mardi 19 mai 2015

Le sarcophage



Le pays patauge. Sur les plages d’Attique le... bas peuple a massivement célébré son attentisme ou peut-être son autisme, tandis que les reportages ont amplement distingué ce premier grand week-end dit des plages. Bientôt donc la faillite (?) dans une apathie alors remarquable ; il n’y aurait plus rien à dire ou à faire. Cependant, les médias et certains politiques, rapportent que l’accord entre la Grèce et les “Institutions” serait plutôt une affaire de jours.

Litanie annoncée. Méthana, mai 2015

Le pays patauge et alors il s’accroche comme il peut. Car ce dernier temps, les litanies des icônes et des reliques redeviennent à la mode, d’où la récente visite... officielle en Grèce, essentiellement à Athènes, des reliques attribuées à Sainte Barbara. L’Église de Grèce a fait venir depuis Venise, les reliques de la Sainte, lesquels resteront dans la localité qui porte son nom près d’Athènes, et ce, du 10 au 24 mai. C’est l’archevêque d’Athènes Jérôme lui-même qui a accueilli les reliques à leur arrivée au pays, mille ans après leur départ d’après l’histoire et ses légendes. Depuis le 10 mai, on les... balade alors en grandes pompes d’un hôpital à l’autre, et d’église en paroisse, pour ainsi... guérir, voire même éclairer le pays sur son chemin... toujours d’après les promoteurs du projet.

Les croyants au pays de l’incroyable crise y affluent par milliers, ces reliques ont été accueillies en Grèce suivant les hommages réservés à un chef d’État et il faut dire que le ministre de la Santé (Panagiótis Kouroumblís, SYRIZA... originaire du PASOK), a... escorté en personne les reliques dans certains hôpitaux. Le... miracle de la Gauche c’est donc autant pour bientôt !

Inutile de dire que le... bac à sable de la gauche Syriziste est fort remué en ce moment. Mes amis de la mouvance (plateforme) de Gauche ne décolèrent pas et pour cause. Déjà, les parousies ministérielles auprès des reliques baladeuses ont suffisamment alimenté les critiques et les grincements de dents. Ensuite, les réunions et les contre-réunions entre différents courants SYRIZA deviennent en effet quasi-quotidiennes cette semaine encore, depuis que le moment fatidique dans les négociations s’approcherait-il. Chant du cygne ?

Potager. Méthana, mai 2015

Hôtellerie de l'autre temps. Méthana, mai 2015

Façade d'une boucherie. Grèce, mai 2015

Les Grecs prétendument imperturbables, cultivent cependant leurs jardins et leurs autres potagers anciens et nouveaux, laissant aux seuls politiques... toutes les encombres de l’autre... plus vieux métier du monde et autant du mémorandum III en gestation, rebaptisé déjà, car on utilise le terme “accord”, moins connoté.

Lundi 18 mai, Costas Arvanítis à la radio 105,5 (SYRIZA) interviewait par téléphone une journaliste du “Quotidien des Rédacteurs” (pro-SYRIZA) pour aboutir de la sorte au constat suivant et vraisemblablement... suiviste des “Institutions”.

Tout le monde le conçoit et l’admet, j'évoque ici les très nombreux électeurs de SYRIZA, son programme est irréalisable dans le cadre de l’Union européenne. Dont acte. Il en reste que le compromis n’est pas encore si patent”. “Il va falloir déterminer jusqu’où, la gauche mettra-t-elle de l’eau dans son vin. Le problème: trop d’eau tue alors totalement le vin... lequel se dilue ainsi complètement”, apostrophe, le journaliste et directeur de la radio. “Certes, sauf que nous allons vers un compromis, il n'y aurait pas d'autre alternative”.

Immeuble à louer. Athènes, mai 2015

Fermeture déjà ancienne. Athènes, mai 2015

Abandons. Athènes, mai 2015

On dirait que les (rares) médias de gauche prépareraient autant que les autres électrolytes de la pensée... para-libérale unique, l’ultime terrain... historiquement bien labouré des neurones... en vue de cette... acception moderne de la sémantique Thatchérienne de TINA. L’avenir nous en éclairera sans doute sous peu. En attendant, des boutiques ferment, mais les bistrots restent remplis et à bord des trains circulant entre Athènes et la Thessalie (plus au Nord), on évoque volontiers entre passagers, tout, et surtout cet ahurissant n’importe quoi sur la crise, désormais si sûrement intégrée dans les faits et dans les gestes.

On remarquera tant, que les contrôleurs sont beaucoup moins nombreux qu’il y avait encore un an, et que nos concitoyens... clochards circulent entre les rames. Puis, lorsque le train marque son premier arrêt en plaine de Thessalie, à Paleophársalos, de jeunes gitans pénètrent à bord, pour quémander quelques centimes sous le regard des passagers ahuris et ensuite, pour tenter (en vain), de vendre un téléphone mobile vraisemblablement volé aux passagers, gens forcement de voyage les uns comme les autres. Modernité bien novatrice !

