Il y a des moments historiques en Europe où il est important d’interpréter les évidences avec justesse. Le moment SYRIZA en Grèce, et notamment le referendum du ‘NON’ trahi en est un, ensuite, bien que prévisible, c’est évidemment la victoire du Front National en France qui constitue un autre événement d’une telle portée. Il y a alors des moments historiques en Europe où le problème crucial est celui de la souveraineté populaire et nationale, surtout dans les conditions d'oppression et de déni de démocratie, comme sous l'Occupation européiste actuelle que nous connaissons.
NON au 4ème Reich (de l'UE et de l'Allemagne). Athènes, juillet 2013 |
Comme je l’écrivais déjà sur ce blog cette semaine, le deuxième sujet de conversation entre Grecs en ce moment c’est bien la victoire du Front National en France. Car la situation grecque n’est que l’antichambre balkanique et cependant paroxystique de ce que le totalitarisme européiste pratique déjà entre Paris et (même dans un sens) Berlin.
“4ème Reich (celui de l'euro et de l'UE) ou sinon, Marine Le Pen ?”, tel est très exactement le titre de l’article récent de Kóstas Papoulis, économiste et enseignant, membre du comité économie au mouvement du Plan-B, mouvement initié en Grèce entre 2012 et 2013 par Alékos Alavános, ex-chef de SYRIZA... avant l’époque des mémoranda, (et dont le très récent et suffisamment tardif mouvement dit du ‘Plan-B’ de Yanis Varoufákis et de Jean-Luc Mélenchon, n’est hélas qu’une bien piètre copie... plutôt trompeuse à mon avis).
Je connais un peu Kóstas Papoulis, et je le connais essentiellement à travers certaines étapes des luttes qui nous ont été parfois communes depuis... l’anschluss mémorandaire des six dernières années. Je me souviens notamment de ce colloque intitulé “Initiative contre l'Euro et contre l'UE. Quitter la zone Euro et quitter l'Union Européenne ? - Nécessités, Possibilités et Perspectives”, organisé à Athènes en avril 2013 dans les locaux de la Faculté d’Économie (et d’ailleurs... pas très bien suivi par les étudiants).
Parmi les intervenants, il y avait Kóstas Papoulis mais aussi Kóstas Lapavítsas (via Skype depuis Londres), ce dernier comme on sait, il avait été député SYRIZA en janvier 2015 pour ensuite quitter le parti de l’ex-gauche, ex-radicale durant l’été terrible de cette même année.
Kóstas Papoulis au Colloque, “Initiative contre l'Euro et contre l'UE”, Athènes, avril 2013 |
Colloque, “Initiative contre l'Euro et contre l'UE”, Athènes, avril 2013 |
Par les temps qui courent, et dans quel galop effréné, voici donc la traduction de cet article en français dans son intégralité, car à mon avis, de tels textes peuvent nourrir le débat actuel, autant en Grèce, qu’en France (et évidemment bien au-delà). Je publie aussi ce texte pour une raison supplémentaire. Contrairement à d’autres analystes et acteurs de la vie politique (et de la Gauche) grecque, Kóstas Papoulis est directement issu du terrain, comme il n’appartient pas à ses illustres ténors... bons ou alors mauvais, il est à mon avis représentatif d’un certain... (petit) peuple de gauche... ayant compris le sens de l’histoire et ainsi, de toute sa dernière gravité.
“‘Le Front national est le seul front véritablement républicain, car il est le seul à défendre la nation et la souveraineté, (ayant) vocation à réaliser l'unité nationale dont le pays a besoin’ (Marie Le Pen, 06/12/2015). Cette victoire, et plus généralement le phénomène Le Pen en France, sont plutôt sous-estimés et cela, à travers toute la discussion actuelle en Grèce, déjà à travers les médias mainstream lesquels pratiquent le filtrage des informations, mais alors autant, au sein de la gauche cosmopolite laquelle est maintenant en train de piailler. Alors que les médias mainstream ont tout intérêt à dissimuler le grand essor que connaissent en ce moment les mouvements anti-UE en Europe, la gauche cosmopolite quant à elle, alors fort perplexe... elle ne fait qu’observer les événements”, écrit donc Kóstas Papoulis (8 décembre, site internet du mouvement du Plan-B).
