La poésie aurait pu être cette première réaction des êtres doués de conscience face à ce qui advenait en eux et autour d’eux. Sauf que trop souvent tout peut se dérouler autrement. Actuellement, les consciences sont travaillées jusqu’aux extrêmes limites, en Grèce comme bien souvent ailleurs. Le temps nous file entre les doigts, temps... chronique mais également ce temps opportun et ainsi propice des Anciens: “Kairós”. Propice certes, mais sinon vraiment au profit de qui ?
“Kairós” de Bruno Meyssat. Théâtre d'Aubervilliers, avril 2016 |
Philippe Chevilley dans “Les Échos” (4 avril) écrit que “Bruno Meyssat s'attaque à la crise grecque dans 'Kairós?', la 'Pièce d'actualité' à l'affiche du théâtre de la Commune d'Aubervilliers” (...) “une pantomime tragique, qui met en cause l'autisme des responsables européens face à la détresse du peuple grec. Étrange et fascinant. L'actualité s'invite de plus en plus souvent sur les planches”.
“Même s’il reprend des déclarations d’hommes politiques et d’experts financiers (en voix off ou projetées en fond de scène), le théâtre de Bruno Meyssat n’est pas à proprement parler documentaire. En amont, le metteur en scène a certes beaucoup travaillé: il est allé plusieurs fois en Grèce, à Athènes, a consulté moult documents, a rencontré beaucoup de gens et a fait en sorte que les comédiens sur scène soient imprégnés de toute cette matière vive. La suite est un travail de plateau, avec le maniement d’objets plus ou moins symboliques, une gestuelle savamment étudiée. Résultat: une fable jouée-dansée, quasiment sans parole, une pantomime noire”.
C’est alors ainsi que Bruno Meyssat est déjà venu à ma rencontre à Athènes, puis, il a emmené avec lui ses comédiens et ensemble, nous avons tenté... cette (déjà) paléoanthropologie bien douloureuse des figures humaines de la dite crise grecque. Je lui avais dit ceci, un jour pourtant bien ensoleillé dans Athènes: “Comme si la crise de la Zone Euro était une affaire grecque et non pas un labyrinthe allemand, français, voire même américain. La question centrale n’est ni l’euro ni la dette, c’est la démocratie”.
Manifestants contre la baisse des retraites. Athènes, avril 2016 (presse grecque) |
Des... urgences. Paris, avril 2016 |
Non à la terreur. Athènes, avril 2016 |
La semaine dernière, invité du Théâtre de la Commune, j’ai participé à deux débats devant le public de la pièce “Kairós”, une discussion de fond sur les enjeux comme sur la dernière actualité de la situation grecque ; avec mon ami (historien, politologue et romancer) Olivier Delorme pour la perspective historique, Frédéric Farah pour l’aspect économique, tandis que j’ai davantage exposé sur le présent, le vécu et notamment, sur le ressentiment issu du terrain supposé encore humain de la crise grecque (2 avril).
Puis, lors du deuxième débat, Michel Husson, économiste, membre de la Commission pour la vérité sur la dette grecque a entre autres raconté comment cette Commission avait été d’abord calomniée par une certaine presse et surtout par la suite, comment elle avait été dissoute (le terme est faible) par le gouvernement SYRIZA/ANEL - No 2.
Le théâtre sûrement, relève de cette première réaction des êtres doués de conscience face à ce qui advenait en eux et autour d’eux, tel est autant l’état d’esprit d’un bien large public français je dirais, devant une situation visiblement et suffisamment... devenue “pratique”: “réformes” à la française, loi-travail, précarisation, et enfin, la réaction dans la rue. “Tout le long du défilé - rapporte ‘Le Monde’ - ce samedi (9 avril), l’ambiance est pourtant pacifique, joyeuse, bon enfant et en musique. (...) Vers 14 heures, les manifestants abandonnent la place de la République et ses stands de vente de sandwichs-merguez, pour avancer, dans le calme et sous une pluie fine, vers le boulevard du Temple les conduisant à Bastille. Un groupe de funk composé de cuivres joue L’Internationale. L’union syndicale Solidaires diffuse le Motivés de Zebda”.
Inquiétudes et luttes en France. Paris, avril 2016 |
Instantané... touristique. Paris, avril 2016 |
“Patrons salopards”. Athènes, avril 2016 |
Toute proportion gardée, je crois comprendre que l’actuel Kairós de la France, serait-il ce temps protomémorandaire auquel... nous avons eu droit en Grèce, entre 2009 et surtout en 2010. Depuis... nous traversons la septième année dite “de crise”, c’est-à-dire, la septième année depuis ce changement de régime qui consiste à signer des mémoranda à répétition avec la Troïka et ainsi, à faire saigner la démocratie subsistante, alors vider (comme c’est actuellement en cours en Grèce sous SYRIZA) de sa dernière substance le code du travail, dans une mise à mort de la société, des droits, et alors en somme, de la souveraineté du pays... Hélas, le chemin est finalement pas si long.