Philosophie alors passagère: “La situation est bien claire. Il y a ceux qui ont pu tenir, sauvegarder leurs activités, leurs biens et leurs familles. Soit parce qu’ils avaient des réserves bien suffisantes, soit parce qu’ils l’ont pu. Certains métiers bien manuels se sont avérés bien plus primordiaux que cette masse des diplômés définitivement déconnectés du travail. Moi, je suis un manuel, j’exerce comme plombier, mon commerce tient alors la route.”

Buvette, à bord du train thessalien. Mai 2015

Entrepôts délabrés près des voies ferrées. Thessalie, mai 2015

Le citoyen... clochard ayant quitté le train. Thessalie, mai 2015

Ceux qui n’ont pas pu ou pas su, alors ils meurent de faim en Grèce. Pour eux, c’en est bien fichu mais nous n’y pouvons plus grand-chose. Chacun pour soi. La Grèce devient-elle ainsi la Bulgarie et la Roumanie du Sud des Balkans, aux salaires ridicules, à la grande pauvreté et aux gens qui s’en sortent, voire aux eternels riches et aisés. C’est fait et c’est acquis. Le passé ne reviendra pas. Il faut dire aussi que ceux qui s’en sortent ne se cachent plus. Dans mon village, je crois que certains vieux ou moins vieux, ont ressorti les pièces d’or (Souverain anglais), ils achètent aux autres, terres, magasins et maisons pour une bouchée de pain. C’est maintenant ou jamais. La... nouvelle Grèce est en route, chacun s’occupe strictement de ses propres intérêts”.

La nouvelle Grèce est en route... et l’ancienne brume (et brune) n’a plus aucune honte à s’exprimer. Presque tous les jours, j’entends autour de moi ce discours qui consiste à encenser le temps des Colonels. Je ne peux pas mesurer l’ampleur du phénomène, cela-dit, ailleurs comme aussi dans le train, les lecteurs des quotidiens d’extrême-droite (pas forcement de l’Aube dorée car il y a bien d’autres dans ce pays), se montrent subséquemment de plus en plus décomplexés. Tel Yórgos octogénaire, voyageant entre Athènes et Karditsa pour rendre visite à un ami Thessalien.

Je suis né en Égypte, en Alexandrie, au plus beau pays, à l’époque du moins. Nous étions dans les affaires, coton, constructions et commerce. Ma famille a quitté l’Égypte suite aux reformes du général Nasser. Un grand homme d’État, nous l’admirions tous. Ce n’est pas vrai qu’il a soi-disant chassé les Grecs, non, il a tout simplement obligé les natifs du pays d’opter d’abord pour la nationalité et surtout, surtout pour les hommes, de servir dans l’armée égyptienne. Rien de plus normal, sauf que les nôtres ne l’ont pas voulu et ils ont quitté le pays”.

Quelques rares travaux. Thessalie, mai 2015

Terre de Thessalie, mai 2015

Obscénités d'époque. Gare en Thessalie, mai 2015

Obscénité de toute époque. Gare de Karditsa, Thessalie, mai 2015

Ma société, gardant ensuite tous ses liens avec le Caire, avait même collaboré avec les Soviétiques dans la construction du barrage d’Assouan. Un autre temps finalement. De passage par Athènes quelqu’un m’a découvert, et donc mon activité s’est recentrée ici. J’ai toujours regretté l’Égypte mais j’ai ensuite pu... remplir toute ma jeûneuse en Grèce, mes autres frères et sœurs, car je suis le cadet d’une famille de douze enfants, avaient déjà quitté l’Égypte, non pas pour la Grèce, mais pour les États-Unis, l’Angleterre, la France, l’Australie, voire l’Argentine”.

J’ai par la suite travaillé aussi avec l’armée grecque, dans les constructions toujours. Papadópoulos (chef des Colonels) était le seul patriote et les officiers étaient autant de si braves gens. Le pays fonctionnait, l’économie prospérait, un peu comme du temps de Nasser en Égypte. La lente chute a commencé avec le retour de la démocratie. Voilà pourquoi nous sommes en faillite”.

La Grèce se mord alors la queue de ses histoires parmi les plus sombres, signe des temps, des graphismes obscènes et fascisants pullulent alors sur nos surfaces, y compris à certaines gares en Thessalie. La mesure semble être perdue et l’hybris d’en bas, devient ainsi le complément fondamental de celle d’en haut.

