Greek Crisis

jeudi 1 mai 2014

Voyage à Cythère



Le calendrier prétendument électoral presserait comme alors toujours. Et entre décalages et précipitations, la Grèce... pélagique accueille ses touristes déjà nombreux et heureux de l’être. À Athènes, les graffitis les plus... patents sont nettoyés des murs et des façades, tandis que le “gouvernement” brade en ce moment même des édifices classés, appartenant au ministère de la Culture et situés au centre du quartier historique de l’Acropole, la Plaka que nos visiteurs fréquentent si couramment. Leur propriété est ainsi transféré au TAIPED, cette... “Treuhandanstalt” du Sud grec troïkanisé.

Nettoyages. Athènes, le 28 avril

Car à l’image de ce que fut l'organisme de droit ouest-allemand chargée de la privatisation des biens de la République démocratique allemande (RDA), l’Agence fiduciaire du TAIPED transférera la propriété des bâtiments aux “investisseurs” des fonds vautours et autres rapaces d’ailleurs et d’ici.

Déjà fin 2013, la propriété d’une quinzaine d’immeubles classés au patrimoine national avait été transférée au TAIPED (Journal officiel B 2883/2013) et dix-neuf autres connaîtront ce même sort cette année (Journal officiel B 571/2014), ils seront donc bradés. Une forme de prédation en somme bien connue et pratiquée de tout temps et de toutes... les historicités ; de ce point de vue, le méta-modernisme du XXIème siècle n’aura rien inventé.

Graffitis nettoyés, place de la Constitution. Athènes, le 28 avril

Inutile de dire à quel point la “grande” presse (écrite ou électronique) a pratiquement ignoré ces faits si accomplis, hormis un reportage d’ailleurs assez complet du quotidien “Avgi” (de SYRIZA) au 29 avril, quand les lecteurs du “The Guardian” en avaient été alertés dès le mois de mars, suite à un article bien documenté. À la date du 20 avril, les députés SYRIZA ont formulé une question écrite au “gouvernement” à ce sujet, restée sans réponse au sein d’un Parlement (récemment) si brouillant et néanmoins de toute évidence essentiellement muet depuis... l’avènement de la Troïka à Athènes en mai 2010 il y a quatre ans déjà.

Le journal “The Guardian”, 16 mars 2014

Notre temps. “Quotidien des Rédacteurs” du 26 avril

Les suites à cette prédation et autant à l’hybris qui est si intimement attachée, seront autant “logiques”, que les monomanies exprimées récemment par le banquier Stournaras au ministère des Finances: “On ne badine pas avec l'Euro, on ne joue pas avec ce qui est sacré”. C’était en critiquant les “hésitations” grandissantes d’une fraction de SYRIZA quant à l’Euro, ce à quoi Manolis Glezos (héros de la Resistance, élu SYRIZA et candidat aux élections dites “Européennes”) a répondu: “C'est l'Homme qui est sacré, son existence, ses droits, la démocratie, la liberté et l'indépendance” (quotidien “Eleftherotypia” du 30 avril).

Le ministère de la Culture, une fois supprimé par le “gouvernement” du banquier Papadimos (2011-2012), il a été... réhabilité sous les auspices de la “gouvernance” Samaras. Pour le meilleur et surtout pour le pire, hélas. Car en Grèce, ceux qui arrivent encore à prêter attention aux faits significatifs, une minorité peut-être, réalisent alors avec frayeur combien et comment le crime organisé (d’en haut) utilise (aussi) les derniers et bien piètres alibis d’une politique prétendument “culturelle”.

La presse locale des Cyclades relève ainsi cette dernière “bizarrerie” qui consiste à décréter certaines petites îles des Cyclades “zones archéologiques exclusives” (Journal officiel du 28 janvier 2014). En connaisseur des lieux et des circonstances, le journaliste de Náxos-news s’interroge alors à très juste titre: “Dans quelle mesure cette décision ainsi que certaines fouilles récentes mal organisés, ne cacheraient-elles pas tout simplement, le futur transfert de la propriété des îlots au TAIPED lequel les aspirera ?” comme tout le reste (www.naxos-news.gr au 4 avril).

