Greek Crisis

mardi 28 octobre 2014

Sous la tempête, la crise



Sous la tempête, la crise. Le vent déchaîné, les pluies qualifiées de diluviennes, et enfin, l’inhabituelle tornade qui a frappé pas loin du Pirée à sa manière, voilà pour ce qui a composé l’essentiel de l’actualité durant la semaine dernière. Les dégâts ont été une fois de plus très importants, singulièrement dans les quartiers situés à l’ouest de l’agglomération et autant, dans le chemin tracé de l’épicentre de la paupérisation galopante. Question de météo.

La tornade du 25 octobre près du Pirée

Dans le port de Lávrion, les amarres d’un ferry n’ont pas tenu et les conséquences ont été tristement spectaculaires, fort heureusement sans victimes. La Grèce se mesure à son mauvais temps ; une météo en effet pas tout à fait exceptionnelle bien que rare par l’intensité des phénomènes sauf que “l'état d'esprit général” est déjà bien chaotique en ce moment.

C'est du n'importe quoi. Nous sommes passés directement à l'heure d’hiver et cela devient très concret. Nous avons froid déjà et le calvaire des appartements peu chauffés débute trop top cette année. Et dans certains quartiers, l’air nocturne sent déjà le bois brûlé. Quelle vie !”, déplore alors un voisin.

Suite aux inondations et aux pluies du 23 et 24 octobre à Athènes



Port de Lávrion, le 24 octobre

Port de Lávrion, le 24 octobre

La Grèce des tempêtes et des tourmentes a dès lors pénétré la zone du chaos... développé et durable. Le psychisme dépressionnaire marque notre saison pour ne pas dire ce siècle novice ; nos experts psychologues et psychiatres ne cessent en effet de le répéter à travers la presse. Les liens se disloquent, les naufragés sociaux s’éloignent les uns des autres, chacun sa bouée ou sa noyade c’est selon.

La crise vieillit dans sa cave, notre presse change ainsi de ton et cela, indépendamment des sensibilités politiques car ces dernières ne suffisent guère désormais à (se) dissimuler certaines évidences. Dans une récente analyse de Georgía Papageorgíou que je qualifierais de méta-gauche publiée par le quotidien “Avgí” (SYRIZA), il est question de nos nouvelles prisons ; à savoir nos villes et autant, nos espaces dits “numériques”. Les études épidémiologiques du moment indiquent ainsi une augmentation de la prévalence de l'épisode dépressif majeur de 3,3% en 2008 à 12,3% en 2013, et ce n’est pas terminé.

Sous la tempête. Athènes, le 24 octobre

Le résultat ? La plupart des gens ont peur. Ce qui est singulièrement grave, tient du fait que ceux qui ne sont pas moralement touchés par la crise et dont l’esprit critique demeure intact en dépit de l'application de la doctrine du choc, plutôt que de mobiliser leurs concitoyens neutralisés par la situation et par la propagande de la télévision, renoncent à toute discussion avec eux! Ils s’isolent et ils isolent ainsi les autres !

Alors la Gauche saurait, et elle appréhende semble-t-il, la mesure exacte des dislocations. Ni Grand Soir, ni luttes aux solidarités supposées retrouvées. D’où ces urgences... pratiques, à l’exacte mesure de la crise humanitaire stratifiée: Le budget destiné à la solidarité organisée vient d’être multiplié par six pour la Région d’Athènes (Attique), désormais gérée par l’équipe de Rena Doúrou et de la Gauche Radicale. Rien de très révolutionnaire diront certains et pourtant...

Nous osons et nous allons parler chiffres - donc multiplier par six - les dépenses adéquates pour ainsi répondre à la crise humanitaire” - me disait récemment Katerina Thanopoúlou, vice-présidente de Région en Attique, je l’avais déjà interviewé en avril dernier. “De 1.958.000 initialement prévu dans le budget 2015 présenté par la Région lors de l’administration précédente, nous porterons le budget social à 13.283.000 euros. Entre autres, de 0 euros, nous passerons à un budget de 2.700.000 euros pour les sans-abris. De même, pour remettre l'électricité et l'eau courante chez les foyers les plus paupérisés, de 0 euros, nous passons maintenant à un budget de 2.250.000 euros.

Monument à la mémoire de notre chien manifestant - Loukánikos. Athènes, octobre 2014

C’est ainsi donc qu’une certaine droite en saurait alors autant, car elle appréhende certes à sa manière, cette même mesure exacte des dislocations. Le quotidien conservateur et depuis peu... insuffisamment pro-gouvernemental “Kathimeriní”, publie un dossier fort documenté sur les difficultés croissantes que certains Grecs rencontrent... post-mortem !

Il s’agit des corps... demeurant dans les morgues d’attente lorsque les familles n’ont pas les moyens de financer les obsèques et encore moins, la concession d’une tombe pour quelques années (en Grèce d’habitude, les restes des défunts sont déterrés quatre à sept ans après).

Pour eux, c’est donc le pré carré au Troisième cimetière d’Athènes, réservé aux “anonymes”, autrement-dit, à ceux dont les obsèques ont été prises en compte par les municipalités. Tombes alors obligatoirement numérotées, seuls les proches peuvent alors identifier les leurs. Météo de crise, tempêtes... et deshumanisation.

Tombes... des paupérisées. “Kathimeriní” du 26 octobre

Le pays du... temps final, commémore ce 28 octobre son entrée en guerre, celle de 1940. C’est en effet le 28 octobre 1940 que l’Italie de Mussolini a déclaré la guerre à la Grèce du dictateur fascisant Ioánnis Metaxás. En dépit des pronostiques, Metaxás avait répondu “Non” à l’ultimatum de Mussolini et c’est ainsi que les forces du... Duce d’alors, ont envahi la Grèce pour ensuite être refoulées en Albanie par l’armée grecque.

