Greek Crisis

vendredi 27 janvier 2017

Chypre embrassée par les vagues - II



Le lecteur attentif et souhaitons-le, conscient du moment historique qui est le nôtre, comprendra que l’actualité sur Chypre le concerne nécessairement, car ce qui s’y joue, n’est que l’expérience en réel de ce qui demeure programmé à cour et moyen terme, s’agissant de la mise à mort des États et des nations, (autant des peuples) autrement que par la guerre classique. Chypre embrassée ainsi par les vagues, et autant par celles de la géopolitique et des mutations métadémocratiques en cours (déjà) en Europe.

Eleni Theochárous, eurodéputé de Chypre. Athènes, le 23 janvier 2017

En ce deuxième volet dans une série de trois articles que je consacre au simulacre de négociation (comme au fâcheux simulacre de “solution” d’après les medias supposés influents), je me base entre autres aux deux interventions publiques à Athènes (22 et 23 janvier 2017) d’Eleni Theochárous, eurodéputé de Chypre. En 2015, elle quitte le parti du Rassemblement démocrate chypriote (DISY, parti politique conservateur chypriote et membre du Parti populaire européen) et fonde le Mouvement Solidarité.

Les derniers en date, soubresauts dans l’ontologie qui régissent et traversent ces négociations (en cours en Suisse au sujet de Chypre), tentent à imposer une “solution” de type néocolonial, faisant exactement suite au néocolonialisme intra Union Européenne des mémoranda et de la Troïka en Grèce, à Chypre et dans une moindre, et cependant “prometteuse” mesure... ailleurs.

Le contexte historique, déjà suffisamment dépendant d’une certaine forme de décolonisation inachevée vis-à-vis de la Grande Bretagne (et par extension des États-Unis que la diplomatie britannique y a obligatoirement “emmené”), s’y prête hélas de manière évidente. Déjà, de cette “solution” et autant plan supposée en cours de discussion, il y a absence de toute mention (réellement et pratiquement opérationnelle) de la souveraineté populaire. Une... nouveauté apparue ainsi officiellement dans une “Constitution” d’un pays de culture politique occidentale, qui plus est, faisant partie des... démocraties de la dite Union Européenne.

Eleni Theochárous, eurodéputé de Chypre. Athènes, le 23 janvier 2017

Aéroport fantôme de Nicosie depuis 1974

Aéroport fantôme de Nicosie depuis 1974

Depuis 1974, la Grèce, tout comme la République de Chypre placent avant toute négociation avec la Turquie (pays occupant après invasion militaire 37% du territoire à Chypre), le préalable du départ de l’armée d’occupation et l’abolition du système des Puissances garantes de Chypre (Grande Bretagne, Grèce, Turquie), position en partie paraît-il abandonnée lors des négociations en cours.

De son côté, la Turquie du Président néo-ottoman Recep Tayyip Erdogan, exige alors pour commencer, le contrôle du 45% de la zone économique exclusive (ZEE) de Chypre. Rappelons que d'après le droit de la mer, il s’agit de l’espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière d'exploration et d'usage des ressources. Et à Chypre des ressources il y en a, s’agissant de gisements de gaz naturel et d’autres hydrocarbures, à leur propos plus précisément la Turquie exige que les parties 6, 8 et 9 de cette zone soient dans le... cadre de la “solution”, exclusivement contrôlées par elle.

C’est alors pour cette raison que la minorité chypriote-turque (18% de la population en 1974 et pour la quelle évidemment tous les droits civiques et politiques doivent être exactement les mêmes que pour leurs concitoyens Chypriotes-grecs) est historiquement érigée par la Turquie en communauté, laquelle à ses yeux devrait (et la Turquie avec) contrôler à moitié et en réalité complètement l’île et sa vie politique, sa vie tout court en dehors de tout processus représentatif.

