Greek Crisis

mardi 8 décembre 2015

Vente... légitime



Devant les kiosques athéniens, les promeneurs scrutent les nouvelles prétendues d’un monde supposé. Il fait encore beau sauf que les températures, celles de la météo sont en baisse. Dans certains cafés, on peut même feuilleter et dévorer même les journaux gratuits, cette formule évite au client appauvri, d'avoir à financer à la fois son café et son quotidien. Pour l’un d’entre eux en tout cas, le titre est comme souvent, accrocheur: “C'est le café amer des mesures du mémorandum, imposées par Tsipras”, rien... d’inédit pourtant et à vrai dire.

Journal gratuit: “C'est le café amer des mesures du mémorandum, imposées par Tsipras”. Décembre 2015

L’impuissance accroît, la destinée fait du surplace. Même dans les quartiers authentiquement aisés, les articles et autres objets hétéroclites proposés par les marchands ambulants et “vendus deux euros maximum”, attirent inévitablement la clientèle. Les tavernes des bords de mer au Sud d’Athènes ne sont certes guère vides, sauf qu’elles ont réduit sensiblement leur offre en tables. Ces quartiers, ils ont été d’abord aisés avant tout, et ils le demeurent toujours.

Pourtant, les écarts, ou plutôt les... écartèlements sociaux y sont autant visibles qu’ailleurs. Sur les terrasses des tavernes, ces Grecs suffisamment aisés pour pratiquer le... “Potlatch” contrefait gastronomique (gaspillent volontairement et rituellement des quantités de richesse et de nourriture), pratique quasi généralisée du temps de jadis, alors ils finissent par être montrés du doigt, ou plutôt du commentaire. “Ces gens, comme si de rien n'était depuis 2010, continuent à se goinfrer et à s'arsouiller... bourgeoisement ; ils continuent surtout à commander deux fois plus de plats qu'ils ne puissent ingurgiter... pour en laisser la moitié dans les assiettes”.

Remarque perçue récemment, et donc reproche parmi celles qui ne se prononçaient pas avant la dite crise. Un couple venait tout juste de terminer son repas: quatre plats, une salade et une portion de frites ; sans attendre les serveurs, ces clients ont tout simplement laissé sur la table le prix du repas sous la facturette, quarante euros. Temps... si pressés ?

Dans les quartiers authentiquement aisés, vendeur ambulant. Athènes, décembre 2015

Tavernes des bords de mer au Sud d’Athènes, décembre 2015

Un couple venait tout juste de terminer son repas. Athènes, décembre 2015

Guère loin, ceux qui ne fréquentent plus les tavernes, se contentent alors d’un casse-croûte préparé à la maison, d’une boisson achetée auprès du kiosque du coin et surtout, du soleil et d’une certaine douceur du cadre comme on dit encore parfois.

Cependant, certains sujets de conversation leur sont communs, et en ce moment ils sont essentiellement deux: d’abord, le dernier crime politique et économique en date commis par le gouvernement Tsipras, s’agissant de “l'acquisition” de pratiquement de l’ensemble du système bancaire grec par les fonds vautours internationaux à 2% de sa valeur, et ensuite, la récente victoire du Front National en France.

C’est ainsi qu’à travers toute cette... sociométrie des bords de mer en Attique en ce mois de décembre, entre retraités et baigneurs téméraires, pêcheurs, jeunes sans emploi et enfin, clients des tavernes, que cette affaire des banques ex-grecques apparaît comme étant “sans doute le plus grand scandale du genre, depuis le début des memoranda... pour ne pas dire depuis l'après-guerre de 1945”. Effectivement. “L'as-tu vu, les petits actionnaires de la Banque Nationale ont été totalement dépouillés; heureusement ma chère que depuis cette crise, j'ai vendu toutes nos actions dès 2011”, raconte ainsi à son épouse, un retraité... et certainement baigneur téméraire.