Protestation en mer de Crète. “Quotidien des Rédacteurs” du 26 avril

En même temps une autre nouvelle... pélagique a été ignorée de la presse du moment, celle de la protestation d’un très grand nombre parmi les habitants de Crète ainsi que de ceux de l’île de Cythère face au nouveau péril qui menace nos eaux, à savoir, la destruction par pyrolyse en mer et au large de la Crète, de l’essentiel de l’armement chimique de la Syrie. Seul le “Quotidien des Rédacteurs” a consacré deux pages à l’événement, puis ailleurs le grand silence.

Sur les 2.500 habitants que compte l’île de Cythère, plus de 2.000 se sont mobilisés en avril, certains ont participé à la “chaîne navale” formée au Sud de la Crète, composée de bateaux et pêche et d’autres embarcations de la colère.

On se souviendra à l’occasion de cet autre “Voyage à Cythère” de Théo Angelopoulos Cythère, l'île fut représentée chez lui sous son évocation mythique, s’agissant de l’endroit où s'accomplissent les rêves de bonheur car son film (1983) se déroule en hiver et au nord de la Grèce, comme tous les autres films du grand réalisateur.

Le monument érigé à la mémoire des naufragés de l'Oria. Avril 2014

Aux 4.000 Italiens disparus du naufrage de l'Oria en 1944. Attique, avril 2014

C’est vrai que les mers grecques en ont déjà vu bien d’autres, catastrophes bien entendu. Et c’est enfin en cette année 2014, qu’un monument a été érigé à la mémoire des 4.000 prisonniers Italiens et du terrible 12 février 1944. Déportés par les forces allemandes depuis les îles du Dodécanèse à destination des camps de concentration, ils ont alors péri lors du naufrage du “SS Oria”, bateau à vapeur norvégien construit en 1920 et réquisitionné par l’armée allemande, lequel a coulé près de l’île de Patroclos, guère loin du Cap Sounion par nuit de grosse tempête.

Ce fut l'une des pires catastrophes maritimes, et sans doute la pire causée par le naufrage d'un seul navire dans la mer Méditerranée, dirions-nous, en bien d’autres temps. Les “Caduti dell’Oria”, ces perdus à jamais, resteront aussi oubliés des touristes qui scrutent la mer depuis Cap Sounion et le temple de Poséidon, tant oubliés de presque tous les autres. D’après les témoignages, durant les six mois qui ont suivi le naufrage, de leurs restes rejetés par la mer et autant par l’histoire, furent récupérés par les bergers de la côte d’en face. Une tragédie de la guerre et du temps.

Touriste au Cap Sounion, avril 2014

Touristes à Athènes, avril 2014

Au moment où “notre gouvernement” se félicite du nouvel essor que connaîtrait le tourisme en Grèce (pour ce qui est du nombre de visiteurs essentiellement), nos voyageurs n’auront presque pas vu non plus ces autres “Caduti” de 2014, ces Grecs qui par milliers “fréquentent” alors les distributions gratuites de fruits et légumes fin avril, à l’initiative des maraîchers lesquels protestent aussi de cette manière contre la nouvelle loi-cadre codifiant leur profession.

C’est tout le pays invisible ainsi poussé vers l’ombre existentiel jour après jour. D’où alors cet autre cri du cœur de l’écrivain Christphoros Kasdaglis au nom des chômeurs récemment: “Ils sont ignorés des partis politiques, ceux de la gauche comprise, et pourtant, ils devraient occuper la moitié des listes pour ce qui est des prétendants aux élections de mai prochain, européennes, comme locales ou municipales. Car la promotion politique demeure plus que jamais celle des nantis ou au pire, celle de ceux qui n’ont pas tout perdu. Il ne faut pas s’étonner alors du peu d’empressement des chômeurs quant à la participation aux manifestations organisées par les partis politiques et les syndicats”, (site http://www.thepressproject.gr/article/60588).

C’est autant ainsi que le prétendu “excédent budgétaire primaire” grec, dont Antonis Samaras se déclare âtre si fier, ne provoque que de l’ironie ou de l’humour sombre à travers tout le pays.

