Greek Crisis

samedi 12 septembre 2015

Parodies



Les matinées athéniennes deviennent désormais un peu humides, ailleurs dans le pays il pleut déjà. Dans les cafés, on commente la météo et la politique aux prévisions... de fait inséparables. La tristesse du désespoir plane partout, visible, ou sinon intériorisée et difficilement dissimulée. Nuages et nuées... très vénérables.

Athéna, Centre culturel municipal. Athènes, 2013

Parmi mes amis, en dehors de ceux qui participent directement aux faits politiques, le plus souvent au sein du mouvement de l’Unité Populaire et encore parfois chez SYRIZA, tous les autres, se disent prêts à ne pas se rendre aux urnes. Dégoût, épuisement moral et sentiment d’impuissance, l’ambiance du moment. Et il y a de quoi...

Le ministre dit “technique” des Affaires étrangères Petros Molyviatis au sein du gouvernement par intérim jusqu’à la formation d’un gouvernement... très officiellement issu des prochaines urnes, vient d’agir... après avoir consulté son homologue aux Finances Giórgos Houliarakis. Ainsi, lors d’un vote à l’Assemblée générale de l’ONU, Jeudi 10 septembre, proposant au vote de l’Assemblée neuf principes pour la restructuration des dettes souveraines.

Rappelons que ces principes remarqués par la presse même mainstream, sont “censés s’appliquer dans le cas de restructuration de dettes publiques sont: la souveraineté, la bonne foi, la transparence, l’impartialité, le traitement équitable, l’immunité souveraine, la légitimité, la durabilité et la règle majoritaire. ‘C’est un texte majeur, visant à limiter les abus des fonds vautours’, juge Bruno Colmant, économiste à l’Université catholique de Louvain, en Belgique”. Tristes et alors urgentes vérités.

“Tsipras traître”... et insultes. Athènes, septembre 2015

Voilà donc que sous l’impulsion de l’économiste religieusement européiste et proche de Yannis Dragasákis, la Grèce (au gouvernement non-élu), vient de modifier sa position et ses délégués s’astreindront du vote à l’ONU, contrairement aux orientations léguées par le gouvernement SYRIZA/ANEL, contrairement aux intérêts du peuple grec et en violation flagrante de l’esprit et de la lettre du travail déjà accompli par le Comité d’audit sur la dette grecque que Zoé Konstantopoúlou avait fait former du temps où elle exerçait ses fonctions de Présidente de l’Assemblée Nationale.

Le technocrate Houliarakis (au CV... significatif), déjà négociateur du mémorandum III, il a été choisi par Alexis Tsipras pour cette “gouvernance” par intérim, un choix en somme plutôt... désigné depuis les entrailles des institutions (Troïka). Sa nomination a été saluée d’ailleurs par Jeroen Dijsselbloem, le président fort connu de l'Eurogroupe: “Houliarakis sait ce qu'il fait parce qu'il a déjà très bien travaillé au sein du ministère pour la première moitié de l'année écoulée”. Pourtant, même le quotidien “Avgí” (SYRIZA) s’en insurge jeudi 10 septembre. Trop tard !

Sur les murs d’Athènes des slogans très récents mélangent alors la colère à une certaine vulgarité, davantage rependue que par le passé, signe des temps sans doute: “Tsiprandréou traître, tu peux jouer avec... ton sexe, plutôt qu'avec la classe ouvrière”... une révolution sémantique quant aux contenus des messages, saison politique bien basse.

Athènes, septembre 2015

Fermeture. Athènes, septembre 2015

Le supposé grand débat télévisé du 9 septembre 2015

Mercredi 9 septembre, toute la presse annonçait l’importance du grand débat télévisé du soir, entre les sept chefs politiques représentant les partis (hormis l’Aube dorée). Un non-événement en réalité et en même temps un piètre théâtre d’ombres. Au lendemain, cette même presse titrait sur ce... grand flop, déraisons dérisoires.

