Greek Crisis

mardi 26 août 2014

Le Paris d'Angela Merkel



L’été grec se prolonge et s’étend. Comme d’ailleurs notre crise. Une fois n’est pas coutume, la presse grecque du 26 août fait sa “Une” sur la démission du gouvernement français. “L'Allemagne a imposé cette démission humiliante au gouvernement français, c’est alors un dictat infligé à Paris par les Merkelistes de Berlin. Un bouleversement de plus, qui témoigne de l’accablante réalité de la crise en France et autant, de l’impasse avérée au sein de la ‘prison’ de la zone euro, voire plus généralement, de l’Union européenne allemande”, estime l’éditorialiste du site “ISKRA”, média exprimant les positions de la mouvance gauche chez SYRIZA.

Sur ordre de Merkel... “Quotidien des Rédacteurs” du 26 août

Certains braves gens sont ainsi décapités sur ordre de Merkel” écrit le “Quotidien des Rédacteurs” daté du 26 août, le titre est effectivement gros ! De manière plus diplomatique, le quotidien économique “Naftemborikí” remarque que “la politique d'austérité imposée par l'Allemagne sur l'ensemble de l'Europe, France comprise, devient l’épicentre de la dernière crise gouvernementale à Paris”. Il y aurait donc des vérités hélas incontestables.

Telle est en tout cas la perception des représentations et des mentalités grecques du moment à ce sujet, au pays où, entre autres (et ce n’est qu’un exemple), depuis la dernière reforme territoriale de 2010 inaugurant ainsi la parousie... réformatrice de la Troïka chez nous, la suppression des départements ainsi que le regroupement des régions ont... simultanément inauguré la cogestion des collectivités territoriales sur notre territoire ex-national attribuée à Hans-Joachim Fuchtel, nommé officiellement par Angela Merkel... “Consul pour la Grèce” - “Bundeskanzlerin für Griechenland”, ainsi le nouveau... modèle graduel européiste ne nous semble guère si éloigné et encore moins étrange !

Le “Parlement” grec et le “success story” d’Antónis Samarás. “Quotidien des Rédacteurs”, août 2014

Dans ce même nouvel ordre d’idées et d’après mes amis fonctionnaires, “les Allemands et les autres Troïkans ont pris les contrôle des ministères grecs” au moment où de leur côté, les représentants des fonctionnaires au ministère des Finances dénoncent la récente loi concernant la taxation des bien immobiliers... foncièrement injuste, étant donné en plus que “certains articles ont été rédigés en anglais par les sbires des cabinets d'avocats étrangers travaillant pour la Troïka. D'abord la traduction avait été élaborée à la hâte est très mauvaise et surtout, ces dispositions ne tiennent absolument pas compte des réalités sociales et économiques de notre pays”, ce qui a provoqué des réactions politiques partout, y compris chez les centristes de la droite à l’instar de l’ancien maire d’Athènes, Nikítas Kaklamánis.

On se souvient aussi comment le gouvernement, du funeste certes Papandréou, avait... été démissionné sur ordre d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy en 2011 pour alors mettre en place leur élu et banquier - Premier ministre, Lucas Papadémos. Les faits ont été reconstitués depuis, à la fois par certaines enquêtes journalistiques, et aussi par les témoignages (tardifs) de certains hommes politiques européens. L’Union Européenne, c’est décidément l’austérité... plus le néocolonialisme, en sa formule renouvelée.

Notre littoral n'est pas à vendre”. Jeunes de SYRIZA, île de Límnos, août 2014

Les îles surchargées. Touristes à Santorin. “Kathimeriní” du 24 août

Notre été serait pourtant presque généreux... sans tout cela. Depuis juin, une course délirante est entamée pour ce qui tient de la braderie (gratuite) des richesses du pays au profit de seuls intérêts privés, étrangers et parfois grecs. Le littoral n’échappe pas à cette prédation, c’est même bien pire car la privatisation illégale et anticonstitutionnelle d’une partie du littoral constitue la partie la mieux visible du terrible iceberg et autant du... Titanic grec.

Tel est par exemple... le sort réservé à la longue plage d’Afándou à Rhodes, comme à celle d’Irakliá dans les Petites Cyclades. Nektários Santoriniós, élu régional de Rhodes (SYRIZA sur la radio 105,5 le 11 août) a dénoncé cette prédation sur un littoral, pourtant protégé en théorie par la Convention “Natura 2000”.

C’est la première fois qu’un site naturel public est ainsi privatisé, par une rapide loi, d’ailleurs anti constitutionnelle. Nos ministres légifèrent donc d’après les ordres et les intérêts privés, grecs ou pas. C’est également au truchement de... toute cette folie organisée qu’au sud de Rhodes, près de la presqu’ile de Prasonísi, des... intelligences alors bien dérangées projettent la construction d’un terminal pétrolier, accompagné d’une usine produisant de l’énergie, évidemment, sur le site le mieux préservé de notre île, un comble” (cité de mémoire). Nektários a raison et il est amer. Déjà, il y a pratiquement deux ans, nos discussions à Rhodes avaient porté sur ces mêmes thèmes. Il craignait le pire, sauf que c’était avant les élections de 2012. La suite connue n’a pas trop tardé.

Manque de personnel pour ramasser les ordures sur l'île de Náxos. Août 2014. Source, naxos-news

L’embellie de l’été grec se termine ainsi, notamment pour les... autochtones. Les Athéniens sont de retour après une période de vacances de plus en plus courte, tandis que le pays reçoit comme on dit un tourisme bien massif.

La presse nationale, comme parfois celle de l’archipel grec dénonce le manque d’espace et d’infrastructures lorsqu’il s’agit d’accueillir nos 22 millions de touristes par an. Les professionnels du secteur ne pensent qu’à l’extension de leurs activités, à la croissance, tandis que le “gouvernement” Samarás mise sur le tourisme pour sauver les meubles du pays, ou plutôt pour mieux les brader.

