Greek Crisis

vendredi 14 mars 2014

Rivières et ruisseaux



En ce printemps, les euphémismes fleurissent jour après jour. Déjà les brisures du PASOK s’entredéchirent derrière l’échec pressenti du “nouveau” mouvement politique dit de “l'Olivier”, émanation, ou plus exactement effluve de l’initiative ratée des “58 personnalités du centre-gauche”. Et depuis une semaine, notre drôle de stratosphère politique sous haut patronage troïkan, vient d’installer son dernier logiciel, le “nouveau parti politique”, nommé “la Rivière”.

Stavros Theodorakis et sa “Rivière” promue par “To Vima” du 11 mars

Stavros Theodorakis, journaliste “politically lifestyle”, ami politique au moment très propice de la bande à Papandréou, historiquement nourri aux subsides des grands médias appartenant aux promoteurs et proxénètes étendus du népotisme para-démocratique ab origine, et voilà, que les médiocraties, athénienne, bruxelloise et Berlinoise... le “découvrent” enfin... pour incarner la catharsis.

On fera feu de tout bois et jusqu’au compostage final, opération qui consiste à dégrader dans des conditions supposées contrôlées, les déchets organiques de notre néo-Antiquité tardive, s’enfonçant dans une longue ère d’agonie avant sa disparition, inéluctable, depuis les désordres engendrés par l’invasion “financieriste”.

Venizélos, ultime chef du PASOK et “l'Olivier”, “To Pontiki” du 10 mars

Tous les médias accordent leurs violons... urinoirs pour surtout démontrer zéro plus zéro combien et comment le nouveau parti de la “Rivière” est “synonyme de renouveau” ; il serait même crédité de 5% à même 10% des voix lors des élections européennes. Alors nouveauté ? Déjà, le sigle du parti est une copie en couleur et de peinture légèrement camouflée de celui de l’euro, et ensuite, jamais un lancement d’un mouvement politique n’a bénéficié d’un tel engouement de la part des médias (neuf chaînes de télévision !), ceci explique aussi cela.

C’est autant vrai, vu que les propriétaires des médias en Grèce (en réalité en faillite, endettés envers les banques et contribuables profusément oublieux), dépendent désormais directement des décisions que prendront les véritables maîtres du para-système grec, à savoir les Troïkans ainsi que Berlin.

Mort aux Pasokiens. Athènes, mars 2014

L’escroquerie de la social-démocratie ayant parachevé son rôle politique, les nombreuses suites donc se préparent ; car tout le monde admet en Grèce que Venizélos, dont la conduite vis-à-vis du pouvoir relèverait davantage de l’addictologie que de l’analyse politique, est très probablement l’ultime empereur fanfaron du PASOK.

La “Rivière” se déclare ainsi être farouchement européiste parce que “l'Europe c'est notre famille, cette Grande école de la différence unifiée. Nos ennemis, sont les populistes, les nationalistes et les euroscepticistes” (Stavros Theodorakis, “Kathimerini” du 14 mars), et que “de toute manière le modèle traditionnel de l'État fort arrive à son terme et d'ailleurs partout, il est donc en train d'évoluer. Ses pouvoirs sont transférés vers les structures supranationales comme l'Union Européenne, et également, vers les communautés locales, là justement où peuvent s’exercer plus aisément certaines formes de démocratie directe” (Stavros Theodorakis, “To Vima” du 11 mars).

Athènes, mars 2014

D’après l’écrivain post-opportuniste Nikos Dimou, germaniste, germanophile et interlocuteur occasionnel du président fédéral d’Allemagne lequel a choisi de joindre le lit du... fleuve de son ami Stavros en qualité même de co-initiateur, “la Rivière n'a pas d'idéologie, et cela est très positif, en outre, notre nouveau parti bénéficie du soutien des facteurs décisionnels étrangers lesquels nous encouragent à poursuivre, nous assurant du financement potentiel de notre projet de société” (chaîne de télévision SKAI, le 10 mars).

Je présume alors que la “Rivière” est un parti hautement idéologisé et qu’une force... connue ferait de son mieux... dans le clonage des Quislings et de certains projets de société. Venizélos est effectivement “terminé” politiquement, d’ailleurs depuis peu, il ambitionne publiquement sa probable nomination au sein de la Commission européenne.

En tout cas, cette grande offensive de propagande de la part des médias, est la troisième dans ce genre, et surtout, de par une telle intensité, la première étant celle de 2009 et faisant de l’escroc (politique) Papandréou un “premier-ministrable moderne et réformateur”, la deuxième incarna l’entreprise promotionnelle entre 2012 et 2013 banalisant l’Aube dorée, paroles et actes compris.

Je remarque autant les articles issus du journalisme trop habituel ailleurs qu’en Grèce, comme sur le site d’Euronews: “A new political party has emerged in Greece aiming to find ‘modern solutions’ to the country’s ‘big problems’. Founder Stavros Theodorakis, a well-known television journalist, said The River would use ideas from parties on the left, as well as liberal political powers”, (le 4 mars).

Trottoir diversement fréquenté. Athènes, mars 2014

À Athènes, les passants baissent maintenant leurs yeux devant le spectacle de nombreux destitués de l’existence. Leurs lits ce sont les trottoirs, loin de celui de la rivière, trop loin même. Et au-delà de la mer, en Crète jeudi 13 mars, une femme âgée de 54 ans et gérante d’une cantine, s’est jetée des remparts de la ville d’Héraklion, si photographiés des touristes mais en d’autres circonstances.

