Mois d’avril, déjà. Les Grecs ont comme l’impression que leur temps tourne rapidement et surtout... en rond. De manière fatalement sporadique, nos manifestants apparaissent dans le centre-ville parfois la nuit tombée, pour crier toute leur colère... accommodée par les syndicats. Comme l’autre soir durant le rituel... offert par les troupes du syndicat PAME, proche du PC grec. Expressions largement désabusées, visages fatigués, le tout, dans l’indifférence des badauds. Le temps de la simplicité n’est plus, et cela visiblement pour tous.
Manifestants du syndicat PAME. Athènes, le 31 mars |
L’indifférence, ou plutôt son apparence se généralise, en réalité l’opinion grecque est en ce moment secouée par un bien détonant mélange de dépit et de colère, intériorisés jusqu’au plus profond des retranchements de la psyché.
D’ailleurs pour de nombreux Grecs, leur quête de la survie s’approche bien fatalement du cercle implacable des nécessités vitales, d’où également cette mutation quand à leur sens politique subsistant, conséquence directe de l’escroquerie politique incarnée (aussi) par gouvernement actuel ; ce qui n’arrange rien en réalité. Lorsqu’on sait que l’action politique ne débute qu’à partir du moment où les humains transgressent un jour le domaine des nécessités vitales pour s’interroger sur le juste et l’injuste, on prend alors toute la mesure de... l’acosmisme triomphant en Grèce en ce moment. Accalmie peut-être avant la bourrasque ?
Sur ce nouvel impossible, vient de se greffer désormais le problème (provoqué et instrumentalisé par les élites), celui des migrants (problème qui devient par la force des choses celui des Grecs), car la situation s’empire de jour en jour. Les empoignades violentes entre migrants sont désormais quotidiennes, parfois, ils se prennent aussi aux forces de l’ordre, ces dernières ont toutefois reçu l’ordre de ne pas faire usage (si possible) de la violence.
Ces mêmes policiers et gardes-côtes, ont ainsi vidé tout leur sac devant les micros des medias, dénonçant par la même occasion toute l’arrogance et le pouvoir largement hétéronome que certains membres des ONG se font si fièrement les... porteurs, ayant en quelque sorte pris... en main (souvent après dispute), les fonctions régaliennes (et de souveraineté), normalement exercées par les fonctionnaires de l’État en la matière (surveillance des côtes, des frontières maritimes, accueil des refugiés et migrants, sauvetage en mer). Lorsqu’on sait en plus que les Gardes-côtes doivent payer de leurs poches une partie du matériel, mais aussi les fréquents examens de santé rendus nécessaire par leur contact avec la population des migrants, le tout pour une prime de douze euros par jour au lieu (parfois même) de deux cent euros par jour que perçoivent les membres de certaines ONG, l’amertume devient-elle de règle comme de saison en Grèce en ce moment.
Migrants et manifestants. Athènes, mars 2016 (presse grecque) |
Migrants, désespérés et manifestants. Athènes, mars 2016 (presse grecque) |
Migrants... saluant un bateau de croisière. Le Pirée, mars 2016 (presse grecque) |
Vendredi 1er avril, plus de 800 migrants ont cassé la clôture de leur campement pour se diriger ensuite à pied vers le port de Chios scandant le slogan: “Athènes - Athènes”. La veille, dans ce même hotspot, de nombreuses bagarres ont éclaté faisant plusieurs blessés, ce qui a amené la police locale à réclamer des renforts depuis Athènes. C’est alors ainsi que l’antenne sur place des Médecins du Monde a été évacuée, “il y avait grand risque pour la sécurité de notre personnel sur place”, ont-ils précisé ses responsable (presse grecque du 1er avril).
Presque simultanément, la municipalité du Pirée a retiré son personnel du hotspot occupant une partie du port, et cela pour les mêmes raisons. “Nous avons laissé sur place tout notre matériel, cuisines collectives, vivres, ustensiles, c'est au gouvernement à présent que de prendre le relais... pour nous, la situation est devenue ingérable, et à terme, le port doit être évacué”, a déclaré à la presse l’adjoint au Maire, Petros Kokkalis. Timidement, ceux du gouvernement annoncent maintenant que le plan d’évacuation du port du Pirée sera accompli au plus tard avant le 1er mai et en même temps Pâques (Orthodoxe) cette année, “Au besoin, en faisant usage d'une certaine violence douce de la part des force des l'ordre” (déclarations répétées au 2 avril).
