l’odeur cadavérique dans leur immeuble, les voisins ont alors prévenu la Police. Lorsque les policiers ont pénétré dans l’appartement, ils se sont retrouvés face à deux chaises, sur l’une se trouvait attaché le corps de la mère, et sur l’autre se tenait le fils, immobile, lequel n’a d’ailleurs pas réagi à son arrestation, (d’après une autre version des faits... il n’y aurait pas de chaises, presse grecque de la semaine).

Maison néoclassique à l’abandon. Athènes, mai 2018

Intérieur clos oublié. Athènes, mai 2018

Animaux adespotes nourris. Athènes, mai 2018

Animaux adespotes nourris près du “Parlement”. Athènes, mai 2018

Réalités exprimées. Athènes, mai 2018

L’autre bien... grosse nouvelle de cette semaine, fut celle du semi-remorque dont le conducteur a perdu le contrôle pour traverser la barrière séparant les deux chaussées d’une autoroute urbaine à Athènes, causant en face, deux morts et un blessé grave. L’originalité de cet accident réside... en somme à ses particules élémentaires de temps de crise.

Son conducteur était d’abord aussi son propriétaire, le gérant d’une petite entreprise de transport routier. Ensuite, d’après les reportages, cet homme avait déjà perdu son fils et son frère dans deux accidents de la route, et au moment où il a provoqué son propre accident, il avait plus de 0,5 gr d’alcool dans le sang. Le hasard qui n’en est pas un, a voulu que son camion n’était aucunement enregistré, ni au fichier des certificats d’immatriculation, et encore moins à celui du contrôle technique.

Ce véhicule lourd aurait été importé illégalement d’après le reportage, puis cannibalisé, les numéros de série du châssis et du moteur ne correspondaient pas non plus aux documents du camion, ces derniers avaient été tout simplement “empruntés” à un autre véhicule du même type (90.1 FM, zone matinale du 11 mai).

Cette histoire résume aux yeux de la doxa commune toutes les insuffisances, voire les infractions et alors crimes quotidiens commis ici ou là, d’en bas comme d’en haut, lorsque plus rien ne fonctionne vraiment dans l’appareil de l’État grec, sauf lorsqu’il s’agit de détruire le cadre du travail ou de faire entrer les impôts nouveaux, entre autres.

Beau pays donc visitable, où chez ses bouquinistes on y déniche parfois cette ancienne “Revue du Travail” de 1977, autre musée des curiosités de jadis il faut dire dans ce pays, entre les couleurs des îles à l’instar de Póros en Golfe Saronique, et les moments touristiques... méritées et savourés au Cap Sounion.

Ancien quotidien historique. Athènes, mai 2018

“Revue Internationale du Travail”. Mai 2018

Vue de l'île de Póros. Mai 2018

Touristes au Cap Sounion. Mai 2018

Pendant ce temps, l’embellie... grecque du tourisme comme de l’immobilier concerne plutôt certains autres, grecs, comme surtout étrangers. Comme l’analyse ainsi dans son excellent article, Marie-Laure Coulmin Koutsaftis: “Appauvris par les memoranda, les Grecs vont perdre tous leurs biens - Les emprunts non performants, la situation du parc immobilier en Grèce et les saisies des résidences principales”, article daté du 30/04/2018, “l’étau se resserre sur les Grecs. Appauvris par les mesures d’austérité imposées par trois memoranda, ils doivent désormais se battre pour conserver leurs maisons, menacées par les emprunts hypothécaires non performants. Contractés avant la crise et les 25% de réduction du PIB, souvent dans des termes léonins, ces emprunts ne peuvent plus être honorés après des pertes d’emploi ou des baisses des revenus dépassant les 40%.”

L’auteur note à très juste titre, qu’en “Grèce, pendant de nombreuses décennies après la seconde guerre mondiale, l’achat d’un bien immobilier constituait pour la plupart des ménages la seule manière à long terme de faire des économies susceptibles d’échapper à l’inflation. La plus grande part de la richesse des Grecs a longtemps été placée dans l’immobilier et en particulier dans leur résidence principale, qui constituait traditionnellement un moyen d’assurer leurs vieux jours, en l’absence de prestations d’un État social inexistant même avant la crise.”