De retour à Athènes - où les manifestations initiées par les syndicats n’ont pas connu vraiment de succès cette semaine, j’ai remarqué ces nouvelles affiches au centre-ville dénonçant notre autre Kairós bien avancé: “Patrons salopards, cotisations volées et travail non déclaré”, un état des lieux bien grecs, mais qui deviennent alors la règle, la seule règle presque lorsqu’au même moment (avril 2016), la Troïka élargie exige et obtiendra sans doute du gouvernement SYRIZA de légiférer... de fait, pour ainsi “libérer totalement les licenciements”, c’est la terminologie d’ailleurs exacte, restituée par les medias grecs (9 avril).
Seulement, lorsqu’on n’est pas entièrement touriste de son temps, et lorsqu’on participe... de plein gré aux deux univers culturels (et linguistiques), on ne peut que constater toute la distance qui sépare (pour le moment ?) les deux historicités de l’instant ‘T’ actuel, entre la France et la Grèce et en 2016. Comme je le disais devant le public du théâtre d’Aubervilliers, nous avons en Grèce une longueur d’avance... dans la destruction de la démocratie (déjà oligarchique), destruction accompagnée et (définitivement ?) aggravée par celle de l’espoir faussement incarné par SYRIZA et dans un sens plus large, par toute la gauche car tel est l’état d’esprit en Grèce en ce moment, Kairós alors implacable, surtout lorsqu’il n’a pas été (bien) saisi à temps.
Spectacles à Athènes et “Rêves faits main”. Avril 2016 |
Manifestation initiée par les syndicats peu suivie. Athènes, avril 2016 (presse grecque) |
Les chômeurs de Patras arrivent à Athènes. Affiche, le 9 avril |
Kairós certes implacable, et malgré cela, la poésie et le théâtre ne sont pas les seules réactions des êtres doués de conscience face à ce qui advenait en eux et autour d’eux. Dans un climat grec plus que délétère, animé (aussi) par la crise des migrants (et) à la multiplication des violences entre migrants dans les campements mais aussi entre Grecs solidaires des migrants et... Aubedoriens réapparus ainsi sur la scène publique (affrontements par exemple au Pirée cette semaine) ; dans un tel climat donc, voilà que l’arrivée à Athènes (dimanche 10 avril) des chômeurs de Patras après une semaine de marche de la dignité contre le chômage, participe aussi du rappel pour la lutte, comme autant de la réaction des êtres doués de conscience (même trahie).
Je crois pourtant comprendre et surtout sentir tout ce vent mauvais de l’actuel Kairós comme une cristallisation en accéléré des représentations grecques, depuis, et par cette dernière dite crise des migrants. Tout d’abord et à ce propos, de nombreux analystes du phénomène s’expriment dans la presse grecque (et cela contrairement à une certaine presse occidentale), pour insister sur le caractère “technique” de ces migrations.
Autrement-dit, et même si elles portent autant en elles le drame (entier) des réfugiés, ces migrations sont pour ainsi dire organisées, financées et orientées, car elles participent (à leur manière) à la géopolitique et à la mécanique sociale de notre monde visiblement trop actuel. Pour ne pas tourner autour du pot comme on dit, l’usage des victimes... exotiques (migrants) en tant qu’arme de déstructuration complémentaire des sociétés, et cela contre les victimes déjà “ésotiques” (de l’intérieur) de la mondialisation, correspond à mes yeux à une étape supplémentaire dans la guerre que nous vivons et qui ne dit pas encore son nom (en entier).
Migrants et réfugiés au Pirée. Avril 2016 |
Contrôle de l'ensemble des passagers en prévenance d'Athènes. Aéroport de Roissy, avril 2016 |
Une certaine vérité exprimée à Paris. Avril 2016 |
Sur le sol grec, tout... y est en ce moment: certains représentants (officiels ou officieux) de gouvernements très agissants dans la dérégulation des échanges (comme autant du sens commun), ceux des organismes internationaux, et surtout ces agitateurs issus des ONG financées (entre autres) par les financiers et apôtres de la mondialisation tel Soros, couveuses alors extraordinaires d’agents spéciaux et d’espions comme de trafiquants et d’opportunistes de toute sorte, sans parler des vrais (ou faux) Djihadistes qui agissent à peine dissimulés parfois, voilà pour ces structures très présentes actuellement, et portant sans doute le coup de grâce à la souveraineté grecque, avec l’aimable participation d’Alexis Tsipras et de ses proches (autres) escrocs politiques comme lui.