Trop tard dans un sens, car les Grecs, dans leur plus grande majorité se considèrent non seulement trahis par un gouvernement qui a comme but la destruction finale du pays (à la suite des précédents), mais ils ne font désormais plus aucune confiance à ce que ceux de SYRIZA/ANEL peuvent alors annoncer ou même exprimer, y compris et surtout (autant) concernant le problème posé par l’arrivée massive de tant de migrants en Grèce.
Tsipras, Merkel et les migrants. Presse grecque, avril 2016 |
Pièce de théâtre... de notre temps. Athènes, avril 2016 |
Affiche pour un spectacle... de notre temps. Athènes, avril 2016 |
La Grèce s’enfonce définitivement dans sa crise, et alors cerise sur le gâteau, l’arrivée programmée en vue de leur installation définitive (?) des migrants (et parfois refugiés, tous autant victimes à géométrie variable de la guerre mondiale que l’on croit nommer ainsi “Mondialisation”) a déjà me semble-t-il, été un point de “négociation” durant les... classes préparatoires tenues secrètes pour les chefs Syrizistes avant même leur arrivée au pouvoir, classes préparatoires auprès des maîtres du jeu mondial (ou du moins occidental) bien évidemment.
Dans un décret paru au journal officiel déjà en décembre 2015, les migrants (et refugiés) obtiennent par exemple le droit de travailler et de s’établir en Grèce ; les... ONG ainsi que certaines structures de l’ONU, assurent désormais l’essentiel des frais générés par la location d’une partie du parc immobilier vacant à Athènes et ailleurs, loyer (400€ mensuels maximum), charges, eau, électricité, en plus d’une petite allocation et quelques coupons alimentaires pour ainsi survivre en faisant ses courses aux supermarchés des quartiers.
Ces mesures, une fois annoncées, elles ont comme attendu alimenté l’ironie (pour ne pas dire... provoqué la colère) de nombreux Grecs, laissés pour compte, au chômage et sans aucun type d’allocation, hormis les repas distribués par les structures de solidarité, l’église et les municipalités. On le répétera une fois de plus ; les humains retombés un jour dans le domaine des nécessités vitales ne s’interrogeront guère trop sur le juste ni sur l’injuste... acosmisme toujours triomphant en Grèce. Ce qui ne veut pas dire que les migrants et réfugiés ne bénéficient pas au même moment d’un certain élan de solidarité (hors ONG évidemment), surtout dans les débuts de cette crise dans la crise.
Manifestants PAME. Athènes, le 31 mars |
Sans-abri... en marge de la manifestation PAME. Athènes, le 31 mars |
Au jardin botanique d'Athènes, avril 2016 |
Sens commun alors largement perdu. Grecs comme migrants, deviennent alors spectateurs du monde et non pas habitants. Les individus ainsi dépossédés du rapport ordinaire au monde, ils ont autant perdu (pratiquement) tout le sens du possible. Il n’y a que les maîtres du jeu qui savent combien l’introduction de ce... nouveau droit du “travail” portera enfin le coup de grâce aux revendications des populations... locales indigènes. Ceci explique aussi (en partie) cela.
Printemps pourtant athénien et qui ne sera probablement pas celui des peuples. Nos premiers touristes visitent déjà la ville et ses monuments. Dans le jardin botanique, de jeunes et de moins jeunes réalisent leurs... selfies, avec ou sans la présence dans leur cadre, des animaux... exposés et autant rescapés de la crise grecque, car ce n’est que grâce aux donations privées que ces animaux continuent à être nourris et soignés. Comme nous... dans un sens sur greek crisis.
On peut cependant se laisser porter par le calme (même relatif) qui règne dans le jardin pour oublier un peu notre condition, ou sinon, pour se remémorer un peu de l’histoire de ce jardin. Il est vrai que sa création remonte à l’époque de la Reine Amalia (Amélie Marie Frédérique d’Oldenbourg) en 1839, juste à côté du palais royal achevé l'année précédente. Elle a fait venir des quatre coins du monde plus de 500 espèces différentes de plantes dont une grande partie n’a pu résister au climat d'Athènes. Les chroniquer de l’époque rapportent que certains palmiers avaient été transportés depuis les Cyclades, dont un, très imposant, arraché depuis l’île de Délos.
