Greek Crisis

samedi 28 décembre 2013

Marionnettistes



Rue Hermès, deux marionnettistes attiraient les badauds. Un attroupement se forma autour d'eux, c’est vrai que leur pantin donnait l’impression de chanter avec tant d’exactitude, scène nécessairement furtive sous la synchronie d’un air de rebetiko et d’ailleurs, sous un ciel fort menaçant en cette fin décembre.

Place de la Constitution. Athènes, le 27 décembre

L’attroupement aux regards tristes n’a guère duré longtemps. Rebetiko, genre musical ayant comme tout le monde sait pour sujet la misère, la prison, l'exil ou le départ, la mort, l'amour sombre car trahi, et parfois même la pluie, tout est dit. Cette dernière arrivée avec le sirocco, le temps s’est enfin radouci et tout le monde espère alors que le smog d’Athènes diminuera avec la modération... citoyenne dans l’usage du chauffage au bois car la presse en fait encore une catastrophe.

C’est tout autant vrai que nos pantins de politiciens donnent l’impression de chanter avec tant d’exactitude l’air de la fausse inquiétude lorsque leurs visages transpirent la fourberie et pendant que les athéniens, tout comme nos rares touristes hivernaux souffrent de migraines et de crises d’asthme à n’en plus finir. Athènes, temps de chien et avec tant d’exactitude.

Athènes temps de chien, le 27 décembre

Le smog à Athènes dans la presse du 27 décembre

Pourtant, la météo était suffisamment douce le jour de Noël sur les plages du front de mer au sud de l’agglomération, pour que certains parmi les téméraires de toute saison s’adonnent à des pratiques disons d’été.

D’autres, avaient préféré patienter derrière la longue file continuellement formée et qui conduisait tout droit devant la porte de ce nouveau petit restaurateur et vendeur de souvlaki façon arabe de la rue Éole: “C'est différent, le goût est bien meilleur qu'ailleurs et le prix est pratiquement le même que chez les autres; deux euros cinquante emporté... que demande le peuple ?” Bonne question restant souvent sans réponse.

Sur les plages du front sud. Athènes, le 25 décembre

Rue Éole devant le vendeur de souvlaki. Athènes, le 24 décembre

Cette année en plus je n’ai pas l’impression que les vendeurs ambulants des billets de la loterie nationale arrivent à convaincre les passants, peut être bien parce que le métier désormais attire trop, ceux justement qui n’auront jamais touché le jackpot et déjà perdu tout le reste. Comme cette femme la cinquantaine tout juste passée, ancienne commerçante de notre quartier et qui se promène depuis octobre “ses” billets de loterie dans la main. Dans le voisinage tout le monde aussitôt la reconnait, les échanges sont chaleureux, et nombreux sont ceux qui lui achètent un ou deux billets mais personne n’ira évoquer son passé récent devant elle. Mais au centre-ville ou dans le métro les vendeurs sont des inconnus ; pire... des immigrés !

C’est sans doute... pour sauver d’autres commerçants, fonctionnaires et autres “idiotès”, littéralement “personnes privées, individus” car telle est l’étymologie... de l’idiot ; que certains inconnus et uniquement joints via un numéro de téléphone mobile, “proposent” leurs prêts octroyés par certaines banques roumaines et bulgares, à la condition que les intéressés dont les revenus doivent se situer au moins à quinze mille euros par an, possèdent aussi un bien immobilier.

Billets de loterie en vente, place de la Constitution. Athènes, le 20 décembre

Prêts auprès des banques bulgares et roumaines. Athènes, le 24 décembre

Et juste en face, à l’angle de la rue Éole et Karori, les immeubles autrefois occupés par les commerçants grossistes où s’y logeaient de nombreuses enseignes qui vendaient des draps, des housses de couette et autres taies d'oreillers depuis la fin des années 1960, commerçants d’ailleurs tous originaires de la région de Karditsa en Thessalie, ces immeubles sont vides depuis 2010, les faillites ont alors touché plus de 80% du secteur, dont mon cousin Lefteris. Les rares rescapés du commerce inéquitable au temps de la Troïka persistent comme ils peuvent... aux arguments bien de saison: “Greek is chic”.

Immeubles entre les rues Karori et Éole. Athènes, le 24 décembre

Boutique rue Éole. Athènes, le 24 décembre

Nous attendrions alors 2014 comme avant mais... sans après car le mensonge n’avait encore jamais possédé de meilleur instrument: la dette. Ambigüité morale, longtemps et faussement entretenue jusqu’à ce régime politique de la tromperie finale.

Comme dirait Günter Anders, “ce prétendu monde que l'on nous offre en lieu et place du vrai n'est qu'une simple 'conception subjective du monde' ; elle signifie qu'il constitue un instrument pratique, un instrument destiné à nous exercer à modeler nos actes, notre résistance, notre comportement, nos lacunes, notre goût, et, ce faisant, l’ensemble de notre pratique, un instrument qui se présente déguisé en ‘monde’ pour dissimuler sa vocation instrumentale. C’est un instrument qui sous la forme d’un pseudo-modèle microcosmique se donne pour le monde lui-même”. Sauf que “l'instrument” n’éprouve plus le besoin du déguisement je crois.

Sous la pluie. Athènes, le 27 décembre

Bazar dit de Noël. Athènes, le 27 décembre

Sur Athènes il pleut toujours et les nombreux bazars dits de Noël initiés par les associations caritatives dans un monde sans charisme, proposent jouets et confettis aux passants de la station centrale du métro Syntagma sous la place de la Constitution.

Seulement, sous le bateau décoré de Noël sur cette même place emblématique des effondrements, une main invisible et qui n’est certainement pas celle du marché a ajouté cette phrase au stylo-feutre: “Réveillez-vous, nous mourons”.

Place de la Constitution. “Réveillez-vous, nous mourons”. Athènes, le 24 décembre

Preuve s'il en fallait de la manière dont on fête aussi le temps nouveau de la... nativité et de la mort. Au “Parlement” situé juste en face, les pantins n’attirent décidément plus les badauds. C’est vrai qu’ils donnent l’impression de chanter si faux avec tant d’exactitude, scène nécessairement furtive avant l’année 2014 supposons attendue.

Seuls nos animaux adespotes demeurent alors imperturbables par ce gros temps, autant que certains “idiotès” bien de chez nous. Bonnes fêtes.

Animal adespote, Faliro au sud d'Athènes, le 25 décembre




* Photo de couverture: Marionnettistes de la rue Éole. Athènes, le 24 décembre