Greek Crisis

jeudi 19 novembre 2015

Incertitudes



Crise qui vieillit, plus une certaine forme de guerre désormais parallèle. Le quotidien prend le pas... sur le quotidien automortifère, dialogues et commentaires désabusées sur les derniers abus tautologiques du monde qui nous entoure jusqu’à nous étouffer.

Répression de la manifestation du monde paysan. Athènes, le 18 novembre

Les Grecs, changent quelquefois de sujet de conversation, histoire immédiate et tragique y oblige. Notre unique radio d’exception culturelle et musicale, (dans un océan de para-culture du vacarme si... bien cooptée par notre immense nécropole sociale), voilà enfin que cette radio dite du Troisième Programme, diffuse souvent depuis peu de la bonne chanson française ou, ces œuvres du répertoire classique du répertoire français. Erik Satie ou Georges Bizet entre autres, en plus lors de l’émission de l’instructif rappel de la journée du 3 mars 1875, jour de la première de Carmen qui se révéla être un désastre car Bizet en fut bouleversé jusqu’à succomber plus tard, suite à une rupture d’anévrisme au moment du troisième acte: “la carte impitoyable qui dit toujours: la mort!”.

Les Grecs, changent ainsi parfois de sujet de conversation et de... répertoire immédiat, sauf lorsqu’ils subissent... la dispersion violente de leurs manifestations, ce fut encore le cas mercredi 18 novembre Place de la Constitution, faisant ainsi triste suite, au rassemblement massif du monde rural et insulaire. Cet usage des forces de l’ordre redevient alors la règle dans la petite Grèce de l’énorme mémorandum III. La crise, cette autre guerre faite contre la société tient de notre État d’urgence bien à nous, implacable et jusque à présent, irréversible. Nos arguments plus justes que jamais s’usent, s’endurcissent comme ils se nourrissent des subsistes de la réalité, et cela nécessairement pour le plus grand nombre d’entre nous.

Durant le rassemblement du monde rural à Athènes, des manifestants ont tenté d’atteindre le périmètre protégé du “Parlement”, le signal avait été lancé d’en finir avec eux, comme pratiquement avec tous les manifestants du dernier moment en Grèce, même si, ils ne sont pas forcement, ni suffisamment nombreux. Le chaos méta-SYRIZA est déjà palpable, nous en apercevons les contours avant l’heure, comme il n’y a guère si longtemps, avec l’interminable règne de la... gérance Samaras.

Manifestation paysanne à Athènes, le 18 novembre

Rassemblement du monde rural à Athènes, des manifestants ont tenté à atteindre le “Parlement”, le 18 novembre

Fait marquant d’une actualité fort bien marquée en moment, lors de la commémoration de la révolte des étudiants de l’École Polytechnique du 17 novembre (1973), Alexis Tsipras se rendant sur les lieux, il s’est fait hué pour la première fois, tandis que ceux de la jeunesse SYRIZA, ont été expulsés des lieux par d’autres... “commémorants”.

Le lendemain, sur la Place de la Constitution, c’était durant le rassemblement du monde paysan que Panagiótis Lafazánis, chef de l’Unité Populaire (ex-Plateforme de gauche au sein de SYRIZA-I), avait été éconduit, hué également par certains paysans sous les cris: “Voleurs, voleurs, vous avez... baisé le pays”. Temps... nouveaux.

Actualité donc. Les medias ont de leur côté diffusé ces images de plus en plus ahurissantes d’Alexis Tsipras (II), en visite officielle en Turquie (et au Patriarcat de Constantinople) par exemple, images devenant au fil des semaines ahurissantes aux yeux des Grecs, car celles d’un Alexis Tsipras physiquement transformé. “Il n'a plus le même regard, ni la même expression du visage qu'avant”, entend-on dire souvent dans les cafés helladiques.