Déjà, lors de ces élections, les spots télévisés des partis sont de petits films, voire de sketchs quasi comiques, à travers lesquels, les chefs des formations politiques incarnent leur propre rôle, souvent en ironisant sur certains stéréotypes les concernant. C’est alors ainsi que les journalistes du jour d’après et de chaque jour d’après, attribuent de bons et de mauvais points pour ce qui est de la dextérité théâtrale des politiques comédiens. Finalement, la métadémocratie incarne autant sa propre parodie, y compris et surtout au moyen des images.

Les paroles bien creuses ne manquent pas non plus. Le slogan central de SYRIZA, inventé par une agence publicitaire pour les circonstances forcement actuelles, ne fait plus aucune allusion à quelconque positionnement politique (par exemple de gauche): “Nous nous débarrassons de ce qui est vieux, nous gagnons les lendemains, SYRIZA, seulement (droit) devant”. Certes, tout droit... devant le mur ou plutôt vers le précipice du mémorandum III ! Le mot “gauche” est évidemment banni du vocabulaire Syriziste, les marchands des slogans ont sans doute enquêté pour bien savoir que désormais, les Grecs ironisent très amèrement sur le précédant slogan SYRIZA de janvier 2015: “Première fois à Gauche”.

Affiche SYRIZA. “Nous nous débarrassons de ce qui est vieux”. Athènes, septembre 2015

Affiche Unité Populaire: “Non jusqu'au bout”. Athènes, septembre 2015

Affiche PC grec: Tu les a essayés. Maintenant KKE. Septembre 2015

Slogans et messages de l’ultime gauche, affiches parfois posées aux côtés de celles annonçant la la représentation de Prométhée enchaîné d’Eschyle vendredi 11 septembre, au théâtre d’Hérode Atticus, construit comme on sait au pied de l’Acropole d’Athènes en 161, par Hérode Atticus, né à Marathon en 101, petit fils de Tiberius Claudius Hipparchus, banquier renommé pour sa richesse, condamné au suicide et à la confiscation de ses biens par l'empereur Vespasien ; cependant, il avait néanmoins réussi à en dissimuler la plus grande partie, qui fut retrouvée par son fils. Autres temps ?

Les Grecs réalisent à présent que leurs partis politiques incarnent à peu près certains rôles, et ils y réussissent... à peu près. Ces élections sont d’ailleurs à juste titre assimilées à une étape décisive au plan de l’usurpation de la souveraineté populaire, autrement-dit pour mieux s’exprimer, de l’usurpation de derniers simulacres de cette dernière. Et n’en déplaise aux derniers... puristes de notre Gauche, l’Unité Populaire de Panagiótis Lafazánis ne serait pas en mesure de créer la surprise. Un front populaire ne se décrète pas la toute dernière minute... avant le mémorandum III.

Pourtant, la densité du temps historique et ainsi politique de la Grèce sous l’occupation européiste ne leur aurait pas laissé d’autre choix dans un sens. Trop tard peut-être ? Dans la rue, j’entends souvent les passants insulter Tsipras et ironiser sur la Gauche. Par contre, aucune prévision n’est vraiment possible, les sondages n’ont pas l’air de pouvoir dire quelque chose, surtout en ce moment.

“La Grande chimère” de Karagatsis au théâtre. Affiche, septembre 2015



Costas Lapavítsas, Fréderic Lordon et Státhis Kouvelákis. Athènes, le 9 septembre

Débat: La crise de la zone euro et la Gauche; Athènes, le 9 septembre

Costas Lapavítsas, Athènes, le 9 septembre

Coïncidence toujours, au théâtre on représente “La Grande chimère” de l’écrivain de la génération 1930 Mihális Karagatsis, l'héroïne de la Chimère, Marina, était une femme française mariée à un marin grec, qui vivait à Syros. Elle n’a pas pu... s'acclimater et ce fut la catastrophe.