La suite de l’histoire exigea le recours aux forces de l’Allemagne et d’Hitler, pour ainsi aider son allié humilié. Puis ce fut le temps de l’occupation... relativement durable du pays par les forces de l’Axe.

Et voilà que cette Grèce à l’historicité contemporaine étriquée, (se) décide à commémorer son entrée, et non plus la fin de la Guerre de 1939-1945, contrairement aux autres pays. Car dès sa libération en octobre 1944 et encore bien avant, la Guerre Civile devenait une réalité graduelle et alors radicale. C’est ainsi que pour l’essentiel, les suppléants volontaires des Allemands nazifiés ainsi que les forces armées paramilitaires auxiliaires à la collaboration, ont été “bravement” incorporés à la réalité très officielle et très... absolue de la Grèce des années de la Guerre Civile (1944-1949) et cela même bien au-delà.

Des collabos aux Colonels. “Quotidien des Rédacteurs” du 26 octobre

Le “Quotidien des Rédacteurs” (de gauche) enquête par exemple sur le cas des anciens collaborateurs parmi les militaires, lesquels (et parfois leurs descendants), incarneront autant et de manière... bien avérée, l’esprit et... le corps de la dictature des Colonels entre 1967 et 1974. Le journal évoque alors l’histoire du général Athanássios Epitídios, membre des milices collaborationnistes et ensuite haut gradé promu durant la dictature des Colonels, remercié en 1975 et décédé en 2003, (enquête d’après les fonds d’archives ELIA).

Entre autres faits dits de guerre, ces miliciens ont... vaillamment assisté les forces allemandes lors des exécutions collectives de 93 résistants à Khalkís sur l’île d’Eubée, brûlant au passage des villages entiers et massacrant des villageois. Cette collaboration avec les nazis comporte donc, l’abominable du viol collectif perpétué par les militaires Allemands et par ces miliciens, de Mantó Moskovitch, institutrice au village de Strópones et israélite, exécutée par empalement le 07 mars 1944.

Détail de l’histoire... celle du temps d’après, depuis 1975, c’est son fils, Giórgos Epitídios qu’alors entame une carrière militaire finalement... assez réussie. Actuellement, le général à la retraite Giórgos Epitídios est eurodéputé de l’Aube dorée. Tout simplement.

1940 revisité sous la Troïka. “Kathimeriní” du 28 octobre

Athènes à la Libération. Octobre 1944

L’histoire revisitée de la période... finalement si étendue, indiquera d’abord que les stéréotypes issus du monde de la Gauche ne sont pas forcement exacts. D’abord, la Resistance certes massive et souvent de gauche n’a pas été le seul phénomène d’envergure sociale durant ces années fracturées. Ceux qui ont très volontairement servi au sein des milices collaborationnistes se comptèrent alors par milliers.

Ensuite, la résistance en Grèce, en tout cas dans ses débuts, n’a pas été forcement de gauche car nombreux ont été ceux issus du monde politique de la droite qui ont également formé des groupes de résistants, sauf que le collaborationnisme et surtout la... réhabilitation dithyrambique des miliciens depuis le temps de la Guerre Civile a effacé cette distinction, si chère aux yeux des historiens consciencieux, entre ceux de droite qui n’ont pas collaboré et les autres.

Le “Non” du guichet automatique. “Kathimeriní” du 28 octobre

Le temps troïkan a subséquemment aussi rajouté à l’hybris de sa nouvelle occupation du pays, cette... reprise d’activité pour une faille sismique dans les mentalités datant de la Guerre Civile. Une autre variante sans soute, de l’application de la stratégie du choc et de la segmentation accrue.

Sauf que tout n’est pas simple à accomplir chez les vivants du temps d’après. Nous serions ainsi plus philosophes qu’avant et de ce fait, moins doctrinaires. “Kathimeriní”, quotidien cependant mainstream, publie des lettres du front ainsi que deux dessins fort éloquents. 1940 est alors revisité sous l’ère de la Troïka ; dans le premier dessin les soldats grecs se posent alors cette question: “Pourquoi donc ces soldats italiens courent-ils ainsi ?”. Réponse: “C'est parce que nous venons de leur expliquer combien ils paieraient en nouvelle taxe foncière pour les territoires qu'ils allaient conquérir”. Le deuxième dessin évoque à sa manière le transfert anachronique du “Non” de 1940 en 2014... mais cette fois, devant un guichet automatique.

Le port du Pirée vu depuis celui de Pérama. Octobre 2014

Les derniers navires de croisière de la saison amarrés au Pirée sont visible de loin comme il se doit, tandis que les défilés du 28 octobre, dernière attraction touristique pour certains, auront mobilisé quelques milliers de policiers, même si désormais la... présence citoyenne est admise seulement sur invitation parmi les familles... prétoriennes par excellence, et par crainte des “agissements incontrôlables” de la part de la foule. Comme exactement, et comme par hasard au Portugal.

Défilés surveillés. Presse du 28 octobre

Une nouvelle alerte météo vient de tomber mais c’est pour le sud du Péloponnèse et le nord de la Crète et non pas pour Athènes et sa région. Nos amis Crétois nous racontent déjà par téléphone que le temps est bien inhabituellement exécrable que de saison, y compris chez eux.

Dans le chemin tracé de l’épicentre du dépérissement chez les humains, et sous certains vents parfois si dominants. Sous la tempête, la crise. Question de météo.

Lettres du front de 1940. “Kathimeriní” du 28 octobre




* Photo de couverture: Athènes, capitale depuis 180 ans. Exposition