Greek Crisis

mercredi 22 février 2017

Printemps naissant



Il flotte comme un air de printemps dans le pays. Les ilotes des “élites” auront enfin moins de difficultés à chauffer leurs logis. Aux dires de tous, cet hiver finissant a été très coriace, au moment où le chauffage central reste à l’arrêt pour à peu près la moitié des immeubles athéniens. Ces derniers jours, les Grecs signalent d’abord ce renouveau des conditions météorologiques, et seulement ensuite, les conséquences... de l’énième “programme d'ajustement” décidé à l’Eurogroupe qui s’est tenu le 20 février à Bruxelles.

Femme âgée. Péloponnèse, février 2017

La presse s’efforce avec son habituelle suffisance à rendre si possible le sujet mieux digeste, pour annoncer en dessert... le retour prochain de la Troïka élargie à Athènes. D’après toujours les déclarations réjouies à la sortie de l’Eurogroupe, “Cette réunion a été jugée comme une grande réussite par les intervenants”. Cannibalisme alors post-civilisationnel. De son côté, seul le syndicat PAME (PC grec - KKE) a organisé une manifestation relativement bien suivie au centre d’Athènes et défilant devant le “Parlement” au soir du 21 février pour protester contre les mesures annoncées la veille. Effet pourtant feu de paille... sauf que la poutre est bien plantée dans notre œil.

Les Grecs se refugient alors comme ils le peuvent sous ces premiers rayons de grand soleil. En cette l’année 2017, le printemps naissant colporte dans l'air doux une douceur apaisante, c’est bien connu. Dans le Péloponnèse, les femmes d’un certain âge aux coiffes traditionnelles les plus courantes, occupent de nouveau les trottoirs, parfois un livre à la main. Finalement, la télévision, le numérique ou les Smartphones n’ont pas encore envahi l’ensemble des intelligences. Peut-être encore, parce que le printemps météorologique n’a jamais trompé personne, contrairement aux prétendus “Printemps politiques”.

Des affichettes sont apposées un peu partout dans les bourgades et jusqu'en ville, pour annoncer les festivités du temps carnavalesque qui est d’abord le nôtre, non sans évoquer sous un timbre de dérision, la triste situation concrète du pays. À Methana, bourg et en même temps presqu’ile homonyme du Péloponnèse, ce message festif est clair: “Nous vous attendons à notre bal masqué, c’est pour oublier les Mémoranda, et c’est pour expulser la Troïka de notre ville. Enfin, nous allons faire la bringue”. À Athènes, cette même semaine, c’est dans une ambiance semblable (ou plutôt invraisemblable), qu’une trentaine d’individus prétendument déguisés pour la... mascarade ambiante, ont lancé plusieurs cocktails Molotov sur la façade du bâtiment qui abrite le siège de SYRIZA avant de prendre la fuite.

Pierre Moscovici et les nouvelles mesures imposées à la Grèce. Presse grecque, février 2017

Des cocktails Molotov contre le siège de SYRIZA. Athènes, le 19 février 2017 (quotidien “Proto Thema”)

“Nous vous attendons à notre bal masqué”. Methana, Péloponnèse, février 2017

C’est alors cet air du temps également, que la presse (même mainstream) publie parfois ces dessins disons humoristiques, représentant le pays, et/ou le peuple grec, entreposé(s) dans un cercueil. L’inconscient collectif (comme celui des créateurs) mesure alors avec la meilleure précision possible, toute l’ampleur de la destruction... des psychès grecques. En sept ans de Troïkanisme réel... moins l’électricité (étant donné que plus de 10.000 cas de branchements sauvages après coupure, ont été détectés par la Régie rien qu’en 2016), les Grecs se sont transformés en hominiens tristes, démolis, rongés par la dépression.

Aux antipodes de l’univers des bipèdes “d'en bas”, le gouvernement des arrivistes d’Alexis Tsipras poursuit dans ses actions détruisant le pays et de la société, et accélérant l’adoption de mesures mémorandaires. Imposition écrasante, taxes, seuil d'imposition qui sera ramené à 5000 ou 6000 € de revenus annuels, entre autres mesures annoncées ou encore dissimulées dans les textes.