Au moment des... négociations en cours en Suisse actuellement, la Turquie poursuit de manière accélérée la construction de nouvelles bases et infrastructures militaires (ports, aérodromes et autres zones militaires exclusives) dans la partie occupée de la dite “République turque de Chypre du Nord”, ce qui en dit suffisamment long sur les plans réels à peine dissimulés de la, Turquie. À savoir, le contrôle absolu de l’île au moyen d’un régime politique néocolonial, avec l’aimable... participation de la Grande Bretagne, des États-Unis (en tout cas jusqu’à l’arrivée de Donald Trump ?), comme de celle de la dite UE, (Eleni Theochárous, Athènes, le 22 et 23 janvier 2017). Belles... perceptives !

Aéroport fantôme de Nicosie depuis 1974

Aéroport fantôme de Nicosie depuis 1974. Avion de ‘Cyprus Airways’ atterri le 20 juillet 1974 et jamais redécollé

Limassol à Chypre des nos jours (République de Chypre)

Plus précisément, le plan de la supposée “solution”, discuté actuellement à Genève et au Mont Pèlerin, prévoir d’abord une Présidence tournante (entre Chypriotes-grecs et Chypriotes-turcs) ainsi que la “participation efficace des Chypriotes-turcs à la gouvernance de l'île” (sic) textes officiels du projet, et donc le droit de veto. En plus la Turquie cette fois, exige que l’application des 4 libertés fondamentales qui régissent l’UE, puissent également s’appliquer à Chypre pour ses propres citoyens (de la Turquie) et que ces derniers (citoyens de la Turquie pourtant), puissent également être nommés au sein de la fonction publique du... nouvel État Chypriote fédéré.

Rappelons que ces quatre libertés sont, dans le cadre de l'Union européenne, les libertés garanties par le (funeste) marché unique, à savoir: la libre circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes. En somme, la Turquie obtiendrait de cette manière le contrôle total de Chypre, et par ce biais même, via le veto interne, et par extension via le veto externe (de Chypre, pays... membre de l’UE) ; ce pays pourra bloquer et/ou influencer les décisions et les orientations de l’UE qui ne seront pas compatibles avec ses intérêts. La presse allemande, évoque déjà l’affaire comme... une manière de faire entrer la Turquie à l’UE par l’issu de secours, (Eleni Theochárous, Athènes, le 22 et 23 janvier 2017).

Le plus grave c’est que le Président de la République de Chypre s’est rendu à Genève et cela officiellement comme... exclusivement le représentant de la communauté des Chypriotes-grecs, pour une conférence où un état souverain (ONU et membre de l’UE) s’est auto-aboli. Une première. D’abord le Président Anastasiádis n’avait jamais été mandaté pour agir de la sorte (Parlement, referendum...), et ensuite à travers un bref moment tragicomique au beau milieu de toute une historicité accablante, en quittant la salle où se tenait la Conférence, Anastasiádis avait prétendu sans convaincre qu’il y siégeait en qualité de chef d’État, à peine une minute plus tard, Kotzias, le ministre grec des Affaires Étrangères déclara le contrainte.

Chypre, Paphos.

Chypre, zone interdite.

Détail autant évocateur, son homologue Chypriote, Kassoulidis, a été... congédié de Genève et n’a pas pu participer aux pourparlers, telle avait été l’exigence de la Turquie sous la menace de quitter la Conférence (exigence couverte en réalité par l’ONU et par Jean-Claude Junker... l’observateur et comme on sait observateur des Traités de la dite UE, lesquels aucun processus démocratique n’arriverait à alors troubler). Cette logique reste au fond la même et pour la petite histoire, il a été prétexté que le Ministre... sans pays Kassoulidis, devait se rendre à Bruxelles car il y aurait “des choses à faire”. Le ridicule ne tue pas, sauf apparemment des peuples et des souverainetés qui devraient être les leurs.