Une personne ayant directement participé à cette nébuleuse des ONG à Idomeni (où se trouve un bien sinistre camp abritant plus de dix mille migrants et refugiés aux conditions épouvantables), me disait peu après mon retour à Athènes que “l’enjeu financier est énorme, l’argent tombe comme de la pluie sur les ONG, et les nombreuses visites qu’effectuent sur place les diplomates, les agents et les... personnalités influentes du monde actuel, tout cela prouve bien toute la triste réalité des enjeux qui n’ont alors rien, mais rien d’humanitaire”.
C’est alors Bernard Kouchner, lequel a une fois de plus répété l’essentiel au micro de France-Culture la semaine dernière: “Il va falloir encore réduire les prérogatives des États, en pratiquant notamment l'ingérence humanitaire” (je cite de mémoire). Ou encore, cette autre réflexion largement anti-démocratique et pour tout dire porteuse du nouveau totalitarisme en germe, ainsi exprimée par une journaliste de cette même radio (hélas depuis un moment inféodée à la pensée unique des modalisateurs), à l’occasion de ce qui est présenté à l’opinion occidentale comme le nouveau scandale de... Panama: “il va falloir imposer une fiscalité mondiale à tous les états” (citée de mémoire - semaine du 3 avril).
L’obscénité existentielle... et l'euro. Paris, avril 2016 |
Une certaine vision de l'autre Grèce. France, avril 2016 |
Littérature et cinéma actuels. Athènes, avril 2016 |
Pour mon autre ami, l’économiste Fréderic Farah, cette capitulation grecque (officielle) devant son... sort désormais autant liée à la dite crise migratoire (c’est-à-dire, le fait d’imposer la présence sur son sol des centaines de milliers de migrants en dehors de tout débat, et après avoir imposé le mémorandum de la suppression des droits sociaux et de fait, celle de la Constitution), rappellerait toute proportion gardée, les funestes accords du Caire (1969) pour le Liban:
“Les dirigeants du Liban à l'époque, affaiblis et largement trompés et/ou vassalisés, ne savaient même pas ce qu’ils étaient en train de ratifier. Faire ainsi de la Grèce un pion dans la géostratégie... des migrations actuelles, n’a été possible qu’après avoir détruit ce qui restait de l’autonomie dans le processus décisionnel, et cela ne présage rien de très apaisant je dirais” (lors du débat après la pièce Kairós, je cite de mémoire).
Il faut rappeler que les Accords du Caire ont été des accords secrets signés le 3 novembre 1969 entre les délégations libanaise et de l'OLP réunies au Caire pour tenter de mettre fin à la crise opposant les mouvements palestiniens, sous l'action des fédayins de l'OLP, et l'armée libanaise. Ces accords instaurent un compromis en réaffirmant (sur le papier) la souveraineté du Liban tout en légalisant la présence armée des Fédayins palestiniens de l'OLP dans le sud-Liban, une situation qui fut par la suite une des causes principales qui amena à la guerre du Liban en 1975.
Fréderic Farah (dont les origines familiales sont en partie libanaises), croit reconnaître dans la situation grecque actuelle et plus particulièrement s’agissant de l’installation massive (et programmée) des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes issues des réalités meurtries de l’Orient musulman (majoritairement, hommes jeunes entre 15 et 55 ans d’après les données publiées par ONU), tous les dangers que cela comporte comme ouverture (supplémentaire) vers le chaos... ainsi durablement développé.
Bizarrerie parisienne. Avril 2016 |
Gloire parisienne. Avril 2016 |
Quotidien athenien. Avril 2016 |
À cette analyse de Fréderic Farah, j’y ajouterais ceci: l’arrivée au pouvoir de SYRIZA avait été une... prise en main supplémentaire de la situation par l’élite qui nous gouverne (Troïka, mondialisateurs), très exactement (aussi) parce que la précédente marionnette de Samaras, aurait peut-être moins bien collaboré dans le dossier... de l’avènement préparatoire des migrants en Grèce.
Au passage, qui est alors entièrement le sien, SYRIZA (ou plus exactement la clique des arrivistes qui l’ont dirigé depuis 2012 environ), a tout fait pour neutraliser les luttes sociales en Grèce, a sabordé ses propres cellules vraiment de base, pour ne pas évoquer la liquidation de la Commission de vérité sur la dette grecque que Zoé Konstantopoúlou a eu le mérite et ainsi le grand courage d’instituer durant son bref mandat à la Présidence de l’Assemblée nationale.