Au-delà de la... Grande chimère, certains moments politiques de ces derniers jours, révèlent enfin sur certaines vérités, en dépit et contre la théâtralisation dominante. Le débat entre universitaires (de gauche), co-organisé par le mouvement de l’Unité Populaire et par le réseau des économistes RMF mercredi 9 septembre sur le thème: “La crise de la zone euro et la Gauche”, fut un tel moment.

Les trois économistes, Fréderic Lordon (France), Heiner Flassbeck (Allemagne) et Costas Lapavítsas (Grèce), ont apporté un éclairage pas forcement nouveau, mais néanmoins assez accompli (et ainsi pessimiste) de notre impasse, suite notamment à la... mémorandisation de SYRIZA.

Ce débat a été plus important en réalité que le supposé grand débat des journalistes et des chefs politiques qu’a eu lieu pratiquement le même moment dans le studio de la télévision ERT. Pourtant, l’amphithéâtre de la Faculté d’Économie à Athènes ne s’est pas totalement rempli et les medias de la “reductocratie” lui ont accordé une place alors infime.

Pour Fréderic Lordon, “la fonte des glaces en Europe ne fait que commencer. L’acte de décès de l’espoir SYRIZA avait été signe le 13 juillet 2015 (mémorandum III). C’était prévisible, dans la mesure où le but stratégique de SYRIZA était erroné, et par ailleurs, la direction (gouvernement) SYRIZA s’est montrée incapable d’apprendre après avoir analyser les événements en cours. Nous entrons dans une phase extrêmement dramatique et charnière en Europe, tout le monde le voit, ainsi, les pseudo-radicaux à l’instar de Thomas Piketty, veulent instaurer d’urgence un Parlement de l’Euro, une parodie de plus à travers la parodie de la Démocratie en Europe”.

Le... grand débat des chefs politiques. Parodie démocratique. Télévision ERT, le 9 septembre

Car la Démocratie, c’est la possibilité de renverser la situation, chaque situation actuelle. Ainsi, ce que Yanis Varoufákis a déclaré dans une interview récente, accordée à un magazine français est profondément antidémocratique: ‘Il n’y a pas de chemin de retour à partir du moment où l’Union monétaire a été constituée’. Mon désaccord avec une telle logique est alors total, et ce qui est valable pour la Grèce, l’est autant pour nous tous. Il va falloir donc renverser la situation actuelle, celle de l’euro/Allemagne, et redonner ainsi place à l’espoir déchu en juillet dernier... par SYRIZA”.

Heiner Flassbeck (ancien Secrétaire d’État à l’Économie dans son pays) a fustigé “le rôle de l’Allemagne au sein de la zone Euro, bien plus funeste qu’il ne paraît. La politique allemande est complètement erronée, personne n’ose le dire publiquement au sein de l’Eurogroupe, et comme cette erreur de construction de la dite zone continue à bénéficier à l’Allemagne, elle prétend même imposer son ordolibéralisme aux autres pays avec les résultats que l’on constante avec tristesse”.

J’avais rencontré Alexis Tsipras au Texas en 2013. J’ai eu l’occasion de discuter un peu avec lui. Je lui ai alors posé la question suivante: Après ton élection, si tu vas raconter à Berlin que tu es le nouveau chef de la Gauche en Europe, ils vont rigoler. Il m’a répondu avec naïveté, ‘je leur dirai, que je suis le nouveau Premier ministre de la Grèce et que je représente dix millions de Grecs’. Je lui ai dit, ‘Fais attention, Schäuble te rétorquera très sèchement: ‘Je suis le ministre des Finances de l’Allemagne, j’ai mon mot à dire sur l’Euro et je représente quatre-vingt millions d’Allemands’. La suite des événements m’a donné hélas entièrement raison”.

L’Allemagne ne changera pas de politique, sauf contrainte et forcée par une puissance supérieure. Par exemple, la France et l’Italie pourraient menacer l’Allemagne de quitter simultanément la zone euro, voire de le faire, dans pareil cas la situation changerait. Il faut pouvoir porter un coup décisif aux intérêts décisifs de l’industrie allemande pour être en mesure de négocier sérieusement avec l’élite de l’Allemagne. La Grèce seule était bien faible, il faut le dire. Enfin, il ne faut plus se voiler... la vérité. Pour sortir de l’impasse, le futur de l’Eurozone aboutira à deux scenarii. La France et l’Italie quitteront la zone de l’euro, ou sinon, des futurs gouvernements nationalistes mettront fin à celle-ci”.