Je dois ici préciser qu’au sujet évoqué, à juste titre d’ailleurs par Eleni Theochárous, celui des quatre libertés lesquels seraient applicables pour les citoyens de la Turquie obtenant de cette manière et via le veto externe une forme de contrôle sur les orientations de l’UE, je suis réservé. Et ma question aporique (en grec c’est autant par le mot aporie que l’on désigne cette forme de questionnement alors profond) posée publiquement lors du débat et... restée sans réponse, désigne cet apparent paradoxe de la relative indifférence et du laisser-faire à Genève et au Mont Pèlerin de la part de l’UE, surtout que ses intérêts sauraient mis en cause.

Près de l’aéroport fantôme de Nicosie depuis 1974

Débat sur Chypre. Athènes, le 23 janvier

La réponse qui ne m’a pas été accordée, restera hypothétique et néanmoins... étonnamment actuelle. D’abord, l’UE actuelle (comme passée) n’est pas une union entre pays égaux, souverains et libres, elle n’est pas une union du tout d’ailleurs. Cette géométrie variable au grand bénéfice de l’Allemagne il faut le dire aussi, est (et elle le sera de plus en plus) remarquée aussi quant à l’application des 4 libertés comme de tant d’autres.

Les pays (certains pays surtout) en décideront à leur guise, la libre circulation aura changé de... signalisation au cas par cas, l’UE, tout comme sa zone euro ne seront plus les mêmes, pour ne pas dire, qu’elles ne seraint plus tout court. Tout cela est en cours, l’élitocratie germano-européiste, Junker en tête en est bien consciente des enjeux, sauf que les peuples iront encore voter cette année... encore derrière le paravent des réalités.

Il y aurait peut-être, je le suppose en tout cas, une certaine forme de ‘deal’ et/ou de chantage entre les dirigeants de la Turquie (et pas seulement) et ceux des pays centraux de l’UE, et surtout de l’Allemagne (après la Grande Bretagne) au sujet de Chypre, notamment depuis que les élections allemandes (et françaises) sont proches, et que par exemple la crise (provoquée) des migrants est toujours ante portas. Plus profondément, ce ‘deal chypriote’ date des années 1950, où, comme l’avait déjà remarqué avec amertume le poète et diplomate grec Yórgos Seféris (écrits 1951-1956), il y a eu un parallélisme très exactement fait entre le sort de l’ile de Formose et celui de Chypre, entre le ‘Foreign and Commonwealth Office’ et le ‘State Department’, Chypre devrait rester sous contrôle des puissances occidentales.

Aéroport fantôme de Nicosie depuis 1974

Aéroport fantôme de Nicosie depuis 1974

Ensuite, d’autres... arrangements plus anciens sont connus (aussi) par certains documents de la CIA désormais déclassifiés, la dictature des Colonels en Grèce avait été mise en place (ou sinon propulsées) par les États-Unis dans la volonté de l’instrumentaliser et ainsi de faire disparaître la République de Chypre ainsi (et aussi) offerte à la Turquie. Tel avait été également le sens entier de la tentative de coup d'État contre le président de Chypre Makarios au 15 juillet 1974, par une partie de la garde nationale dirigée par des officiers Grecs acquis aux colonels donnant à la Turquie l’occasion d’intervenir et causant par la même occasion l’effondrement de la dictature des colonels (ayant pu remplir enfin toute... sa mission). Une opération en réalité estampillée Henry Kissinger, d’après les sources à présent avérées. Les Colonels grecs ont tout simplement incarné le rôle des idiots très utiles, et le légendaires: “Le Secrétaire d'État, devrait précisément pour ce qui est de l'invasion de Chypre par la Turquie, être poursuivi pour crime contre l'humanité” .

Plus près de nous, et s’agissant de la précédente tentative de “solution” du problème chypriote en... prenant les mêmes et en recommençant. C’était en 2004, durant la période du... plan Annan (rejeté par referendum à Chypre). à son propos, Daniel Fried avait en 2003 publiquement admis que le plan Annan pour Chypre avait (entre autres) comme but de faire de Chypre, l’otage stratégique d'Ankara (en plus de plusieurs milliards de dollars en jeu). En échange, Ankara permettrait aux États-Unis d’ouvrir un deuxième front à travers la Turquie pour l'invasion américaine de l'Irak prévue en 2003. Il y e eu même cet ordre tout autant cynique que Washington a adressé à la délégation américaine en Suisse en 2004, littéralement: “shoot the south” (Mihális Ignatiou et Mários Evryviadis, 2014). Comme quoi...

