Greek Crisis

dimanche 9 mars 2014

Hanse germanique et banquise bancaire



Les manifestants du jeudi matin 6 mars, ceux qui décidément avaient bravé l’interdiction liée à la visite de Joachim Gauck, ont été violement repoussés par la police. Ambiance étrange d’un ailleurs déjà vu quelque part, la désertification de circonstance s’ajoutant à la dessiccation sociale durable dans une ville bien triste. Et les... dessiccants (visibles) de notre historicité décapée, sont bien entendu les Troïkans mais aussi les “nôtres”.

Joachim Gauck et la cérémonie, place de la Constitution. Athènes, le 6 mars

Les athéniens se plaignaient donc jeudi de cette pause obligée des transports en commun, tandis que les automobilistes en provenance des quartiers Sud et des bords de mer rencontrèrent des embouteillages aussitôt sur l’avenue Sygrou. Nous autres passants... passâmes enfin aisément entre les voitures immobilisées. Gloire aux piétons, à l’Allemagne et à la crise.

Près de la place de la Constitution et devant le jardin botanique aux portes également closes, deux retraités interprétaient les faits à leur manière: “Il y en a assez des visites comme celle-ci, qu'ils emmènent leurs Allemands loin du centre, nous avons déjà tant de soucis pour en plus subir un tel désordre”.

Embouteillages et rocades fermées. Athènes, le 6 mars

Jardin botanique fermé. Athènes, le 6 mars

Sur la place et du côté du “Parlement” devant la tombe du Soldat inconnu, le président fédéral de l’Allemagne a déposé une couronne, accompagné des officiels. Il a été accueilli par Adonis Georgiadis, funeste ministre de la Santé... transfusé comme on sait à la Nouvelle démocratie, depuis le parti LAOS de l’extrême droite.

Moments suspendus lors d’un geste alors désempli de son sens. Dommage. Adonis Georgiadis, la tête bien baissée et au regard plutôt accablé suivait Joachim Gauck, telles furent nos impressions car nous étions une petite centaine de personnes à observer la cérémonie dans tout son théâtre.

Le président fédéral d'Allemagne et Adonis Georgiadis juste derrière. Athènes, le 6 mars

Les ressortissants allemands venus assez nombreux, étaient incontestablement les seules êtres au comportement alors... normal et insouciant. Car saluer son président c’est un comportement à nos yeux déjà issu de l’ancien temps car relevant des coutumes de l’avant-crise.

Les Grecs donc... en autochtones, ont plutôt ironisé gentiment, tandis que seule une femme âgée, juste de passage derrière l’attroupement s’est mise aussitôt à hurlé: “Traitres salauds, honte et encore honte, vous avez bousillé le pays” tandis qu’un homme exprima aussi de manière bien audible son humour alors moqueur: “Eh, président, donne-nous cinq euros !” provoquant enfin le rire de tous, et du... côté grec.

Charalambos Aggourakis, eurodéputé du KKE, légèrement blessé lors de la manifestation du matin. Athènes, le 6 mars

Il n’y avait certes aucune tension entre les Allemands et les Grecs sur la place de la Constitution, toutefois l’asymptote régnait. Deux courbes asymptotes qui ne se rencontrent pas. Tristes réalités, devenues essentielles, au gré du dernier européisme (finissant) que chacun respire désormais ici dans l’air du temps mauvais, à l’exception notable et... culturelle des castes du pouvoir. Pauvres gens, irrémédiablement asymptotes.

À cet embarras, se sont ajoutées les protestations officielles des photoreporters d’Athènes, car exclus de certaines cérémonies pour lesquelles seuls les agents de l’Ambassade d’Allemagne étaient... en mesure de leur délivrer les autorisations d’accès.

Plus officiellement, le président grec Karolos Papoulias a publiquement souhaité en présence de son homologue... venu de la métropole, que “la solution soit enfin trouvée pour enfin trouver une solution au problème des réparations de guerre allemandes, liées aux dommages causés par les forces occupantes mais également, en dédommagent de l'emprunt obligatoire infligé à la Grèce par l'Allemagne d'alors”.