“D’après différentes études, en 2002 le patrimoine des foyers grecs étaient constitués à 81,8% de biens immobiliers, à 17% de dépôts et seulement à 1,2% d’actions. Les Grecs sont propriétaires de leur habitation à 80,1%, le deuxième taux le plus élevé, après l’Espagne, de l’ancienne Union européenne des ‘15’. Dans les régions agricoles ce pourcentage atteint même les 97% contre 73,5% dans les zones urbaines.”, Marie-Laure Coulmin Koutsaftis, documentariste, essayiste et traductrice du grec moderne, permanente au CADTM, (l’article dans son intégralité c’est ici).

Dans Athènes, mai 2018

Zorba le... Grec. Athènes, mai 2018

Vieille musique. Athènes, mai 2018

Pour faire court, Zorba le Grec, se fait saisir sa demeure, et dans ce pays... qui n’a plus de maison perd la raison. Ainsi, la presse de la semaine et dans le même nouvel ordre d’idées, elle rapporte qu’en 2017, près de 130.000 Grecs ont renoncé aux biens immobiliers qu’ils venaient d’hériter, les cédant à l’État, car étant dans l’impossibilité à faire face aux impôts et taxes foncières additionnées depuis le temps mémorandaire, quotidien “Kathimeriní” du 11 mai.

Ce chiffre est d’ailleurs en hausse de 345% depuis 2013, faisant ainsi de l’État... le premier héritier des Grecs ! Socialisme... réellement existant ! Ce génocide social, culturel, économique et ethnique se dissimule alors très mal sous le seul lustre du tourisme comme de l’Airbnbisation d’une partie seulement du pays ainsi déréalisé. Ma tante Evangelía du village Thessalien, veuve, et qui ne peut que très difficilement survivre de sa bien maigre retraite au montant mensuel de 360€, vient de recevoir l’avis du fisc quant à la saisie à terme de son seul bien immobilier, c’est-à-dire, sa résidence, plus principale que jamais. Sa faute, fut de ne pas avoir réglé la taxe immobilière depuis trois ans, s’élevant à 450€ par an. Alerte... et alors solidarité familiale, mais pour combien de temps encore ?

Au même moment, et au sujet du démantèlement et de la vente forcée de la Régie grecque d’Électricité DEI, Státhis Stavrópoulos, sous le titre: “La trahison porte un nom, elle s'appelle trahison”, fait remarquer tant au sujet de la marionnette Allemande et Étatsunienne de l’arriviste Alexis Tsipras, que “la Grèce est devenu un protectorat, non seulement pour que ses richesses puissent être pillées, mais aussi pour que ses richesses exploitées dans le futur puissent l’être également. DEI ainsi violée et écartelée, elle incarne un exemple typique de ce qui va se reproduire lorsque les gisements, comme on sait importants, de gaz naturel seront alors exploités” (...).

“Cette histoire des gisements en Grèce, elle est connue depuis les années 1950, largement connue depuis 1970, et très largement connue car médiatisée actuellement. Entre temps, les Grecs ont été psychologiquement détruis, ils sont ces prisonniers économiques actuels, et ils ont basculé de la catégorie d’une nation ayant son État, à celle du Protectorat, lequel désormais appartient à certaines entreprises privées de taille, aux banques, et également à d’autres États.”, Státhis, “To Pontíki”, 10 mai 2018.

Cette même analyse vaut également pour le pillage des biens privés des Grecs, d’après par exemple ce que Marie-Laure Coulmin Koutsaftis expose à travers son article. La boucle est donc bouclée, celles aussi des pseudo-protestations des syndicats comme des autres partis essentiellement de gauche au-delà des escrocs de SYRIZA. Ceux de la droite et du centre y étaient déjà historiquement dans... le mauvais coup, à l’image du petit Mitsotakis à la tête de la Nouvelle Démocratie, autant il faut dire docile marionnette de Berlin.