Les clients aisés de la taverne ne se racontent pas autre chose: “C'est affreux, je crois détenir encore quelques petites actions, mon conseiller estime que j'ai perdu deux à trois mille euros, encore heureux”. Rires ! Moins... hilarants, deux adolescents assis entre les rochets qui séparent la mer à la marina proche, en sont outrés de cette actualité et ils veulent d’ailleurs... en découdre: “En plus, ces politiciens appartenant à la même caste ayant osé faire cela, ils avaient par le passé, du temps des parents, reçu en pots-de-vin, d'après ce que m'a raconté mon père, de nombreux millions emballés dans de cartons de Pampers... Sans blague !” Allusion faite à l’époque des... précurseurs, celle du scandale dit du banquier Koskotas et du PASOK, datant des années 1988-1989.

Ceux qui ne fréquentent plus les tavernes. Athènes, décembre 2015

Entre retraités et baigneurs téméraires. Athènes, décembre 2015

Pêcheurs du dimanche. Athènes, décembre 2015

Nos retraités (ou pas) ont raison. “Il est effrayant - observe le journaliste Yórgos Delastik - que de constater l’énormité de la tromperie mise en place par les banquiers racketeurs, mais également, par les Européens alors spéculateurs. Pour cette recapitalisation, ils ont d'abord déterminé... de valeurs quasi-nulles pour ces actions: Un centime d’euro pour action de la Eurobank, deux centimes pour chaque action de la Banque Nationale, quatre centimes par chaque action d'Alpha Bank et... enfin, trois dixièmes du centime d’euro pour chaque action de la Banque du Pirée ! C’est-à-dire, avec mille euros on pouvait acheter... 333.000 actions de la Banque du Pirée ou 100.000 actions Eurobank !!! De la Paranoïa !

Non bien sûr, il n’a pas été permis à quiconque de verser ces sommes et d'acquérir ainsi les millions d'actions de ces banques. La transaction, elle avait été très exclusivement permise aux seuls ‘investisseurs institutionnels’, autrement-dit, aux escrocs et aux fonds vautours. Cependant, les banquiers ne se sont pas contentés à commettre... seulement cela. Ils ont en même temps procédé à la réduction obligatoire du nombre des actions. Ils ont ainsi décidé que les détenteurs des anciennes actions, devraient échanger cent de leurs actions de la Banque du Pirée ou de la Eurobank, pour obtenir une... seule nouvelle action des mêmes banques, ou encore, verser cinquante anciennes actions Alpha Bank pour acquérir une nouvelle action, de même, que verser quinze actions de la banque nationale contre une nouvelle action”.

C’est par ce dernier trucage qu’a eu lieu... l'extermination des actionnaires, ceux qui l’ont été jusque-là! Car par exemple, une action ancienne de Banque Nationale avait été achetée du temps des... vaches dodues 23 euros, et actuellement, comme elle vaut trente centime seulement (cotation annoncée en vue de sa réintroduction en Bourse d’Athènes, programmée pour le 14 décembre), on en déduira que le petit investisseur ayant jadis dépensé 345 euros, retrouve à la place... 30 centimes d’euro !!!”, (site Iskra, article du 6 décembre).

Retraité en Grèce, époque des mémoranda (2010-2015)

Café en faillite. Quartiers Sud d'Athènes, 2015

Commerce à vendre. Quartiers Sud d'Athènes, 2015

Cette énorme affaire des banques “grecques”, constitue-t-elle déjà à mon avis... un catalyseur socialement transversal de la nouvelle phase que connait déjà la crise grecque. Autrement-dit, s’agissant ni plus, ni moins, de l’approfondissement du totalitarisme banco-européiste qui nous est ainsi imposé depuis la phase... de sa gouvernance... devenue très ouvertement SYRIZA-II !