Situation ainsi symptomatique de l’extrême cynisme dont font preuve les dirigeants Syrizistes, l’adoption alors de l’énième plan d’austérité version 2017 dit aussi “de pilotage automatique”. Le “Parlement” légiférera un train de mesures sitôt “gravées dans le marbre”... du futur, car applicables... à partir de 2019 et s’étendant jusqu’en 2028. C’est-à-dire, allant bien au-delà de la législature de l’actuel “gouvernement” (élections législatives normalement prévues en septembre 2019).

Manifestation PAME (KKE), place de la Constitution. Athènes, le 21 février (presse grecque)

Presse française et année électorale. Présentoir, île de Póros, février 2017

Bois de chauffage accroché d'un balcon. Instantané depuis l'île de Póros, février 2017

Autant dire, combien et comment la tenue des élections sous nos régimes de métadémocratie européiste la plus... avancée et la plus avariée qu’il soit en ce moment, tient de plus en plus souvent de la mascarade. Légiférer par avance des mesures qui se... déclencheront comme des automates, seulement au moment des législatures suivantes, tient d’abord (et) de manière flagrante, d’un fait anticonstitutionnel fort grave. Cette question (de l’anticonstitutionnalité du projet de loi) a été posée précisément par le journaliste interviewant la porte-parole de SYRIZA Rania Svigou (radio 90.1 FM du Pirée, 21/02/2017). La jeune femme a répondu par un ton arrogant et d’une voix à peine gênée que “c'est alors ainsi depuis le temps du premier, comme du deuxième mémorandum entre 2010 et 2012, et qu’enfin de compte, la pratique des gouvernements précédents n’a pas été différente” (je cite de mémoire). Sans commentaire.

En Grèce, tout le monde le sait, les Syrizistes feront tout pour conserver les strapontins de cette “gouvernance” qui est censée être la leur. Le pouvoir ornemental n'appartient pas aux seules fleurs, qu’on se le dise. Bénéficier des subsides et des réconforts... réellement existants relève finalement de l’horizon historiquement indépassable en ce bas monde. Pour l’instant, le laborieux calendrier électoral aux pays de l’eurocentre semble bénéficier aux Syrizistes: Ne pas faire de vagues en ce moment avec la Grèce, maintenue dans sa morgue économique, ensuite seulement, on avisera, telle semble être l’attitude du moment. Attitude toutefois précaire et pour tout dire provisoire.

Cette gauche grecque Syriziste aura ainsi pleinement (?) incarné son rôle pour lequel elle aurait été finalement et historiquement... préparée en temps et en heure. Ou, l’art de prendre bien soin d'en exclure les peuples des tournants historiques, au moyen de la tromperie. Ce qui est valable pour une certaine gauche, l’est également pour toute formation de droite, du centre... comme de l’épicentre politique ainsi “destinée” de la sorte, autant en Grèce qu’ailleurs. “Citoyens” votez, il n'y a rien à voir.

Printemps à Methana, Péloponnèse, février 2017

Printemps à Methana, Péloponnèse, février 2017

Rencontres d'un autre type. Methana, février 2017

Sauf que cet agenda en marche forcée laisse échapper une odeur déjà, de totalitarisme mijotant: métadémocratie, métanthropisme, abolition du cash, interdiction de l’or, contrôle biométrique, censure des réseaux, contrôle draconien des productions du secteur primaire, recensement des puits d'eau partout en Grèce, annonce faite au sujet de l'arrivée des nouveaux compteurs d’électricité “communicants” de type Linky en Grèce, à l’exemple de la France, démantèlement de la Régie grecque de l’électricité (DEI), exigence réitérée de la Troïka lors de l’Eurogroupe du 20 février, la liste est dangereusement longue.

