La Grèce, en été, rime avec soleil et... avec tourisme. Il y fait chaud, très chaud même, avec une température moyenne en ce moment de 30 °C et des pointes à 40 °C. Les stéréotypes du voyage en Grèce seront ainsi... et d’abord sauvés. Et la canicule marquera encore ses points sur le... Camp grec et sur son univers concentrationnaire économique à ciel clair.
Sur le marché près d'Athènes, juin 2016 |
Sur un marché près d’Athènes, un vieil homme propose à son habitude une bien maigre quantité de poisson. J’en achète un kilo pour quatre euros, le vendeur est un retraité qui complète ainsi sa maigre retraite, économie de plus en plus parallèle au néant devenu habituel.
De son côté, la presse de la semaine croit savoir que bien d’autres, commerçants plus nantis paraît-il que nos retraités revendeurs de poisson comme d’objets de la dernière pacotille, font la... grève de la TVA, depuis nos îles, les recettes de la TVA enregistrent une baisse allant de -30% à Corfou et jusqu’à -62% depuis cette... “pauvre” Mykonos.
“Il y a sans doute d’autres îles aussi belles dans la mer Égée. Mais Mykonos est celle dont la beauté est la plus célèbre et la plus fréquentée: et, par voie de conséquence, la plus menacée. Déjà les yachts des milliardaires viennent rendre visite au port. Il y a quatre ans, au moment de la grande foule, au milieu d’août, nous ne devions pas être plus de trois cents à séjourner à Mykonos. Nous étions bien mille cette année, et parfois plus de cent sur une même plage. Ce n’est pas encore insupportable. Il y a beaucoup de plages à Mykonos, certaines restent désertes. Il y a quatre ans, le parc automobile de Mykonos ne comportait que deux taxis, dont la navette active (...) assurait le service des plages, et un vieil autocar pour la liaison avec le village de l’intérieur. Les chemins sont toujours aussi mauvais”.
La revue devenue légendaire des années 1930, “Le voyage en Grèce”. |
Grèce des années 1950 d’après la revue “Life” |
“Mais les taxis sont six au moins, il y a trois autocars, deux plus grands, un plus petit, trois ou quatre voitures à chevaux comme au Rond-Point des Champs-Élysées ; tout cela frôle dangereusement les petits ânes chargés de vieilles femmes, de paniers, de jarres, d’enfants, harcèle les promeneurs, parvient à se croiser par on ne sait quel prodige lorsque au détour d’un chemin large de trois mètres et bordé de murs, deux capots se trouvent soudain nez à nez. On a même construit un grand hôtel pour les touristes. Il est heureusement caché dans un pli de terrain, et dispersé en pavillons de peu de hauteur”, écrivait déjà Thierry Maulnier en 1964 dans... “Cette Grèce où nous sommes nés”... avant la TVA à 24%, extrait cité par l’historienne Mathilde Chèze dans son remarquable travail sur le tourisme en Grèce. Solides alors... stéréotypes du voyage en Grèce !
En ce même 2016... dans un quartier d’Athènes, une femme médecin annonce sur sa plaque collée encore à l’entrée de l’immeuble où elle exerçait, que... “Le cabinet médical est définitivement fermé, pour cause de départ et de l'installation de la praticienne à l'étranger depuis février 2016”. En face, la superette ouverte sous la crise il y a à peine un an, est sur le point de mettre la clef sous la porte, les étalages se vident et tout produit restant est vendu à 40% de son prix initial, cela-dit... mieux que la Grèce bradée sous l’ère Tsipras. Été ainsi chaud et moins touristique que prévu cette année... Grèce fantôme.
Le cabinet médical est définitivement fermé. Athènes, juin 2016 |
Tout produit, vendu à 40% de son prix initial. Athènes, juin 2016 |
Tout produit, vendu à 40% de son prix initial. Athènes, juin 2016 |
Siècles qui sont alors bien les nôtres, donnant le tournis. Michel Leiris, le grand ethnologue de “L'Afrique fantôme”, avait visité la Grèce il y a un peu moins d’un siècle, en 1927.