Alexis Tsipras en visite officielle en Turquie (et au Patriarcat de Constantinople). Novembre 2015

Alexis Tsipras en visite officielle en Turquie (lors du match Grèce-Turquie avec Ahmet Davutoglu, Premier ministre Turc). Novembre 2015

Alexis Tsipras avec Angela Merkel, (“Ils se racontent une blague sur le foot”, d'après la presse grecque). Novembre 2015

Mon ami Th., journaliste au trop long chômage, ne participera plus aux commémorations du 17 novembre, ni aux autres manifestations, et... il ne se rendra plus aux urnes. “Il s'est avéré que SYRIZA/ANEL, c’est le pire de tous les gouvernements de la Grèce contemporaine, ceux des mémoranda compris. Certains parmi les responsables... irresponsables sont politiquement incultes, hormis via... le cordon nourricier des appareils du parti, c’est fort léger. Tsipras en personne par exemple, avait-il déclaré il n’y a pas très longtemps... qu’à sa connaissance ‘il n’y a pas de frontières en mer entre les pays car c’est la mer’, une ineptie alors dangereuse que même les précédents Pasokiens comme ceux de la Nouvelle démocratie de Samaras n’avaient jamais prononcé. Notre pays est ainsi plus égaré que jamais, et en plus de cela, au beau milieu d’un environnement géopolitique en déflagration... Nous sommes gouvernés par de minuscules marionnettes”.

État des mentalités et des représentations alors largement partagées en Grèce par les temps qui courent. Et les faits... finissent parfois par donner raison aux mentalités. Ainsi, Alexis Tsipras a exigé et obtenu de Gavriil Sakellarídis en ce 19 novembre, la démission de son mandat de député. Son ancien porte-parole (de janvier à juillet 2015), avait annoncé via des fuites dans la presse, son attention à ne pas prendre part à l’énième vote forcé au “Parlement”... de l’énième train de mesures austéritaires.

SYRIZA-II, finira-t- il hélas, comme tout parti ayant porté le manteau des Quisling au pays occupé par les forces extrêmes du totalitarisme nihiliste des dits marchés, une sorte de destin à la PASOK, la ridiculisation irrévocable de la Gauche à la pseudologie radicale, en plus. Effondrements contrôlés (?) et prévisions quasi-impossible quant à la météo politique suivante.

Pêche au profit des animaux adespotes et du temps perdu. Sud d'Athènes, novembre 2015

Près du port de Kehreai. Discussions dans un café. Novembre 2015

Petite escale au port antique de Kehreai. Novembre 2015

Mon ami Th., journaliste au trop long chômage, ne participera plus aux commémorations du 17 novembre, ni à d’autres manifestations pense-t-il, et... il ne se rendra plus aux urnes, mais nous pouvons encore parfois nous partager une petite bière dans les quartiers Sud d’Athènes, histoire de contempler la mer comme on dit et par la même occasion, la pêche des amateurs au grand profit des animaux adespotes comme de celui du temps fini.

Nous nous contentons de peu et... de la règle du temps présent: incertitudes. Nous nous observons les uns les autres à travers les lucarnes d’une sociabilité, qu’on se le dise, sensiblement diminuée. Lors d’un bref passage par le port de Kehreai, où Saint Paul avait débarqué, près de Corinthe, non loin des décombres du premier siècle, déjà de notre chronologie, nous avons remarqué certaines discussions dans un café bien commun car populaire (en grec moderne on dit aussi “laïque”, au sens premier du terme). Le ton avait changé, et elle ont alors porté sur notre histoire immédiate et tragique, passage obligé par Paris.

Vois-tu Stávros, en France c'est Marine Le Pen qui fera un tabac désormais. C'est parti...”. Stávros n’a rien répondu, puis, la discussion est revenue sur les trivialités habituelles ; les affaires courantes en Grèce, les nouvelles coupes sur les retraites, les saisies des biens immobiliers et ainsi de suite... monotonies pourtant ensoleillées derrière les derniers nageurs d’un été qui n’est plus.

Monotonies ensoleillées et les derniers nageurs. Près de Kehreai, novembre 2015

Le sanglant 13 novembre à Paris à travers la presse grecque. Novembre 2015

Le sanglant 13 novembre à Paris à travers la presse grecque. Novembre 2015

Le sanglant 13 novembre à Paris à travers la presse grecque. Novembre 2015

Le sanglant 13 novembre à Paris à travers la presse grecque. Novembre 2015

La presse grecque rend ainsi hommage à sa manière aux victimes des djihadistes à Paris, cela-dit, non sans une certaine distance critique. Les Grecs sont horrifiées par l’imposture néo-totalitaire des... Isiotes et autres djihadistes... spatialement panspermiques en Europe Occidentale, cependant, ils pensent que l’Occident, plus précisément ses élites qui nous gouvernent, sont (en partie en tout cas) coresponsables de la situation, dans la mesure où les interventions destructrices des souverainetés d’un bon nombre de pays, ont déjà et largement contribué à la situation actuelle. Voilà pour la perception des réalités, depuis la Grèce en tout cas.