En plus, SYRIZA/ANEL au pouvoir se constituent depuis 2015 une véritable armée de prétoriens/électeurs à travers les créations de près de 100.000 postes supposés provisoires dans la fonction publique et territoriale, d’après le seul critère, celui du pire des clientélismes car s’exerçant au détriment de ce qui reste de la société comme de l’économie en lambeaux. Les autres Grecs alors haïssent littéralement cette classe politique, sauf que la haine n’aboutit pas forcément à une alternative politique raisonnée et raisonnable. Sauf que le temps de la raison n’est certainement plus et pas qu’en Grèce.

Chant populaire dans une taverne. Athènes, mai 2018

Au Cap Sounion. Mai 2018

Ces autres Grecs, ils vont aussi se recueil devant ce nouveau magasin vendant des articles de sport, car c’est précisément ce bâtiment, abritant une banque, incendié le 5 mai 2010, ayant été la cible des supposés antifa et autres gauchistes, individus incités et/ou encadrés par des agents en somme du para-État grec, des services secrets d’autres pays, le tout, avec la présumée bien aimable participation pécuniaire de l’Empire du financier Soros (certains medias grecs évoquent ces faits ouvertement, dont une partie des journalistes radio sur 90.1 FM, et 98.9 FM entre autres, semaine du 5 mai 2018).

Le but de ce crime fut bien clair, briser l’élan des premières manifestations populaires très massives durant la période initiale de la politique mémorandaire, générant depuis le deuil interminable, la peur, la douleur et alors le chaos. Oui, le deuil, car lors de cette attaque criminelle trois employés de l’agence ont trouvé la mort, Angelikí Papathanassopoúlou 32 ans femme enceinte, Paraskeví Zoúlia, 35 ans, et Épaminondas Tsakális 36 ans. Les Grecs s’en souviennent, sauf évidemment l’amoraliste et “salopard” d’après ce que disent dans les cafés 80% des Grecs, Alexis Tsipras et son “gouvernement”.

Les Grecs s'en souviennent. Athènes mai 2018

Dans Athènes, nos musiciens et chanteurs des trottoirs de Rebétiko sont donc de plus en plus nombreux à se produire devant les badauds et les touristes. La façon dont la vie et la mort s’incarnent ainsi tout à coup dans ces lieux, parfois devant ces boutiques et les vies humaines du centre-ville en faillite est éloquente.

Les badauds et les touristes passeront ainsi, le plus souvent bien au-delà du deuil, comme un peu ces visiteurs du Cap Sounion ayant gravé leurs seules traces restantes sur les marbres du Cap Sounion au siècle dernier. Ah, le bien beau pays !

Traces laissées par les visiteurs d'antan. Cap Sounion, mai 2018

Entre les salopards d’en bas avec plus de 0,5 gr d’alcool dans le sang, et ceux d’en haut... avec 100% d’amoralisme dans le sang, le pays n’est pourtant pas encore tout à fait perdu.

“Entre-temps, ils nous tuent à de bien petites doses, de manière bien ordonnancée, savante et ceci en silence. Chaque jour nous rentrons chez nous pour y enterrer alors nos morts: tantôt une pensée, tantôt un sentiment. D’ici peu, nous n’aurons rien d’autre à réaliser, que de chercher notre gamelle, à la manière des chiens et des chats. Le tout hélas avec comme seul différence, le fait de porter en nous les restes des humains que nous étions”, écrivait ainsi avec amertume, le poète Yórgos Seféris dans son journal, à la date du 8 juillet 1940. Autre guerre ?

Premiers chattons. Athènes, mai 2018

Rebétiko, genre populaire anticonformiste qui anime toujours certaines âmes grecques depuis près d’un siècle.

Dans Athènes, nos chats adespotes, parfois fraîchement stérilisés par tous ceux qui s’en occupent, retrouveront sans doute leurs gamelles des rues et des fenêtres. Sinon, lorsqu’ils n’ont pas été encore stérilisés, c’est autant il faut dire le moment des premiers chattons de l’année 2018. Le pays... et son genre musical n’est donc pas encore tout à fait perdu !

Nos chats adespotes fraîchement stérilisés. Athènes, mai 2018




* Photo de couverture: Genre musical. Athènes, mai 2018