“Leiris abandonne donc le parti communiste et - tout au moins intérieurement car la rupture officielle ne viendra que plus tard - le surréalisme. Son désarroi est tel que, pour fuir, il entreprend ce que le texte ‘Fibrilles’ appelle un ‘lâchez tout’, un long voyage solitaire, d’abord en Égypte où son ami Limbour travaille comme professeur de français, puis en Grèce. Ce périple a eu lieu pendant l’été 1927, et s’est poursuivi en Grèce pendant plus de deux mois. Si Leiris n’a publié de ce premier voyage aucun journal, autre que le texte romancé d’Aurora, il en donne un assez long récit dans ‘Fibrilles’ (...) et quelques aperçus dans un article de 1934, dans la revue, ‘Le Voyage en Grèce’.”
“Des deux étapes de ce voyage, l’égyptienne et la grecque, il semble que c’est la seconde qui a eu, sur lui le plus grand retentissement, celle en tout cas, dont il a le plus parlé. Les raisons de ce déséquilibre sont, d’une part, le fait qu’il était seul en Grèce, d’autre part la surprise que lui a réservé un pays, qu’antérieurement il refusait, comme partie d’une culture classique détestée. Dans le récit de ‘Fibrilles’, on peut lire en filigrane, les révélations qui seront celles du second grand voyage: la découverte du peuple, de la présence du sacré dans la population, l’idée que le voyage permet de réaliser certains rêves enfantins d’identification à des héros.”
“La revue ‘Le Voyage en Grèce’, publication de propagande touristique, créée en 1934, était éditée par les Croisières Paquet. Elle a étrangement obtenu la participation d’écrivains de l’avant-garde. Raymond Queneau, qui, lui aussi, a effectué un voyage en Grèce à un moment tournant de sa vie, y a collaboré à plusieurs reprises, et a ensuite donné pour titre ‘Le voyage en Grèce’, à un recueil de différents articles théoriques.”
Michel Leiris vers 1927 |
Croisières d'époque. |
De la même époque... |
“Leiris, dont le périple grec, pour important qu’il ait été, n’a pas revêtu une signification symbolique aussi précise que celui de Queneau, n’a participé qu’au premier numéro de la revue en répondant à une enquête: ‘Qu’attendiez-vous de ka Grèce ?’ Son témoignage insiste d’abord sur surprise que lui a réservé un pays, qu’il situait du côté du bon goût et de la modération, mais qui s’est révélé sauvage et convulsé. à travers quelques anecdotes, qui, à peine développés, seront reprises dans le passage correspondant de ‘Fibrilles’, il insiste sur la présence du mythe et du sacré chez le peuple grec”, note avec justesse Annie Pibarot dans son ouvrage: “Michel Leiris. Des premiers écrits à L'Age d'homme”.
À cette même question - note Mathilde Chèze - “‘Qu’attendiez-vous de la Grèce ?’, ils sont nombreux à répondre et, souvent, se livrent à un examen détaillé de leur perception de la nation grecque. En marge des longues considérations, Raymond Queneau livre, lui, en une phrase, sa pensée: ‘Je n’en attendais rien ; j’en suis revenu autre.’ Cette déclaration originale tranche avec l’image de la Grèce qui prévaut dans l’esprit de bon nombre de Français au début du XXe siècle. Pour beaucoup, il n’est de Grèce qu’antique. Dans cette perspective, la France est perçue comme le dépositaire exclusif de l’héritage grec, qu’elle sait, mieux que tout autre pays, mettre en valeur ‘de la manière la plus large, la plus originale, la plus créatrice’”.
Sauf que la musique de l’histoire ira alors de surprise en surprise. Croisement d’époques et de destins. David Nachmias, narrateur de notre musique, des musiques du monde et d’abord musicien, a agréablement rafraichi notre mémoire en la matière, dans une émission (rediffusée) de notre Troisième (et unique) radio culturelle et musicale (publique ERT) samedi dernier, au sujet des séjours créateurs en Grèce dans les années 1930 du grand compositeur du Tango argentin, Eduardo Bianco à la biographie il faut dire bien... controversée... et pour cause.