Ces gens n'ont encore rien compris, lorsqu'ils partiront, ils vont alors payer pour leurs crimes, et autant, pour celles commises par les précédents”, entend-on dire de plus en plus souvent en ce pays hivernal de l’année 2015. Plus personne n’est dupe en Grèce depuis le terrible été Tsipras, car tout le monde comprend alors quelle sera l’unique sort qui nous a été imposé, économistes (peu) libéraux compris:

Bien sûr, ce gouvernement (SYRIZA) sera renversé, éventuellement de manière violente, tandis que la Grèce se transformera en un État en faillite, un pays où rien ne pourra plus être appliquée... sur rien, et alors, ils ne survivront que ceux qui connaissent par cœur... la loi de la jungle. Et si l'on ajoute à tout cela, cette probabilité de voir des centaines de milliers de migrants bloqués à l’intérieur de nos frontières, car d'autres pays vont fermer les leurs hermétiquement, l'image du pays sera alors un cauchemar, de surcroît inédit jusqu'ici dans l'histoire du monde”, écrit l’économiste (prônant l’économie mixte), Vassílis Viliardos sur son blog. Les temps sont durs mais au moins, nous ne trompons plus (tellement) d’analyse.

Les migrants, la Turquie, la Grèce et l'Europe. Quotidien “Kathimeriní”, décembre 2015

Recherchons nouveaux retraités qui désirent compléter leurs pensions. Athènes, décembre 2015

Promotion sur certains examens médicaux. Athènes, novembre 2015

Grand appartement... à vendre. Athènes, décembre 2015

Recherchons, nouveaux retraités qui désirent compléter leurs pensions par un travail agréable, profiteur et digne”, peut-on lire sur de nombreuses affichettes à Athènes et dans toute sa nouvelle économie. Au même moment, les structures privées de Santé (ex-publique), affichent fièrement leurs... “Offres et autres promotions sur certains examens médicaux”, tandis que de nombreux grands appartements, au demeurant impossible à faire chauffer avec les revenus actuels des Grecs, demeurent, et demeureront durablement invendus.

L’économie n’est plus (ici), et quant à la jungle... c’est presque déjà l’étape en cours. Les dernières grandes entreprises industrielles du pays quittent en ce moment la Grèce. À l’instar de Viohalko (entreprise industrielle historique fondée en 1937), dont les Filiales délocalisent aussi leur siège, suite à une décision murement réfléchie, “car le groupe vise à améliorer son accès aux marchés pour ce qui est des emprunts et des capitaux”, d’après le communiqué de la firme.

Plus précisément, Viohalko concrétise son projet de fusionner par absorption avec ses filiales, Elval, Alcomet (dans le secteur du cuivre et l’aluminium), Diatour (gestion et tourisme), dont le siège est désormais délocalisé en Belgique et au Luxembourg. Le groupe Viohalko dont les actions sont déjà introduites sur le marché boursier à Bruxelles, est sur le point de quitter définitivement la Bourse d’Athènes, peut-on alors lire dans la presse économique en ce moment, par exemple, sur le site Fortune.



Pêche... vieille activité. Au Sud d'Athènes, décembre 2015

Club nautique, initiation à la voile... vieille activité. Sud d'Athènes, décembre 2015

Vente... légitime de tabac, activité nouvelle. Athènes, décembre 2015

L’économie n’est plus, et quant à la jungle... c’est déjà l’étape en cours. Aux côtés de la commercialisation et de la production de tant de denrées de jadis comme de toujours, les activités liées au contexte dit de crise, connaissent actuellement un essor sans précédant. Parmi elles, la vente parfaitement légitime... et néanmoins illégale de tabac en vrac ; activité souvent promue par ces affichettes collées sur les surfaces alors bien visibles en ville. Entre autres: “Vente de tabac en vrac. Qualité supérieure, tabac issu de la culture biologique, tabac bouilli, blond sans tiges, coupé fin, origine Agrínio, prix au kilo 30 euros, puis, au goût chocolat, Marlboro ou vanille, prix au kilo 40 euros”.