“Certains analystes affirment que Marine Le Pen doit sa victoire aux attaques des Islamistes. Une opinion qui n’a probablement aucun fondement, dès lors, la popularité même de François Hollande avait été considérablement renforcée (depuis les attaques à Paris), et en plus, il ne faut pas oublier qu’aux élections européennes de 2014, Marine Le Pen avait quadruplé son score par rapport aux élections précédentes, occupant ainsi le tiers des sièges de la France au Parlement Européen. En ces élections régionales, elle a tout simplement triplé son score, comparé aux élections régionales de 2010 (passant de 11% à 31%). Elle pourrait ainsi emporter la victoire dans la région du Nord-Pas-de-Calais, une région dont la population dépasse celle de douze pays de l’UE.”
Kóstas Lapavítsas intervenant au Colloque, “Initiative contre l'Euro et contre l'UE”, Athènes, avril 2013 |
“4ème Reich (celui de l'euro et de l'UE) ou sinon, Marine Le Pen ?”, Site du Plan-B, le 8 décembre |
“Par sa propre candidature, Marine Le Pen a ainsi conquis plus de 40% des voix, dans une zone industrielle ayant été historiquement un bastion des partis communiste et socialiste, un phénomène qui démontre alors vers où se penche alors la balance. Il semble ainsi que la montée de Le Pen est le résultat de l'industrialisation, conduisant au chômage massif, ainsi que d’un certain processus social et politique profonds. Cette montée donc du Front national est ininterrompue, et peut-être même irréversible, elle est pout autant inversement proportionnelle au ‘déclin’ de cette zone euro comme de cette l'UE germanisées”.
“En réalité, cette UE de l’hyper-mondialisation, autant que son noyau dur qu’est la zone euro, est le système le plus totalitaire qu’a connu l'Europe du centre, durant le 20e et le 21e siècles, après le nazisme bien entendu. Ce totalitarisme (actuel) élimine alors tout sens de démocratie et de souveraineté populaire, impose la puissance impérialiste de Berlin, détruit et pille les peuples, comme par exemple le peuple grec. Et alors, face à l’ensemble de ce système capitaliste des financiers et des multinationales, il n’y a plus aucune gauche”.
“Inversement même, la gauche grecque, celle de SYRIZA, elle a plutôt révélé à tous les peuples de l'Europe, très exactement... ce qu’il ne faut pas faire, à savoir, ne pas faire confiance aux illusions rétrogrades et cosmopolites de cette gauche européiste. Car tous ceux qui de la gauche grecque pleurnichent aujourd'hui depuis la victoire de Marine Le Pen, ce sont exactement les mêmes qui depuis un moment, ils ont largement contribué (de manière critique ou pas, de l'intérieur ou de l’extérieur), à l’accession de SYRIZA au pouvoir gouvernemental. Ils ont de ce fait contribué à la décrédibilisation de la gauche à travers tout le Vieux continent et naturellement, à la victoire de Le Pen”. “Que cela nous plaise ou non, la gauche demeure inexistante sur le continent européen, et cela, parce qu'elle a accordé carte blanche à l'euro, à l'Union européenne, et à la mondialisation. Par conséquent, cette gauche européenne n'a pas de réponse face à la junte de l’euro et de l’UE, et encore moins, face à la crise, ou enfin devant la large paupérisation de larges couches de la population. Tout alors indique que nous ne nous dirigeons pas vers une Europe unifiée et prospère, mais plutôt vers son contraire, ce que la gauche euro-mane ne veut absolument pas comprendre”.
Presse... mainstream de Gauche et la victoire du FN. “Quotidien des Rédacteurs”, décembre 2015 |
“Sûrement, certains propos de Le Pen sur les migrants peuvent nous sembler ‘répugnants’, sauf que les Français ne se sont pas transformés en adeptes de l’extrême droite et cela alors par millions, en seulement deux ou trois ans. Personne d'autre en France (en dehors d’une certaine ‘petite’ Gauche républicaine), n’est en mesure de parler d'une solution politique et économique, voire, d’une sortie de la crise actuelle. Nous ne devons d’ailleurs jamais oublier que les Français ont rejeté et ceci au nom de tous les peuples de l'UE, la... requête ainsi imposée par la dite Constitution européenne de 2005, conduisant tout droit à l’élimination définitive des États comme des parlements nationaux. Voilà de quoi nous sommes redevables au peuple français”.
“Cette première place pour le FN est déjà historique, et elle participera de manière significative (au futur proche de l’Europe). La France, c’est le deuxième (grand) pays constitutif du noyau dur de l'UE, comme de la zone euro, contrairement à la Grande Bretagne, le troisième certes grand pays de l'UE, mais qu’il n'a jamais appartenu au noyau dur de la planification européiste, un pays d’ailleurs toujours bien attiré par l’euroscepticisme’. Marine Le Pen, même si elle ne parviendra pas (ou ne voudra pas) briser la zone euro, elle va certainement considérablement dégrader, délégitimer et ainsi ralentir le processus annoncé par l’UE. Bien par nécessité, car visiblement sous la pression des réalités, Nicolas Sarkozy, parle déjà depuis un moment, du retour des pouvoirs au niveau national, ou d’une UE à deux vitesses, laquelle saura fonctionner contre la bureaucratie, etc.”.