Les derniers... authentiques orphelins de la Gauche grecque ne savent vraiment plus où... migrer. Mon ami Dimítris Belandís, ancien au Comité central SYRIZA et déjà... ancien de l’Unité Populaire des derniers Lafazanistes ne mâche plus ses mots: “Lorsque j’étais au Comité central, j’avais commencé à comprendre combien la clique autour de Tsipras (et Tsipras alors en personne), étaient en train de nous mentir pratiquement sur toute la ligne et sur tous les sujets, ou sinon, nous n’apprenions rien sur ce qu’ils étaient en train de préparer après avoir consulté les... maîtres du jeu international. En l’état actuel des choses, la Gauche, et cela dans son ensemble est piégée, par exemple sur le problème posé par les migrants car nous ne pouvons pas proposer de ‘solution’ qui équivaudrait à peu près à les laisser se noyer... tout devient complexe et je crois que la Gauche n’aura plus aucune chance de revenir sur la scène politique en Grèce avant dix ou vingt ans, après ce qui s’est passé avec SYRIZA”, (cité de mémoire, avril 2016).
Nos poètes. Avril 2016 |
Une fois n’est pas coutume car bien en phase avec nos poètes du Kairós fort actuel, la politique (en réalité la société) grecque ressemble à du sable mouvant. Les Grecs (tous ceux que je rencontre au hasard dans les rues et dans les cafés) sont à 90% outrés (le mot est faible) de cet (ultime ?) outrage commis pas SYRIZA au pays entier, sociologie de gauche comprise:
“Je ne comprends pas pourquoi nous, citoyens du pays, pouvons nous être contrôlés dans la rue par les policiers, au service d'un État d'ailleurs agissant contre les intérêts du peuple des travailleurs restants, et ces gens alors venus d’ailleurs obtiennent de fait le droit de s’établir ou de circuler sans d’ailleurs pouvoir établir avec certitude, l’exactitude même vague de leur identité. Et après tout, je ne supporte absolument pas la culture politique du voile islamique, un positionnement hostile à ma culture politique, ma femme, nos femmes ont ainsi lutté politiquement pour obtenir une place dans la société, autre que ce que leur imposerait une certaine théocratie. Nous ne luttons pas contre l’irrationnel des financiocrates pour être alors submergés par l’hétéronomie de l’irrationnel religieux... quel qu’il soit sous prétexte de multiculturalisme... devenu ainsi rouleau compresseur (annexe) contre les résultats des luttes pour la liberté et pour l’égalité chez nous”, paroles de mon ami T., chômeur (anciennement journaliste) qui a toujours milité à gauche... et qui se retire ainsi depuis le terrible été 2015.
Dimítris Belandís et certains autres à gauche sont de fait fort conscients de tout ce que mon ami T. exprime. Sauf que le Kairós de la Gauche (son temps opportun) entre 2011 et 2015 a été trahi par SYRIZA. Ce qui ne veut pas dire qu’à travers ce sable mouvant de la grécité métapolitique des mémoranda, il n’y a pas d’initiatives, évidemment disparates. Kóstas Lapavítsas, économiste hétérodoxe et ancien député SYRIZA ayant rejoint pour un bref moment l’Unité Populaire, annonce la création d’un nouveau pôle politique à gauche, “pour quitter l'euro... mais pas l'UE”. Et là, je suis d’accord avec Dimítris Belandís, il ne suffit pas de quitter la zone euro, il faut défaire complètement l’UE.
Architecture. Athènes, avril 2016 |
Le sable mouvant c’est autant celui de la droite. Déjà, les Aubedoriens reprennent du poil de la bête (c’est bien... le mot), ensuite, un nouveau parti politique vient d’être... fabriqué par Karatzaferis et par Baltákos, le premier est l’ancien chef du parti LAOS d’extrême-droite ayant participé au gouvernement troïkan du banquier Papadémos (2011-2012), entérinant ainsi une forme de Coup d’état initié (pour ce qui est de sa... visibilité) par Bruxelles, ainsi que par Angela Merkel et même Nicolas Sarkozy me semble-t-il, et quand à Baltákos, il participait au gouvernement de Samaras mais il a été écarté (aussi) depuis la prise en main du parti de la Nouvelle démocratie par les Mitsotakis, famille comme on sait en Grèce... affiliée à la politique de Berlin.
Leur nouveau parti se nomme ainsi “Unité Nationale” et pour ce qui est de leur positionnement précis “nous ne dirons pas qu’il faut quitter l'euro... mais nous n’allons pas en faire une fixation, puis nous resterons dans l’UE”, voilà pour le résumé.
La poésie aurait certainement pu être cette première réaction des êtres doués de conscience face à ce qui advenait en eux et autour d’eux, à Paris, comme à Athènes (et) pour à peine paraphraser Konstantinos Bouras: “La poésie grecque contemporaine, un acte testimonial désespéré”, revue Desmós. Kairós, tout simplement.
Joachim de Greek Crisis. Animal doué d'une certaine conscience. Avril 2016 |
* Photo de couverture: Les 'vautours' du FMI. Presse grecque, avril 2016