Les deux chefs d'État. Quotidien “Kathimerini” du 7 mars

L'asymptote entre les deux présidents. Quotidien “Ta Nea” du 7 mars

Joachim Gauck de son côté s’est déclaré “incompétent pour formuler une réponse à cette question, autre, que celle déjà réitérée par les dirigeants de son pays et de toute manière, cette affaire ne relève pas de l'essor du président fédéral” (cités de mémoire), affaire alors réglée.

Pourtant visiblement ému, il a demandé le pardon aux victimes des nazis d’antan, s’alarmant “de la xénophobie et des nouveaux nationalismes en Europe”. Mais en Grèce, tout le monde pense qu’alors son pays (bien placé parmi bien d’autres), impose en ce moment le (dernier) nouvel ordre européen, celui de sa... “deuxième nazification”, à Kiev par exemple. L’initiative si l’on veut de la crise en Ukraine, revient incontestablement aux pays occidentaux, États-Unis et Allemagne d’abord, dans une tentative d’encerclement de la Russie, ni plus ni moins. Et ainsi en Grèce, toute cette propagande sur “la préoccupation des dirigeants occidentaux quant à l'intégrité de l'Ukraine et à la démocratie” ne passe absolument pas. Une fois de plus, les pires truismes de ce monde se répètent invariablement, Thucydide, la force et le droit, de Cornelius Castoriadis et de l’Europe.

Comme le remarque de son côté Jacques Sapir sur son blog (russeurope.hypotheses.org/2062): “Du point de vue des principes, la position des États-Unis mais aussi de l'Union Européenne, ne tient pas. Le Président Obama, le Président de la Commission, et M. Barroso, disent qu'un référendum sur l'indépendance est illégal. Il ne l'est que si l'on se situe dans le cadre d’un retour aux accords du 21 février. À partir du moment où l’on se situe dans le cadre d’un processus révolutionnaire, où l’on considère qu’il y a eu un acte fondateur avec la constitution du gouvernement provisoire, cela implique que tous les acteurs de la société ukrainienne sont également libérés des contraintes constitutionnelles de l’ancien régime. De même, la décision du nouveau gouvernement de signer au plus vite le traité avec l’Union Européenne implique que ce gouvernement s’est affranchi des règles anciennes ; sinon il devrait attendre la tenue des nouvelles élections. Mais, si l’on considère alors que ces anciennes règles ne sont plus, cela est vrai aussi pour le gouvernement de la Crimée. En tout état de cause, on ne peut appliquer un principe de droit à Kiev et un autre à Simféropol !

Graffitis explicites à proximité des locaux de la Commission européenne à Athènes, le 6 mars

Manifestants. Athènes, le 9 mars

Qui sait ? Peut-être demain nous cache de... belles surprises à Athènes, et nous connaîtrons une version... mieux “inventive” de l’Aube dorée ou d’un autre ersatz néonazi, autant acceptable que celui des adeptes du nazisme à Kiev ? La rupture semble acquise. Pour ce qui est de la gauche grecque (et même pour la majorité désormais de l’opinion publique), la politique de l’UE est perçue comme étant une figure de nouveau “nazisme”, il n’y qu’à observer les symboliques en usage à partir du site internet du parti du Plan-B par exemple.

Car pour les Grecs plus généralement déjà, l’UE et sa Troïka forment d’abord cette junte de l’extérieur liée à celle (“Parlementaire”) de l’intérieur, une entreprise initiatrice d’un génocide économique jamais pratiqué de la sorte, notamment par la destruction brutale de l’État de droit et des droits des travailleurs, l’effondrement de la Santé publique (un tiers presque de la population se trouve désormais sans couverture de type Sécurité Sociale), la surimposition des paupérisés et la destruction délibéré du tissu économique du pays. La fin des existences par une Europe prétendument inexistante.

La politique de l'UE en Ukraine. Parti du Plan-B. Athènes, le 8 mars

Et en réponse à certains commentaires, certes sincères sur ce même blog ; je les lis avec attention sans malheureusement avoir toujours le temps de répondre de manière “personnalisée”, je réponds alors ceci: Les sentiments des Grecs vis-à-vis de la politique allemande ne tombent pas du ciel et ne sont pas les résultats d’un quelconque mécanisme psychologique relié à leur état dépressif.