Je n'espère plus rien, je n'ai peur de rien, je suis chômeuse. Athènes, 2014

L'excédent primaire vu par le “Quotidien des Rédacteurs” du 26 avril

Distribution gratuite de fruits. Athènes, le 29 avril. Hebdomadaire “To Pontiki” du 30 avril

Notre univers décomposé ne prête même plus à rire. Samedi 26 avril, j’ai assisté par hasard au tournage de certaines scènes pour l’émission télévisée (et radiophonique), satyrique et politique “Ellinophrenia”. Vêtu en Evzone, le personnage central incarne un pseudo-journaliste qui pose des questions aux passants sur la prétendue réussite d’Antonis Samaras.

Les sondés du moment ont tous dénoncé “notre mort organisée par Samaras, la marionnette d'Angela Merkel” ou “le génocide économique perpétré contre notre peuple, déjà lorsque sa classe moyenne est pratiquement détruite en si peu de temps”, sauf que la dérision n’y était pas. En dépit des efforts du protagoniste... initiateur du débat, personne ne riait et ce fut plutôt de la colère qui en résulta. Il se rattrapera donc au montage... à l’instar peut-être des partis politiques au lendemain des scrutins de ce mois de mai, et comme de chaque mai dans un sens.

Tournage de l'émission “Ellinophrenia”. Athènes, le 26 avril

Installation d'un kiosque électoral. Athènes, le 30 avril

Non loin de l’endroit du tournage, on installait un kiosque électoral comme on dit ici, participant à la promotion d’une candidature quelconque aux élections municipales. Du bruit, vacarme parfois assourdissant pour presque rien. À Kaisariani, quartier historique de la Résistance à Athènes (mais jadis), un soir d’avril, ce fut devant le local électoral de Theodoros Ioannidis que l’ambiance discothèque de pire barbarie audible s’imposait à presque tout le quartier, devant une bien petite foule de supporteurs insupportables.

Décadence et acculturation alors poussées à l’extrême, sauf que peu de gens se montrèrent vraiment gênées par cette... politique. Pour la petite histoire de l’insignifiance, l’Ioannidis du jour est un avocat déjà élu conseiller municipal par le passé sous le patronage de la Nouvelle Démocratie et ayant travaillé pour la Banque Nationale de Grèce et autant au sein d’un autre organisme, en qualité de gestionnaire des Fonds Structurels de l’UE, et qui se déclare désormais “sans étiquette” en 2014.

La discothèque... du candidat Ioannidis à Kaisariani. Avril 2014

Les supporteurs du candidat Ioannidis à Kaisariani, avril 2014.

À l’opposé, et étiquetés à gauche, les manifestants d’Athènes et d’ailleurs, ont célébré comme on dit, la “fête” du travail en ce 1er mai 2014. Visages crispés accrochés à une détermination fatiguée, moments de pause agissante et de réflexion pour certains par les temps qui courent. “No more” (Samaras et Merkel) d’après les affiches SYRIZA des dernières semaines et pourtant, un semi-mémorandum vient d’être “déposé” au “Parlement” mercredi 30 avril.

Le texte sera adopté sans doute par le consortium... des étiquetés réunies avant la date butoir de l’Eurogroupe du 5 mai. Les droits sociaux et syndicaux restants seront de... leur fête et le rôle du TAIPED se verra renforcé, d’après le reportage de la pesse grecque.

Affiche SYRISA, avril-mai 2014

Manifestants du 1er Mai à Athènes.

Le calendrier prétendument électoral presserait comme toujours et encore. L’UE, ses territoires et leurs braderies. Une utopie, en grec un non-lieu, voire, une chimère au Parlement Européen alors bientôt décrété “zone archéologique exclusive” par les électeurs me semble-t-il.

Soleil à Athènes et au Musée de la monnaie, nos touristes contemplent les drachmes d’autrefois ainsi que les animaux adespotes (sans maître) de toujours. Voyages à Cythère.

Animal adespote au Musée de la monnaie. Athènes, avril 2014




* Photo de couverture: Touriste, Cap Sounion, avril 2014