Dans ses poches les secouristes ont découvert six cent euros ainsi qu’un message adressé à son mari et à sa fille: “Avec ces six cent euros tu régleras la dette envers la Sécurité Sociale des Indépendants. Le loyer je l'ai payé déjà hier. Ma fille, il faut que tu me pardonnes, je ne pouvais plus supporter ce calvaire, saigner tous les jours pour tout juste gagner de quoi remplir une assiette. Tu dois t’occuper des études de notre fille ; il ne faut jamais la laisser seule. La maison au village, c’est pour elle”, (quotidien “Nea Kriti” et neakriti.gr du 14 mars), et s’agissant de la quatrième tentative d’assassinat de la semaine d’après le quotidien régional. La Grèce, autre que celle des rivières encrassées trépasse... sans euphémisme.

Devant le bâtiment de la radio-télédiffusion. Athènes, le 11 mars

Devant le bâtiment de l’ex-ERT. Athènes, le 14 mars

Devant le bâtiment de la radio-télédiffusion de l’ex-ERT dans les quartiers nord d’Athènes, certains des anciens, peu nombreux, ont manifesté au soir du 11 mars. Euphémisme encore, car ce fut pour rappeler tout juste la date du 11 juin, neuf mois après la mort subite en direct de l’ERT. Depuis, les responsables (?) politiques de l’anti-mémorandum, ceux notamment issus des rangs de la gauche grecque passèrent par là. Parmi eux, Alexis Tsipras, Manolis Glezos et de nombreux élus SYRIZA et du KKE. Et ensuite plus rien.

Victoire à ERT. Athènes, le 11 mars

Une des affiches de gauche imprimées pour les circonstances cette semaine, souligne alors “cette victoire à ERT”, pendant que c’est plutôt l’inverse qui s’est réalisé. Étranges gens de gauche... déréalisés parfois autant que le reste du pays. Manifestation triste et cependant digne. Une jeune femme tenait une fleur juste devant ces policiers, souriants pour une fois. Elle n’a pas souhaité que son visage apparaisse sur ma photo, le refus de se prendre en photo lors des manifestations (et pas uniquement) se généralise.

Les membres d’une équipe italo-grecque de vidéastes venus d’Italie récemment, me disaient que “les gens en Grèce ne veulent plus s’exprimer face à une camera, voire, ne plus parler tout court. Ayant souhaité interviewer des universitaires, nous sommes alors tombés face à un mur. Pas question d’y parvenir à nos fins, raison invoquée, la peur. C'est nouveau et c'est un signe”.

La nouvelle “ERT Open” en face du bâtiment de la Radio-télédiffusion. Athènes, le 11 mars

Les anciens de l’ERT, ceux en tout cas qui n’ont pas signé les nouveaux contrats désormais précaires proposés par la nouvelle structure DT-NERIT tant décriée, ont loué... sans peur, un local en face précisément de leur ancien lieu de travail. Il paraît que la structure “ERT Open” évoluera pour devenir un organisme (privé ou coopératif) enfin “libre et créateur”, d’après les initiateurs du projet. Euphémisme ?

Leur banderole résumant cependant l’essentiel: “Nous, nous sommes là. Et vous, où êtes-vous ?”. Les policiers en rigolèrent et les automobilistes passèrent devant les manifestants, plutôt indifférents. Mais pas tous. Certains klaxonnaient en signe de solidarité. Non, le pays des luttes tangibles n’est pas mort.

Athènes, mars 2014

Parmi les irréductibles du moment, ces femmes de ménage, licenciées depuis presqu’un an du ministère des Finances et qui pratiquement matin après matin, manifestent devant ses locaux place de la Constitution. Elles sont donc molestées quotidiennement par les policiers... “émétiques”, et cela même davantage cette semaine, “honte, honte, vous frappez vos mères au chômage, vous souillez votre lait de bébé ainsi que vos premières bouchées de pain”, criaient-elles encore man en vain. Je les rencontre assez souvent d’ailleurs, toujours au même endroit à travers mes... périples en terrain de crise. Tristes... tropismes.

Or, les medias immanquablement... les ignorent, à l’exception de la presse de gauche et de Yorgos Trangas, le vieux journaliste de REAL-FM. C’est alors ainsi, les medias mainstream n’ont d’yeux que pour les sombres... rivières, déviées du sens tragique de notre époque.

Femme de ménage licencié devant le ministère des Finances. Athènes, automne 2013

Ces femmes si courageuses, nettoieraient à elles-seules aussi pour l’honneur et autant pour le compte de bien d’autres catégories socioprofessionnelles qui se taisent en ce pays, ou qui se rangent du côté des... assaillants.

Point d’échos dans les médias non plus quant à cette autre bonne nouvelle de la semaine: les militants du parti du Plan-B (de gauche) et ceux des comités locaux, annoncent que les collectifs mis en place à Trikala (en Thessalie, au centre du pays), ont réussi à faire ajourner ces deux derniers mois, toutes les décisions de justice, relatives aux saisies des biens immobiliers et frappant de nombreux habitants du département et de la ville, dans la mesure où ces derniers n’arrivent plus à acquitter leurs factures d’eau et d’électricité, taxes et impôts comprises.

Sur le marché. Athènes, mars 2014

Sur le marché. Athènes, mars 2014

Sur le marché du centre-ville, il y a toujours autant de monde. Tout est moins onéreux qu’ailleurs, sans compter sur ces quantités de viande, de légumes et de poisson qui en fin de journée, sont laissées... “au bon vouloir” des appauvris radicaux et ce n’est pas de l’euphémisme non plus.

L’effondrement radical dès lors étant admis... en interne, alors il n’y a plus ni nation, ni forces vives, ni révolution. Seulement la Grèce, et ses rivières qui charrient des alluvions. Débris et dépôts. En attendant la rencontre des petits ruisseaux depuis l’autre côté de l’horizon.

Athènes, mars 2014




* Photo de couverture: Une fleur devant les policiers. ERT, le 11 mars