“Le programme économique du Front national dans son ensemble est alors opposée à la mondialisation ‘sauvage’, à savoir, l'UE, et cela par le biais d'un triple axe: a) l'indépendance et la souveraineté nationale, autrement-dit, la liberté d'action de la France, b) la sortie de la zone euro pour ainsi lutter contre le chômage et contre la pauvreté, c) des mesures pour protéger l'économie française et son industrie, face au libre-échange et à la mondialisation”.
Un certain Alexis Tsipras sous... Margaret Thatcher. “Quotidien des Rédacteurs”, décembre 2015 |
“Derrière Marine Le Pen, se range déjà une partie du capitalisme français qui s’exprime ainsi, celui précisément qui se réfère à l'échelon national. Et certainement pas, cet autre capitalisme français, celui de la finance ou des multinationales. Cependant, c’est derrière cet axe des réalités, que la classe ouvrière comme autant la majorité des travailleurs en France, se rangent désormais de la même manière”.
“Car la protection de l'industrie tout comme celle de l'économie, même si cela ne se réalise d’abord que pour protéger une partie du capital, elle conduit forcément à la protection du travail. De son côté, et de manière opposée, la mondialisation détruit des capitaux nationaux pour renforcer ceux du capitalisme multinational, et ainsi elle frappe alors particulièrement les forces du travail. D’ailleurs, une sortie de la zone euro, créatrice de croissance amènera davantage de recettes à l'État, même si le niveau de l’imposition baisse, permettant ainsi une plus grande amplitude dans l’exercice de la politique sociale”.
“Généralement, la zone euro a essentiellement fonctionné d'une manière telle, que non seulement sa périphérie, mais même la France se trouve actuellement dans une situation difficile. L'euro durant la crise a donc agi pour la France comme un étau. En fait aujourd'hui, l'existence même de la zone monétaire est bien la raison de l’approfondissement de la crise dans le Sud, comme autant, de stagnation en France. Cette Union monétaire affecte autant négativement les autres pays de l'UE, tels que la Grande-Bretagne, ne participant pourtant pas à l'euro”.
Une certaine vision des réalités. Antonis Samaras... sous Angela Merkel. Revue “Unfollow”, 2013 |
“La crise engendrée par l'euro, produit aussi des flux migratoires, y compris au sein de la zone euro et de l'UE. La France subit ainsi la pression de nombreuses migrations de l'intérieur comme de l’extérieur de l'UE, de passage par la périphérie de la zone euro, depuis la Grèce d’abord et dans une moindre mesure, depuis l’Espagne. Comme en Grande Bretagne, l’idée de limiter l'immigration est de plus en pus populaire, s’agissant même de celle issue des pays de la zone euro ou de l'UE. Quoi que nous disions, cette énorme vague migratoire, tant à l'intérieur qu’à l'extérieur de l'UE, frappe alors dans chaque État-nation les plus pauvres et principalement les classes les plus populaires, déjà car elle dégrade sensiblement la force du travail non qualifié”.
“Dans ce contexte... tout alors travaille en faveur de Marine Le Pen, et principalement, l’Union monétaire ne faisant qu'aggraver la situation en France. Le Front national est ainsi nourri de l'opposition populaire à l'UEM et à la mondialisation. Déjà, un travailleur ou un employé du secteur privé sur deux, se prononce en faveur de Marine Le Pen. Durant donc la prochaine période, cette réalité sera consolidée. Le fossé déjà ouvert par le tremblement de terre lors des élections européennes ne se referme pas, au contraire il s’agrandit davantage, comme en témoignent les résultats des élections régionales d'hier. Tout indique que Marine Le Pen sera présente au deuxième tour de l'élection présidentielle de 2017, et peut être même... elle l’emporterait. Et si cela n’arrive pas en 2017, elle sera certainement Présidente en 2022, sauf si en attendant, d'autres forces auront conduit à la dissolution de la zone euro et de l'UE”.