Ses ministres, à l’image d’Olga Kefalogiánni actuelle ministre du Tourisme, issue des rangs de l’ultralibéralisme et... du meilleur népotisme bien de chez nous, feront tout pour brader les biens et les territoires nationaux.

Récemment, et d’après la presse grecque,Olga Kefalogiánni aurait donc évoqué avec le prince saoudien Al-Walid ben Talal, la possibilité de l’acquisition (par lui) de l’île de Dia, située au nord de la ville portuaire d’Heráklion. D’après le reportage du quotidien économique Imerisía, le prince saoudien a interrogé notre ministre sur cette île très belle, car il serait désireux de l'acheter et ainsi la valoriser. On sait déjà, que certains responsables qataris auraient projeté un plan analogue de développement et d’investissement, dans la mesure où une formule sera trouvée pour Dia, ce qui complétera positivement l'économie de la Crète. Cependant, les problèmes sont nombreux parce que l'île fait partie de la municipalité de Goúves et en plus, il s’agit d’une zone protégée par Natura 2000 en raison de la diversité biologique alors très importante présente sur l’île”, “Imerisía” du 19 août.

En mer Égée. Août 2014

Le paradoxe ne tient pas du fait que l’homme représentant la 26ème fortune mondiale soit intéressé par une telle “acquisition”, ce qui est singulièrement révélateur de l’état du monde dans lequel nous vivons, c’est que la notion du bien public est... si bien arrachée des mentalités et des pratiques, Troïka ou pas d’ailleurs.

Une fois de plus, la démesure, voire l’hybris règnent en maîtresses des lieux, des lieux désormais communs et des mentalités délavées. Pour le journaliste, comme pour le politique, le fait de l’appartenance de l’île à la collectivité ainsi que sa spécificité reconnue et enfin protégée au niveau d’ailleurs européen, deviennent des “problèmes” au lieu d’apporter la solution.

C’est enfin étrange, mais à ma connaissance, la Commission de Bruxelles n’aurait pas réagi face à cette... déchéance orchestrée, pour ce qui est du programme instituant le réseau Natura 2000, “rassemblant des sites naturels ou semi-naturels de l'Union européenne ayant une grande valeur patrimoniale, par la faune et la flore exceptionnelles qu'ils contiennent et ayant pour objectif de maintenir la diversité biologique des milieux, tout en tenant compte des exigences économiques, sociales, culturelles et régionales dans une logique de développement durable”.

Navigants courageux. Mer Égée, août 2014

Touristes à Athènes, août 2014

Les bouleversements en ce nouveau siècle de l’année 14 n'en finiront pas de nous surprendre tant qu'ils ne seront pas achevés. Comme nous... peut-être avec. “La Grèce n'est plus ce qu'elle était, d'ailleurs elle n'est plus rien” affirme mon ami Ariélis, l’agronome d’Artémida, station balnéaire pas loin d’Athènes. C’est alors ainsi qu’il s’enferme de plus en plus dans son remarquable jardin.

Durant les jours qui ont précédé la démission du gouvernement français, la presse grecque de cet août qui se prolonge et s’étend comme manifestement notre crise, avait fait sa “Une” sur le double meurtre du Péloponnèse. Deux jeunes hommes, présumés proches des idées de l’Aube dorée, ont assassiné deux autres jeunes hommes, également présumés proches des idées l’Aube dorée ; une affaire de règlement de comptes dans un trafic d’anabolisants. La Grèce, ses apories et ses... vicissitudes alors béantes. Nouveau siècle et ancien temps.

Athènes en août 2014

Dans la foulée, le “gouvernement” annonce sa volonté de reformer la Constitution “afin de rendre notre régime plus présidentiel et ainsi rendre quasi-impossible, le recours aux élections législatives anticipées”. Par la même... occasion, un nouveau code pénal est en préparation. Il instituerait d’après l’analyse des juristes SYRIZA (quotidien “Avgí” du 26 août), une justice favorable au régime et aux tenants de la kleptocratie, bien de chez nous. En outre, un crime passible de l’emprisonnement à perpétuité, celui de l’ambition - y compris simplement exprimée publiquement - “de renverser notre régime démocratique par la violence” serait probablement présenté. Sauf que notre régime n’est que la dernière parodie de la démocratie, et alors hélas, pas que chez nous.

Cornelius Castoriádis, Thucydide et peut-être même Strabon se retourneraient dans leurs tombes et bien pour cause. On se souviendra que selon le grand géographe d’il y a deux mille ans: “L'Europe, l'Asie et la Libye étaient autant d'îles autour desquelles circulait l'Océan; en dehors de ce monde existait un continent unique d'une immense étendue, peuplé de grands animaux; les hommes qui l'habitaient, les Méropes, avaient une stature double de la nôtre, et la durée de leur vie s'allongeait dans la même proportion. On trouvait chez eux de grandes et nombreuses cités, des fleurs particulières, et des lois tout différentes de celles qui nous régissent” (Strabon, livre VII).

Le filme “Le Havre” projeté à Athènes, été 2014

Vision du capitalisme. Athènes, août 2014

Surtout des lois, tout différentes de celles qui nous régissent peut-être encore.

Enfin, voilà une nouvelle qui n’aura pas fait la “Une” par ce temps nouveau. Une femme âgée de 68 ans, habitante de l’île de Syros, s’est donnée la mort lundi 25 août par pendaison devant chez elle, à Hermoúpolis, splendide capitale si lumineuse, des Cyclades. Le soleil... et le tourisme en plus.

Athènes, août 2014




* Photo de couverture: Visiteurs de la Grèce. Août 2014