Animaux du jardin botanique. Athènes, avril 2016 |
En souvenir du premier Gouverneur de la Grèce, Kapodístrias. Jardin botanique, avril 2016 |
Musée (fermé) du jardin botanique. Athènes, avril 2016 |
On peut aussi songer au passé... pour ne pas dire au futur, devant le buste d’Ioánnis Kapodístrias, né à Corfou, dans ce qui était alors une dépendance de Venise, en 1776, et est mort assassiné à Nauplie, le 9 octobre 1831. Homme d'État, il est tour à tour membre du gouvernement de la République des Sept-Îles (1802-1807), diplomate au service de l'Empire russe (1808-1815), ministre des Affaires étrangères du tsar Alexandre Ier (1816-1822) et premier Gouverneur de la Grèce indépendante (1827-1831).
Kapodístrias était naturellement au courant des manipulations extérieures sur son pays, déjà sous tutelle... et n'a pas hésité à les dénoncer le 31 juillet 1831 à l'amiral français Lalande: “Moi, je connais toutes vos manipulations mais j'ai jugé qu'il ne fallait pas interrompre la collaboration avec vous, car je donnais plus d'importance au redressement de la Grèce. Si j'interrompais les liens avec les soi-disant 'Protecteurs', ceci se fera”, (Eleni Koukkou, Une biographie de Kapodístrias, Athènes, 2000).
Samedi 2 avril 2016, et pratiquement rien n’aurait changé, hormis... WikiLeaks. Un document venant d’être publié par WikiLeaks (fuite organisée ?), évoque les négociations en cours entre Athènes et ses créanciers et dans lequel des représentants du Fonds monétaire international reviennent sur un éventuel défaut du pays. Il s’agirait de la transcription d'une conférence téléphonique tenue le 19 mars entre notamment Poul Thomsen, chef du département Europe du Fonds, et Delia Velculescu (en Grèce elle est surnommée... “Draculescu”, chef de mission du FMI pour la Grèce.
Dégradation athénienne. Avril 2016 |
Dégradation... humaine et athénienne. Avril 2016 |
Athènes, un certain charme. Avril 2016 |
D’après ce que la presse internationale croit pouvoir rapporter, “Ils discutent de la stratégie à adopter dans les négociations, alors que le FMI n'a toujours pas donné son accord au dernier plan d'aide à Athènes, les discussions achoppant notamment sur la réforme des retraites et la réforme fiscale. Les discussions vont reprendre. Se plaignant de la lenteur des pourparlers et des différences entre les prévisions économiques pour la Grèce des Européens et celles du FMI, Poul Thomsen interroge:”
“‘Qu'est-ce qui va amener au point de décision ? Dans le passé, il n'y a eu qu'une fois où la décision a été prise et c'est quand ils (les Grecs) allaient sérieusement manquer d'argent et être en défaut.’ ‘Et c'est possiblement ce qui va se passer à nouveau. Et dans ce cas ça traîne jusqu'en juillet et clairement les Européens ne vont pas discuter pendant le mois avant le Brexit’, ajoute-t-il en référence au référendum britannique du 23 juin. ‘Je suis d'accord que nous avons besoin d'un événement, mais je ne sais pas ce qu'il sera’, dit un peu plus tard Delia Velculescu”, (“Le Point” daté du 2 avril).
"Le gouvernement grec exige des explications du FMI pour savoir si la recherche des conditions d'un défaut de la Grèce, peu avant le référendum (britannique), est la position officielle du Fonds", a déclaré la porte-parole du gouvernement Olga Gerovassili dans un communiqué et toute la Grèce en rigole. Trop tard et surtout (pour Alexis Tsipras) trop près de la mafia des escrocs des institutions dites financières internationales depuis les événements de l’été 2015.