L'Orchestre d'Eduardo Bianco |
Prière ou 'Plegaria' - 'Le tango de la mort' |
Il faut souligner que Bianco avait été associée étroitement aussi avec la Grèce, Il était venu pour la première fois à Athènes en 1929 et il avait donné une série de concerts, c’est pratiquement la même période que celle du “Le Voyage en Grèce” (et de celui de Michel Leiris). De nombreuses chansons écrites ou adaptées, ont été interprétées avec des paroles en grec et Eduardo Bianco est devenu ainsi très populaire, “presque naturalisé grec”, d’après les chroniqueurs de la presse grecque d’alors. Par sa venue, le tango en Grèce avait acquis aux yeux (et aux oreilles) de tous, une saveur argentine.
Il a entre autres composé 22 chansons pour l'opérette "Argentinos" aux textes d’Alékos Sakellarios, mis en scène dans le théâtre "Kentrikon" en 1937, un énorme succès, où il a d’ailleurs rencontré et travaillé (avec) de nombreux artistes bien connus, musiciens, auteurs-compositeurs et chanteurs. Après la guerre (et après ses liens... controversés avec le nazisme), Bianco est retourné en Grèce, il a déménagé à Athènes où il y a fait quelques apparitions avec les musiciens du ‘Green Park’, et cela jusqu'en 1950, avant son retour définitif en Argentine.
David Nachmias aux origines juives, notre narrateur des musiques du monde et musicien, n’a pas oublié de diffuser (et cela dans plus de dix versions) la célèbre (autant tristement) chanson “Plegaria”, “Sans prêter précisément attention aux paroles en espagnol, il semble néanmoins qu’Hitler ait apprécié la musique dans la mesure où il demanda de l’interpréter à nouveau et ordonna que Plegaria soit jouée par des musiciens juifs et diffusée dans les camps de concentration, notamment pour accompagner les déportés juifs vers les chambres à gaz”. Et c’est ainsi que ‘Plegaria’ deviendra le ‘Tango de la Muerte’ (Tango de la Mort) selon le poète roumain Paul Celan, lui même déporté dans le camp de concentration de Janowska et témoin de cette macabre orchestration.
Plage tôt le matin. En Attique, juin 2016 |
Chaleur étouffante pour tous... aussi chez-nous. Athènes, juin 2016 |
Rassemblement de quartier du PC grec (KKE). Juin 2016 |
Rassemblement de quartier du PC grec (KKE). Juin 2016 |
Prière... d’actualité dans un sens, chaleur étouffante pour tous (aussi chez-nous), et temps des souvenirs... inoubliables d’avant-guerre (et de la guerre) pour les touristes d’alors.
Chaleur ainsi étouffante pour tous... à Athènes en ce juin 2016. Le “gouvernement” Tsipras annonce tous les jours, reformes et mesures diverse, peu variées dans leur essence. Modifier la loi électorale pour que SYRIZA demeure dans le jeu politicien, dans un “Parlement” plus... cosmétique que jamais auparavant, proposer une “nouvelle Constitution”, enfin... exactement conforme aux dictats des mémoranda, supprimer le statut des marins travaillant encore au sein de la marine marchande, “l’alignant” sur celui des travailleurs de... partout ailleurs, au pays des Conventions collectives assassinées et des salaires réduits en pourboires ; l’été grec, le Syrizisme et notamment le... cynisme.
Été grec chaud, juin à Athènes, et le PC grec (KKE) organise ses rassemblements dans les quartiers dans l’indifférence totale, les participants, membres et cadres du trop vieux parti ont aussi l’air désabusés... pratiquement un siècle après Michel Leiris lorsqu’il abandonna le parti communiste et - tout au moins intérieurement car la rupture officielle ne viendra que plus tard - le surréalisme.
Oui, le surréalisme enfin... et le “Tango de la Muerte”, derrière nos claviers modernes... sous la surveillance des immuables “Sphinx” d’ici, et sans doute d’ailleurs.
Sous la surveillance des immuables “Sphinx”. Athènes, juin 2016 |
* Photo de couverture: Athènes du temps de Michel Leiris