Aéroport fantôme de Nicosie depuis 1974

Le plan actuel de 2016-2017 “pour solutionner” le problème Chypriote (en réalité problème entre puissances occidentales et parfois au-delà), est une version réchauffée du plan Annan de 2004, et une... réincarnation moins criante des aspirations en partie réalisées en 1974 de Henry Kissinger. La dite solution, c’est de créer un nouveau Protectorat de la Turquie (et des Puissances occidentales). Ensuite, et dans une telle perceptive, la porte sera ouverte à l’islamisation de l’île, au départ des habitants (pourtant majoritaires) Chypriotes-grecs, voire Chypriotes-turcs, le tout au moyen d’une tératogenèse d’un nouvel pseudo-État.

On sait ainsi que la Turquie a adressé un document officiel au Conseil européen (UE) en 2014, arguant que la République de Chypre est une entité étatique mourante (sic), les gouvernements des autres pays, n’ont pas eu l’air de s’y positionner vraiment sur ce document (Eleni Theochárous, Athènes, le 22 et 23 janvier 2017).

Ce nouveau... Protectorat, État qui serait basé sur le communautarisme et ainsi gouverné par lui seul, dans une forme de régime qui ignorera la majorité des habitants (légaux), sans armée... hors l’armée occupante de la Turquie (dont l’armée a aussi pénétré en Surie et en Irak) et qui ne partira pas, voilà pour l’essentiel de l’expérience. Tout cela, et voilà toute la nouveauté en comparaison à 2004 ; constitue un Coup d’État de la part du Président Anastasiádis, car... même Henry Kissinger peut apprendre de ses erreurs... en les améliorant.

Le President Anastasiadis (presse grecque)

Certaines sources internationales croient en plus savoir que la... petite fille spirituelle de Henry Kissinger, Victoria Nuland, très active dans ce nouveau processus chypriote, menacerait directement le Président Anastasiádis, potentiellement “rattrapable” pour certaines affaires de son cabinet d’avocats sur sol des États-Unis.

Le Coup d’État en cours consiste (en cas de réussite) aussi en cela: Le Président Anastasiádis, s’adressera à l’ONU pour qu’il adopte une nouvelle résolution entérinant le plan actuel et ainsi annulant ses décisions précédentes (notamment celles condamnant l’occupation militaire turque à Chypre du Nord). Ainsi, devant ce fait accompli, le moment du... referendum serait court circuit avant qu’il ne soit même organisé. (Eleni Theochárous, Athènes, le 22 et 23 janvier 2017). Et avec autant, l’aval de la dite Union Européenne. Comme l’a déjà dit Jean-Claude Junker, “Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européen”. Apparemment, ni contre la géopolitique des puissants.

Sauf que le temps presse et que les peuples devraient comprendre que ce processus dans l’utilisation d’une minorité en communauté stratégique dans le but de diviser un peuple et de détruire même un État (comme la souveraineté populaire) constitue une menace à peine voilée, qui guette alors les autres peuples, nations et états de la trop vielle UE.

Coup d’État permanent, nous y reviendrons (au troisième et dernier volet de ce travail consacré à l’actualité très européenne de Chypre) pour le lecteur attentif et souhaitons-le, conscient du moment historique qui est le nôtre.

Temps, guère très nouveaux sur Terre. “Sous les spleens insulaires, des petites pluies fines”, comme l’écrivait alors le poète (Jules Laforgue) à sa manière, la géopolitique en plus. Vieilles querelles !

Vieilles querelles ! Athènes, 2017




* Photo de couverture: La mer Égée depuis le Cap Sounion. Janvier 2017