Brouillage athénien, avril 2016 |
Congrès somptueux... de GSEE à Rhodes, mars 2016 |
Congrès... somptueux de la GSEE à Rhodes. Mars 2016 |
Congrès somptueux... de GSEE à Rhodes, mars 2016 |
La Grèce d’en bas, celle en tout cas informée au-delà des médias mainstream, a eu certainement son mot à redire au sujet du récent congrès de la GSEE (Confédération Générale des Travailleurs de Grèce), tenu dans un hôtel cinq étoiles à Rhodes. La GSEE est ce syndicat financé par les gouvernements grecs successifs ainsi que par l’UE, pour ne mobiliser que dans le but de faire office de soupape... de sécurité à la cocotte-minute sociale grecque (le phénomène concerne d’ailleurs tous les grands syndicats financés directement ou indirectement par l’UE).
Un participant au congrès, outré par l’hybris, a publié son expérience sur internet (tout comme les photos correspondantes) en ces termes: “Ma question la plus importante et autant mon écœurement, tient du pourquoi bon sang organiser ce congrès de la GSEE à Rhodes? Sachant enfin que plus des 2/3 des délégués sont venus d'Athènes. L'hôtel, un établissent 5 étoiles a certainement coûté beaucoup d'argent. De source non officielle, j'ai appris que le seul coût de l'hôtel a atteint environ les 350.000 euros. J'ai vu des choses que je ne pensais pas voir. Piscine intérieure avec dôme, deux grandes piscines extérieures, jusqu'à un ruisseau artificiel à proximité.”
“Certains grands-syndicalistes, sont arrivés plus tôt que les autres participants, et ils... avaient à leur disposition... bungalows avec piscine. Lorsque le premier jour, est venu le moment du dîner, j’ai vu la plus grande table que je n'avais jamais vue jusque-là dans ma vie. Et que dire de la variété gastronomique ? Quatre sortes de pain, six plats principaux, plus de vingt desserts et ainsi de suite. (...) Les délégués arrivaient toujours en retard dans la salle, le plus souvent accompagnés de leurs épouses, après avoir opté... pour un long shopping en ville de Rhodes. Certains couples, se sont même autorisés une petite escapade jusqu’aux stations balnéaires d’en face, en Turquie” (reportage d’Aléxandros Valsamidis, le 25 mars 2016).
Marché aux épices. Athènes, mars 2016 |
Marché aux épices de la crise grecque et mois d’avril, déjà. Dimanche 3 avril et le quotidien “Kathimeriní” rapporte pêle-mêle, l’attente... obligatoire de six mois, avant la prise en charge dans l’hôpital public pour ce qui est des radiothérapies pratiquées lors du traitement des cancers, et la démission du Belge Jan Fabre (nommé par le ministrion Syriziste Baltas) à la direction du festival d'Athènes, et cela suite à son attitude néocoloniale dénoncée de manière virulente par l’ensemble du monde du théâtre grec. .
Enfin, mais c’est (aussi) de l’histoire, le journal évoque ces spectacles publics sanglants aux animaux sauvages, une réalité si fréquente dans la vie quotidienne de la Rome antique. La mort par les griffes et par les dents de ces fauves était aussi la façon dont ils ont été tués tant de milliers de chrétiens et tant d’autres infortunés. De même et d’ordinaire, on organisait des chasses au cours desquelles les animaux étaient tués par les humains ou alors par d'autres animaux.
Les animaux et les... humains. “Kathimeriní” du 3 avril |
“Notre chemin, la lutte”. Patras, le 3 avril (presse locale) |
Pour ce qui est de la démission de Jan Fabre, mon ami Olivier Delorme, raconte l’affaire sur son blog de manière fort éclairante, sous le titre justement: “La colonie se rebiffe”.
Il n’y aurait à redire que sur les fauves finalement, ou plus exactement, sur leurs dignes épigones depuis l’Antiquité tardive (autre que la nôtre), à savoir, nos félins adespotes. Ils nous observent sans cesse... devant les expressions désabusées, des visages fatigués, et dans l’indifférence, celle des badauds que nous sommes.
Cependant, on ne se baissera pas aussi facilement tous les bras de la Resistance qui est la nôtre (comme celle des autres peuples en Europe). Ainsi, à l’initiative du Maire de la ville de Patras, une marche à pied de nombreux chômeurs de sa ville, a commencé ce dimanche 3 avril. Les chômeurs de Patras seront attendus à Athènes dans huit jours, la route est longue (227 kilomètres), “Notre chemin, la lutte” car justement, le temps de la simplicité n’est plus.
Félin adespote. Athènes, avril 2016 |
* Photo de couverture: Manifestants du syndicat PAME. Athènes, le 31 mars