Retour... obligé à notre courte consolation. Le printemps enfin arrivé, et les Grecs préfèrent l’accueillir, plutôt que de suivre au mot, toute cette actualité accablante à répétition. “Les gens, surtout les jeunes, décrochent alors complètement des informations diffusées sur les chaînes de télévision, et parfois même autant et par analogie des radios. Puis... même moi, je ne supporte plus toutes ces mauvaises nouvelles arrivées par vagues. Humainement, instinctivement je dirais, je dois m’en échapper, sinon je vais sombrer complètement”.

Discussion d’actualité entre habitants de l’île de Póros. Sur cette île bien connue du Péloponnèse, c’est au café des skippers, comme presque partout ailleurs que les controverses tournent autour des préparatifs en vue de la saison touristique 2017.

Petite embarcation. Póros, février 2017

La poissonnerie. Póros, février 2017

Boulangerie-pâtisserie. Póros, février 2017

L’été, certes encore lointain mais enfin en gestation, voilà pour ce qui émane finalement de l’ambiance grecque du moment. La poissonnerie tourne nécessairement au ralenti, contrairement à la boulangerie... aux pâtisseries plus engageantes que jamais, car de toute saison. Aux longs moments de la crise, on dirait que les Grecs consomment davantage de sucreries qu’avant. En cette période de l’année, les petites embarcations resteront amarrées dans l’ordre qui est le leur, et les quais sont pour l’instant pratiquement déserts.

Quais calmes, toutefois à l’exceptionnelle présence d’un voilier immatriculé en Russie, dont l’équipage s’entraîne aux manœuvres au port, préparatifs sans doute et encore, en vue de la saison 2017. Russie toujours d’actualité à Póros, une plaque commémorative placée sur la façade d’un immeuble, rappelle à sa manière les débuts des relations diplomatiques entre la jeune Grèce indépendante du Gouverneur Ioánnis Kapodístrias et le représentant de la Russie, inaugurées dans cet immeuble en 1828.

Juste en face, à la plus juste mesure du temps dimensionné par certaines habitudes disons plus nobles des humains, l’immuable Villa Galini (“Sérénité”), riche demeure construite en 1894, longtemps louée ou prêtée à ceux... de droit. Le poète (prix Nobel de littérature en 1963) Yórgos Seféris , il y avait séjourné à plusieurs reprises, composant ses poèmes et écrivant son carnet personnel. Il écrivait notamment:

Café de l'île de Póros. Février 2017

Voilier immatriculé en Russie. Póros, février 2017

Plaque commémorative des relations diplomatiques entre la Grèce et la Russie. Póros, février 2017

Villa Galini, île de Póros, 2015

Póros a quelque chose de Venise: le canal, une communication entre les maisons en barque, le faste, la nonchalance, la tentation sensuelle, quelque chose d'esthétique, un lieu pour les amants du monde, la forêt des citronniers. Il y quelque chose de l'espace clos ici, avec la lune haut dans le ciel et toute la journée, l'écho de la bande des cuivres provenant de l'École navale. La nuit dernière, allant me coucher, je suis resté un moment sur le balcon de ma chambre, contempler la courbe des montagnes d’en face...” (13 août 1946). “De la splendide survie ; dès que je retrouve la campagne, les habitudes de mon enfance refont surface. Les paroles d’un batelier, les gestes d’un pêcheur, sont alors d’un tel prestige à mes yeux, rarement atteint en fréquentant les ministres, les professeurs ou les cérébraux. Ces autres, appartiennent à l’heure actuelle à un monde rituel. Tandis que ceux-là...” (16 août 1946)

Petites nouvelles... moyennes depuis le pays lunaire de l'autre... Europe. Cependant, il y flotte déjà comme un air de printemps. On pourra commencer à traire nos chèvres trois semaines après qu'elles ont mis bas, méditer devant l’embarcadère, ou alors examiner les rares métiers à tisser laissés en héritage dans certaines échoppes.

Nos chèvres. Péloponnèse, février 2017

Métier à tisser. Póros, février 2017

Méditer devant l'embarcadère. Póros, février 2017

Le printemps naissant colporte dans l'air doux une douceur apaisante, c’est bien connu.

Le printemps naissant... Methana, février 2017




* Photo de couverture: Printemps naissant. Presqu'ile de Methana, février 2017