Librairie en faillite. Athènes, mai 2015

Tarifs en baisse au bistrot. Athènes, mai 2015

Au propos des stages ? Athènes, mai 2015

La créativité institutionnelle de l’homme n’a été suspendue que lorsqu’on a permis au marché de broyer le tissu social pour lui donner l’apparence uniforme et monotone de l’érosion lunaire. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que son imagination sociale montre des signes de grande fatigue. Un jour, peut-être sera-t-il devenu incapable de retrouver la souplesse, la richesse et le pouvoir imaginatif de ses attributs primitifs”, écrivait Karl Polanyi, économiste et philosophe dans ses “Essais”, sélection de textes qui embrasse une très large partie de la vie de Karl Polanyi: de 1925 à 1964, la plupart sont largement méconnus des lecteurs francophones, voire, inédits en français. Un autre temps ?

Cet autre temps pourtant hante peut-être encore certains esprits de notre ère, si embuée déjà du XXIe siècle, comme à la manière d’une rétrospective de cinéma, il y en a une d’ailleurs consacrée à la Chine du XXe siècle en ce moment à Athènes.

Nos périples, forcement d’intérêt historique, achèveront le travail sur la mémoire du moins, dans un monde où hélas, sa destinée est laissée aux seules mains et lancées des futurs trépassés, comme nous le rappelait dans un texte notre poète Odysséas Elýtis.

Rétrospective cinématographique sur la Chine. Athènes, mai 2015

L'ancien lieu de mouillage de la flotte Russe. Île de Póros, mai 2015

Je me souviens de la maison sous l'Occupation, toujours fermée. Pendant la Guerre civile, même chose. Plus tard, je dus m'éloigner pour longtemps. Le régiment, les bateaux, des amours interminables et des tas de soucis, que je considérais comme uniques et pénibles entre tous. Jusqu'au jour où les deuils me ramenèrent chez nous. J'étais devenu le chef de famille. Moi, chef de quelque chose...

Quant à la maison toute fermée, non seulement elle n'existait plus, mais on ne savait même plus où se trouvait la rue autrefois. Le plan d'urbanisme, que tracent habituellement des gens qui nous ignorent et se fichent de notre avis, avait tout effacé d'un trait de plume.

Mais moi, sans m'en rendre compte, je ne cesse de hanter ces lieux. Et je soupçonne fort que c'est à la place de la belle maison en ruine, au jardin plein d'herbes folles, qu'on a bâti cet immeuble énorme où je loue secrètement un studio pour mes fredaines. Peut-être, en cherchant bien, saurai-je ce qu'est devenue la petite, dont je crains qu'elle n'ait reçu en échange beaucoup d'appartements. Mais je ne veux m'adresser à personne, et surtout pas au concierge qui m'observe d'un si drôle d'air.”, écrivait de son côté Yórgos Ioánnou dans son recueil de récits “Le sarcophage”, (paru en 1971 aux éditions Kédros, traduction française de Michel Volkovitch parue en 1992 aux éditions Climats).

Yórgos Ioánnou sortant de chez lui à Athènes, Documentaire ERT, 1982

Devant l'immeuble où il habitait Yórgos Ioánnou. Athènes, mai 2015

On se souvient heureusement et toujours de Yórgos Ioánnou, on se souvient de sa voix hésitante, de ses textes forts où se mêlent tendresse, révolte et nostalgie et autant, de son aversion pour le... modélisme européiste (et financiocrate).

Depuis toutes ces grandes partances (Polanyi, Elýtis, Ioánnou), les plans du totalitarisme financier, que tracent habituellement des gens qui nous ignorent et se fichent de notre avis, avait tout effacé d'un trait de plume, à savoir, cette imagination sociale dont parlait Polanyi, devenue incapable de retrouver la souplesse, la richesse et le pouvoir imaginatif de ses attributs primitifs.

Au pays qui patauge et qui s’apprêterait à parapher un nouvel l’accord avec les “Institutions” qui nous ignorent et se fichent de notre avis, des graffitis enlaidissent aussi le dernier immeuble de Yórgos Ioánnou.

Porte d'entrée de Yórgos Ioánnou, Athènes, mai 2015

Intérieur de l'appartement de Yórgos Ioánnou. Athènes, mai 2015

Étagères à livres de Yórgos Ioánnou. Athènes, mai 2015

Un peu par chance et moins par hasard, j’ai pu visiter cet ancien appartement de Yórgos Ioánnou. Durant pratiquement trente ans après sa disparition, toutes ses affaires, meubles, objets, livres étaient conservées ainsi intactes par la famille du grand écrivain, cela, comme à travers une certaine parousie (présence et apparition en grec), mais aussi attente.

Désormais, tout a été transporté dans un étage du musée et centre culturel Vafopouleio dans sa ville natale, Thessalonique. Il y repose d’ailleurs depuis.

La Grèce de 2015, son Sarcophage, ses poussières... dans une apathie alors remarquable.

La Grèce dans une apathie alors remarquable. Méthana, mai 2015




* Photo de couverture: Île de Póros, mai 2015