Il y a les faits, les gestes, les conséquences d’une politique, le contrôle du pays par les créanciers internationaux et par les mécanismes institutionnels et informels des centres de pouvoir allemands, je cite par exemple la nomination depuis 2011 du ministre auprès d’Angela Merkel, Hans-Joachim Fuchtel à la tête d’une prétendue “Coopération Germano-hellénique”, initiée par une convention émargée entre le gouvernement Papandréou et celui d’Angela Merkel, ce texte n’a jamais été présenté au “Parlement” grec et pour cause. Depuis, Hans-Joachim Fuchtel (sillonnant la Grèce et d’abord celle du Nord et des îles), s’occupe de la... réorganisation de notre pays agissant au niveau local, et particulièrement, il œuvre afin de promouvoir le “modèle allemand” chez nous et par delà, les contrats supposons juteux, au bénéfice des entreprises de son pays. D’ailleurs, le problème ne relève pas la coopération entre la Grèce et l’Allemagne, mais du contexte géopolitique dans lequel elle puise ses prérogatives (alors en abusant).

Encadrement. Athènes, le 6 mars

Manifestants. Athènes, le 6 mars

Or, je remarque deux éléments à ne pas perdre de vue. D’abord, et d’après la presse grecque qui rapporte les propos relatifs à la question tenus par certains responsables allemands, cette mise sous tutelle de la Grèce par l’Allemagne alors gouvernante de l’UE, est un “procédé exportable” à d’autres pays, à la suite... logique de son expérimentation dans le pays cobaye avancé de l’Europe du 21ème siècle bien en gestation (Italie, Espagne, Portugal...).

Ensuite, cette... réorganisation territoriale contrôlée de la Grèce n’est pas sans rapport avec la reforme de 2010, celle justement initiant la suppression de deux tiers des communes (par regroupement), ainsi qu’à l’abolition administrative de l’ensemble des départements du pays au profit des Régions, lesquelles sont... très potentiellement amarrées et rattachables aux centres de pouvoir offshore, s’agissant notamment des institutions de l’UE, doublées pour ce qui est du cas grec par le... Mandat allemand de Hans-Joachim Fuchtel.

Or, la suppression administrative des départements “structure désuète” d’après les propagandistes du “new age” européiste (comme par exemple en France, depuis un certain temps), n’est guère qu’une question prétendument “d'aménagement du territoire et de modernisation”, mais principalement, une entreprise de démolition de ce qui reste des souverainetés nationales et populaires (et par la même occasion des démocraties, même “bourgeoises”), au profit du pilotage automatique depuis l’incontrôlable “au-delà” des dits marchés. C’est en cela, que l’élite dirigeant l’Allemagne en ce moment porte une si grande responsabilité, et autant presque il faut dire, les classes “politiques”... marionnettisées des autres pays qui suivent hélas cette lancée.

Sur un Kiosque, “Porcs”, à proximité du Parlement indiqué par la flèche. Athènes, le 6 mars

L’eurodéputé allemand Jorgo Chatzimarkakis (FDP), a déclaré cette semaine lors d’une émission de la télévision grecque (extraits rediffusés par Yorgos Trangas sur REAL-FM le 7 mars), que “le pouvoir allemand et la Troïka contrôlent le système politique et médiatique grec de la manière suivante: D'abord, il est signifié aux grand promoteurs (BTP) et en même temps magnats de la presse et patrons de certains grands medias à Athènes, qu’ils recevront une petite part des milliards destinés à la dite aide à la Grèce” (puisque cet financement, au demeurant en grande partie fictif car “informatique”, est essentiellement affecté aux créanciers et/ou aux banques).

Ensuite, il leur est expressément exigé de... faire travailler leurs journalistes, tous medias confondus, pour ainsi passer la pilule, par exemple du nouveau mémorandum en cours et plus généralement, de la prétendue bonne augure de la politique de Berlin. Enfin, et au sujet des réparations de guerre, je sais de l’intérieur, car j’ai été conseillé auprès du gouvernement allemand, que la Grèce emporterait facilement la bataille de l’emprunt obligatoire, infligé par l’Allemagne occupante dans les années 1940 (et ceci à la différence du dossier plus ardu des réparations de guerre). À condition bien évidemment de vouloir saisir la Cour internationale de justice (CIJ), siégeant à La Haye. Sauf que le personnel politique grec est, comme je viens de le dire ainsi tenu et cette procédure... n’a jamais été entamée”, (cité de mémoire).