Agrínio, ville de la Grèce de l’Ouest, principale localité de l’ex-préfecture d'Étolie-Acarnanie avec environ 100.000 habitants dont l'économie locale fut principalement basée sur la récolte du tabac, utilisé pour la confection des plus célèbres cigarettes grecques, les Papastratos. Taux de chômage actuel... 30%, suite à la fermeture de la plupart des usines. Vie... meilleure.

La stagnation de l’économie productive grecque, faisant suite à son adhésion à la CEE en 1980, avait été longtemps masquée par le transfert des fonds structurels européens, ces derniers ont alors sensiblement accru le degré de la corruption, du clientélisme comme du népotisme, avec l’aimable participation des élites politiques du pays comme d’une partie des “citoyens”, une situation ayant sensiblement préparé la prochaine étape, celle des mémoranda.

Le... Parlement grec et l'Union des partis du mémorandum. “Quotidien des Rédacteurs”, décembre 2015

Actuellement, les conditions imposées à la Grèce par les détenteurs internationaux de sa dette, ont essentiellement transformé le pays en une sorte de néocolonie, où la Troïka, incarne ce rôle toujours plus durable et plus vigoureux dans le contrôle de la politique fiscale et sociale. Nous connaissons alors un nouveau type de colonialisme... interne au cœur de l'Europe. Ce régime, véhicule ainsi un message bien clair: que les politiques des gouvernements élus seront désormais dictées par les seules banques et par l’élite internationale, ce fameux... 1% dirigeant. Et il n'y a même plus le prétexte fourni aux citoyens, celui de la démocratie ou de la nation souveraine.

Nous voilà donc... ramenés à ce deuxième sujet de conversation entre Grecs en ce moment, à savoir, la récente victoire du Front National en France. Car la situation grecque n’est que l’antichambre balkanique et cependant paroxystique, de ce que le totalitarisme européiste pratique déjà entre Paris et (même dans un sens) Berlin.

Alors, “4ème Reich (celui de l'euro et de l'UE) ou sinon, Marine Le Pen ?”, tel est très exactement le titre de l’article de Kóstas Papoulis, économiste et enseignant, membre du comité économie au mouvement du Plan-B, ce dernier initié en Grèce entre 2012 et 2913 par ceux de la gauche ayant suivi l’analyse d’Alékos Alavános, ex-chef de SYRIZA... avant l’époque des mémoranda.

Cette victoire, et plus généralement le phénomène Le Pen en France, sont plutôt sous-estimés à travers toute la discussion actuelle en Grèce, déjà dans les médias mainstream lesquels pratiquent le filtrage des informations, et autant, du côté de la gauche cosmopolite laquelle est maintenant en train de piailler. Alors que les médias mainstream ont tout intérêt à dissimuler le grand essor que connaissent en ce moment les mouvements anti-UE en Europe, la gauche cosmopolite quant à elle, alors fort perplexe... elle observe tout simplement les événements”, écrit Kóstas Papoulis (8 décembre).

Vitrine de Noël. Athènes, décembre 2015

Détail athénien, 2015

Devant les kiosques athéniens, les promeneurs scrutent ainsi les nouvelles prétendues d’un monde supposé. Il fait encore beau, sauf que les températures, celles de la météo sont bien en baisse et c’est ainsi que les vitrines se croient-elles encore... préparer Noël.

Seul Joachim, l’animal supposé... “Desposé” (ayant un maître) de Greek Crisis, demeure toujours et encore imperturbable.

Je connais un peu Kóstas Papoulis, je le connais à travers certaines étapes des luttes qui nous ont été parfois communes depuis l’anschluss mémorandaire des six dernières années. Par les temps qui courent, et dans quel galop effréné, je compte alors traduire en français et ainsi publier ici son article dans son intégralité car à mon avis, il est susceptible de nourrir le débat autant en Grèce, qu’en France (et évidemment bien au-delà). Et ainsi... préparer Noël !

Joachim, l'animal de Greek Crisis, décembre 2015




* Photo de couverture: Devant les kiosques athéniens, décembre 2015