Ce qui de plus inquiète les Grecs (jusqu’à certains cadres au sein des partis de Gauche), c’est le sort... bloqué et de ce fait réservé aux refugiés et migrants, dans la mesure où ces derniers ne pourront plus quitter la Grèce, étant donné que les autres pays sont en train de fermer leurs frontières. “Qu'allons-nous faire de tous ces gens ici ? C'est une catastrophe annoncée... jusqu’à la régénération probable des Corps francs des néonazis Aubedoriens... patrouillant bientôt dans nos quartiers. C’est affreux...”, me confiait-il récemment Yannis, élu de Gauche au sein d’une municipalité des quartiers centraux d’Athènes.

Monument dédié aux étudiants insurgés de l'École Polytechnique d'Athènes. 2015

Une certaine vision parallèle, rendant hommage aux victimes des djihadistes à Paris. Quotidien “Kathimeriní” du 17 novembre

Mais en France également, certaines voix originales se démarquent (partiellement en tout cas) d’un certain unanimisme, telle la tribune publiée au “Huffington Post” sous le titre “Non à la guerre!”, par Denis Dupré, enseignant chercheur en finance et éthique à l'Université de Grenoble:

Je ne veux pas balancer des bombes par avion en Syrie. Je veux utiliser notre armée pour éliminer les Kalachnikovs dans nos villages de France. Je veux flâner en paix sur les quais de la Seine. Je ne veux pas la guerre décidée au petit-déjeuner par un philosophe apprenti sorcier et un Sarkozy qui avait reçu la veille en grande pompe Kadhafi dans les jardins de l'Élysée fleuris grâce aux valises de billets de son invité. (...)

Je veux que la police contrôle nos frontières. Que l'accueil soit contrôlé, attentif aux détresses, généreux à la mesure de nos possibilités: pas de frontières ouvertes et pas de jungle. Je veux un nouveau plan Marshall pour préparer l'avenir et donner un travail à chacun: il y a par exemple nos forêts à mieux gérer pour faire du bois énergie pour remplacer le pétrole si problématique. Je veux combattre ceux qui bradent les biens communs du pays. Je ne veux pas que l'armée prétende apporter la démocratie en Afrique à l'heure où je ne trouve plus son mode d'emploi en France. Je ne veux plus me réveiller avec l'annonce d'une nouvelle guerre décidée par quelques-uns, en toute obscurité”.

Cuisine solidaire et collective. Athènes, novembre 2015

Revendications et banderole... vieillissante. Établissement scolaire. Le Pirée, novembre 2015

Pacotille de saison. Athènes, novembre 2015

Crise qui vieillit, formes de guerre. Le quotidien prend le pas... sur le quotidien athénien. En dépit d’une météo exemplaire, les appauvris se préparent pour l’hiver, les affiches annonçant les cuisines solidaires et collectives dans les quartiers de la capitale s’adressent aux vies fragmentés.

Certaines banderoles dénonçant les suppressions de tant de postes dans l’Éducation Nationale... d’il y a pratiquement deux ans, vieillissent autant, avant de s’installer dans la normalité, pour ne pas dire... indifférence.

L’indécence (partagée) des doctrines ambiantes, relève pourtant parfois de cette... stratosphère dite de Noël, autrement-dit, des achats de pacotille dans un monde où la camelote gouverne ici et ailleurs jusqu’à la mise à mort des uns par des autres.

Au fil des années qui nous séparent d’un certain XXème siècle finissant (et encore), la sérénité chez les êtres vivants devient un privilège. Crise qui vieillit.

La sérénité chez les êtres vivants devient un privilège. Grèce, novembre 2015




* Photo de couverture: Pêche, aussi au profit des animaux adespotes. Péloponnese, novembre 2015