Athènes, septembre 2015

Non à l'humiliation. Athènes, septembre 2015

Association philanthropique. Athènes, septembre 2015

Costas Lapavítsas, a rappelé comment et combien “les mémoranda sont d’abord une guerre contre les pauvres et contre la classe moyenne, par exemple l’imposition qui pèse sur eux a augmenté de 340% depuis 2010, tandis que celle qui concerne les classes vraiment aisées a accru de 9% seulement. Depuis l’entrée même de la Grèce dans la CEE (1981), le pays a perdu essentiellement ses secteurs productifs, agriculture et industrie. Ensuite, l’euro a parachevé la catastrophe”.

Il faut donc d’abord quitter la zone euro et ensuite, lorsque toute autre politique de restructuration économique et productive du pays en faveur du plus grand nombre de citoyens sera impossible à réaliser au sein de l’Union européenne, eh bien... il va falloir aussi organiser la sortie de l’UE, en expliquant bien les enjeux avant de poser la question au peuple. La route sera longue et pour s’en sortir, la Gauche doit rejeter l’européisme, sinon, l’avenir appartiendra à l’extrême-droite. Sans ce rejet, la Gauche ne se remettra plus jamais...”.

Le buste d’Athéna, devant le Centre culturel municipal de sa ville a été enfin nettoyé, cependant l’avenir serait sombre. Anna, rencontrée près d’une plage samedi 12 septembre est au chômage depuis trois ans et elle n’espère plus rien. Sa survie, ainsi que celle de sa petite famille monoparentale dépend du montant de la retraite de ses parents et un peu de sa... nouvelle activité. Depuis quelques mois, elle a occasionnellement transformé sa voiture... en taxi pirate. “Je voterai Antarsýa, extrême-gauche car même Lafazánis n'est pas assez clair sur la sortie de l'UE. La pseudo-gauche doit un jour disparaitre. L'expérience SYRIZA a été assez parlante déjà... J'en ai assez”, m’a-t-elle dit.

Néonazis de l'Aube dorée sur le marché. En Attique, le 12 septembre 2015

Sur le marché près de la plage en cette localité de l’Attique, les Aubedoriens ont distribué des tracts et des... arguments. Sans trop de bruit, ni fracas. Indifférence ? Banalisation ? Nous avons observé de loin l’attroupement mobile des néonazis, tout cela n’a duré que quelques minutes, entre raisins de Corinthe et melons de Crète, fruits d’époque.

Au-delà de la vitrine, le millefeuille grec est plutôt amer à avaler. Dans les cafés, on commente la météo et la politique aux prévisions... de fait inséparables. La tristesse du désespoir plane partout, visible, ou sinon intériorisée et difficilement dissimulée. Certains prétendent qu’une certaine petite majorité silencieuse pourrait encore accorder un certain avantage à SYRIZA, par la force du désespoir. Anna croit savoir que les retraités, acquis jusqu’à présent au camp du mémorandum par peur de l’inconnu, y demeureront, sauf qu’au lieu de voter pour le PASOK ou pour la Nouvelle démocratie, soutiendront désormais Tsipras du mémorandum III.

Le... millefeuille grec. Athènes, septembre 2015

La saison avance, les bars se vident et l’espoir n’est plus. “La Grande chimère”, non pas de l’écrivain Mihális Karagatsis mais la nôtre, serait cette héroïne... la Gauche. Elle n’a pas pu... s'acclimater à l’espoir des peuples et ce fut la catastrophe. À suivre ?

La saison avance, les bars se vident. En Attique, septembre 2015




* Photo de couverture: Athéna, Centre culturel municipal. Athènes, septembre 2015