Il faut aussi préciser que Jorgo Chatzimarkakis, a publiquement signifié son intention de plus participer de la politique au niveau européen depuis l’Allemagne mais dorénavant à partir de la Grèce, il a ainsi fondé à Athènes, le parti des “Grecs, Européens et Citoyens” en vue des prochaines élections européennes.

Livres d'occasion. Athènes, le 6 mars

Le quotidien “Avgi” (SYRIZA) faisait donc sa Une cette semaine, justement sur ces réparations de guerre et sur l’emprunt obligatoire de 1944, mettant l’accent sur la rencontre entre Manolis Glezos, Alexis Tsipras et Joachim Gauck. Certes, sauf que ce même parti de la Gauche radicale (?) avait envoyé ses propres représentants au Congrès annuel de la “Coopération Germano-hellénique” qui s’est tenu à Nuremberg en octobre 2013. “Coopération Germano-hellénique” d’Angela Merkel et de Hans-Joachim Fuchtel, une première dans un genre alors nouveau.

Les observateurs attentifs, auront d’abord remarqué que cette initiative syriziste fut l’œuvre de la section “Développement” du parti, dont trois membres voyagèrent ainsi jusqu’à Nuremberg. Ensuite, du côté de SYRIZA, que le silence avait prévalu et aucune publicité n’avait été faite à ce voyage, contrairement à de nombreuses autres initiatives. La nouvelle avait été pourtant relevée par les journalistes de la “Deutsche Welle” (sur le site en langue grecque déjà), et ainsi salué par les commentateurs allemands, non sans raison. Heureusement donc, que la DW a fait son travail d’information, contrairement à “Avgi” chez nous, entre autres.

Mobilisation citoyenne devant un tribunal pour empêcher la saisie de l'appartement d'une femme paupérisée. Athènes, le 6 mars

Lorsqu’à l’époque j’avais évoqué ce sujet en présence de certains amis et cadres au sein de SYRIZA, ils ont été fort surpris de la nouvelle, m’assurant de leur ignorance (?) quant aux faits reportés. Je note enfin que Yorgos Stathakis, économiste étant à la tête de la section “Développement” du parti, a déclaré récemment (janvier 2014), que “la proportion disons odieuse de la dette grecque est seulement de 5%”, provoquant ainsi l’amertume chez les gens de gauche... et dans une bien grande proportion.

La semaine athénienne s’achève sous la pluie, maintenant que le président fédéral d’Allemagne est parti et que la Troïka demeure, lorsqu’en plus, la pluie et le froid sont de retour et les athéniens se trouvent confinés dans une seule pièce de leurs appartements par manque de chauffage. Les radios et les télévisions nous rapportent alors les nouvelles qui ne seront plus d’aucune surprise: parmi les dernières exigences de la Troïka, il faut “libéraliser les licenciements collectifs et encadrer le droit de grève”. Déjà, les cas “d'anthropophagie” et de petitesse de toute sorte se multiplient entre humains chez nous sur les lieux-dits de travail, vivre sous un univers concentrationnaire de... type II, n’arrange pas les êtres.

Les banques et la politique allemande. Quotidien des Rédacteurs du 8 mars

Les saisies se pratiquent en ce moment par milliers, ceux qui sont devenus insolvables envers “notre” État économiquement génocidaire et/ou les banques, perdent alors leur ultime ancrage à la destinée sociale, leur demeure. En même temps, les sans-abris... enteront dans une nouvelle catégorie fiscale, et il leur sera exigé un certain impôt, pour qu’ils puissent ainsi recensés, continuer d’avoir accès, à la distribution de l’aide alimentaire par exemple (hebdomadaire “To Khoni” du 9 mars).

Décidément, l’avènement du nouveau monde se pratique au bistouri social et si besoin, géopolitique. Et même si l’Allemagne ne serait pas celle d’un prétendu 4ème Reich, elle participe (en étant la partie bien trop visible de l’iceberg), de cette emprise sans précédant, de la financiocratie sur les sociétés et “leurs” régimes politiques. En Europe, le temps des fantômes et des naufrages est de retour. Hanse germanique ou... banquise bancaire ?

Notre réalité. Quotidien des Rédacteurs du 6 mars




* Photo de couverture: Joachim Gauck et Adonis Georgiadis. Athènes, le 6 mars