“La gauche (celle du parti de la gauche européenne) est donc à juste titre marginalisée, son audience électorale tombe à 4%, puisque par ses prises de position pendant des années elle a défendu l'Euro et l’UE ; ainsi, cette gauche a fini par être identifiée à la mondialisation et aux sociaux-démocrates. Aucune résistance à l'extrême-droite n’est alors possible en pleurnichant de concert avec les socialistes, et cela, en s’opposant en même temps aux classes populaires... qui justement se dressent contre l'euro, contre l'Union européenne et contre la mondialisation qui les détruit. C’est uniquement en engendrant un front populaire ensemble, avec toutes ces strates de la population, pour la souveraineté nationale et populaire, pour la délivrance... du joug du ‘libre’ échange des multinationales, comme de celui des ‘libertés’ de l'UE, qu’une résistance efficace au Front national serait possible. Ce qui est... à des années lumières des préoccupations la gauche cosmopolite en Europe. Les idolâtres de Bruxelles (comme elle les appelle Marine Le Pen), Sarkozy, etc., devront alors reprendre une partie de la souveraineté à Bruxelles, pour ainsi, contenir la vague du FN, si encore ils le peuvent”.
NON à l'euro, Grèce, 2010-2015 |
“Les opposants à Marine Le Pen la rejettent et dénoncent alors cette extrême-droite. Sauf, qu’ils sont en train de suivre en même temps la bannière de l'euro et de l'UE, à savoir, ce même étendard de l’hyper-mondialisation, autrement dit de la mondialisation ‘dure’ que dénonce sans cesse le Front national. Et comme la mondialisation ‘dure’ abolit la démocratie et la souveraineté, les livrant ainsi à la nomenklatura de Bruxelles, ces... pseudo-démocrates, ne sont plus du tout crédibles”.
“Nous ne pouvons pas encore déterminer (et) dans quelle mesure l'avenir de l'euro se jouera alors en France. Comme nous ne pouvons pas encore déterminer combien Paris est sur le point de devenir politiquement le maillon faible de l'Union monétaire. D’ailleurs nous ignorons si Marine Le Pen signifie-t-elle tout ce qu'elle annonce à propos de l'euro... Mais pour être honnête et pour placer le débat en perspective au-delà des stéréotypes, je dirais qu’une future dislocation de la zone euro sera toujours une bonne nouvelle, et cela même si aux commandes à Paris... c’est alors Marine Le Pen. Encore une fois... cela constituerait un Deus ex machina pour les Grecs”.
“PS. Que la gauche grecque puisse apprendre de la France, c'est une question qui jusqu'à présent, elle ne permet pas de réponse optimiste.”
Tel est donc l’argumentaire de Kóstas Papoulis. Sans forcement l’adopter entièrement, d’ailleurs il n’a pas la vocation d’être prétendument complet, il a toutefois le mérite de résumer l’essentiel du débat actuel au sein d’une (petite ?) gauche grecque et par extension européenne. Je suis d’ailleurs plus réservé que lui quant à la volonté réelle du FN à lutter contre l’euro... sauf que je ne suis pas devin !
Je dénonce la direction de l'Hôpital. Athènes, 2013 |
En n’attendant plus tellement... l’autre futur, notre quotidien se défait d’année en année, sous les effets des terrorismes... divers et variés. Je me souviens toujours de cette pancarte qu’un homme tenait alors immobile et muet devant l’entrée principale d’un grand hôpital public d’Athènes:
“Je dénonce la direction de l'Hôpital d'Hippocrate pour avoir exercé du terrorisme sur une personne sans ressources. Comme elle n'avait pas les 5€ nécessaires à son admission, ces responsables l'ont alors rejeté en dehors de l'hôpital. NON au terrorisme”
“Belle et étrange patrie - Que celle qui m'a été donnée”. Athènes aux temps des mémoranda 2010-2015 |
Comme je me souviens toujours de ce slogan sur un mur d’Athènes... près d’un jeune mendiant, slogan s’inspirant d’un poème d'Odysséas Elýtis (1911-1996), poète dit d’abord de cette lumière des îles et des faits troublants de la mer Égée et prix Nobel de littérature en 1979. Un poème alors écrit en 1971 mais qui prend sous l'occupation troïkanne prolongée, une couleur en somme toute particulière: “Belle et étrange patrie - Que celle qui m'a été donnée”
Il y a des moments historiques en Europe où il est important d’interpréter les évidences avec justesse. Odysséas Elýtis était alors par un rare miracle à la fois cosmopolite et patriote, il s’était d’ailleurs prononcé avec la plus grande réserve devant la... “certitude” de l’adhésion de la Grèce à la CEE de l’époque. “Belle et alors étrange patrie”, ce que la gauche d’ici, celle qui fait semblant de gouverner en tout cas, l’a certainement oublié.
Des... faits troublants de la mer Égée. 2013 |
* Photo de couverture: Retraités et manifestants. Athènes, 2013