Greek Crisis

samedi 21 décembre 2013

Sur la terrasse du café ethnique



Vendredi, la place de la Constitution était investie dès le matin par les agriculteurs venus de Crète et d’ailleurs. La furtivité habillée de l’avant-Noël s’est mêlée au mécontentement durable de la crise jusqu’à l’explosion, et cette dernière risque alors d’être très violente à moyen terme. En tout cas, les compagnies du maintient de l’ordre nouveau... ont eu assez de mal à contenir les paysans. “N'utilises pas ton lacrymogène bonhomme, sinon je t'écrabouille”, a lancé un Crétois devant le nez d’un policier. D’autres paysans... assez loquaces également, lançaient sur les policiers des oranges, des morceaux de bois et des bouteilles.

Paysan Crétois interrogé par les journalistes. Athènes, le 20 décembre

Sur la terrasse du café “Ethnique” (“Ethnikon”) au milieu de la place Syntagma (de la Constitution), les regards s’étaient vite croisés entre citadins et paysans surmenés, après la traversée par bateau depuis la veille au soir. Ces derniers commandèrent du chocolat chaud et du café à plusieurs reprises et attendant l’heure de la manifestation. Il fut ainsi question de vaches, de chèvres et de champs en pâturage. La principale revendication tient de leur opposition au nouvel impôt frappant la propriété des terres agricoles, et pour le reste, c’est un ras-le-bol général qui est ainsi exprimé à cette occasion. En tout cas, nous autres citadins ou alors bourgeois aux certitudes déboulonnés, nous remarquâmes alors combien ces Crétois avaient bien meilleure tête que les athéniens. La terre ne ment pas... même imposable.

Policiers et oranges. Syntagma. Athènes, le 21 décembre

Nous sommes encore vivants et fort déterminés. J'ai dit à mon député du coin et de la Nouvelle démocratie... à ne plus revenir sur l'île après l'adoption de cette disposition. Eh Yorgos, toi et tes camarades au KKE (PC grec), vous vous contentez à tout juste maintenir votre boutique ouverte, au mieux par un petit 8% aux élections et ensuite rien. Vous contemplez le monde depuis votre cabane de la Révolution imaginaire que les autres ne feront de toute manière pas, néanmoins, vous toucherez jusqu’au bout les indemnités des députés ainsi que celles du parti, son financement. Et alors ? Pendant ce temps-là sur le terrain c’est alors bien fichu. Que l’on soit de la Nouvelle démocratie ou du KKE la tempête et la grosse mer nous avaleront tous, de gauche comme de droite” (échange entre paysans). Et l’ami Yorgos n’a rien trouvé à y répondre.

Paysans au café “Ethnikon”. Athènes, le 20 décembre

Avant la manifestation, Syntagma. Athènes, le 20 décembre

“Lutte pour la Patrie”. Syntagma. Athènes, le 20 décembre

Tôt dans la matinée, certains Crétois depuis le Pirée, avaient emprunté la vielle ligne du métro pour descendre à Monastiraki, poursuivant ensuite à pied jusqu’aux halles d’Athènes. Leur point de chute bien à l’abri du froid car au chaud avant le rassemblement sur la place Syntagma, était bien entendu le vieux restaurant qui s’y trouve, un des rares à être ouvert sans interruption jour et nuit. Comme de saison et par tradition, ils ont tous commandé ce fameux plat de la soupe aux tripes “patsas”, agrémentée selon chaque goût, de vinaigre à l’ail.

Monter à Athènes pour manifester devient avant tout, une occasion de sortir pour mieux observer la ville ainsi que sa crise, qui sous leur regard apparait décidément plus tragique que la leur. Ils remarquèrent alors les sans-abri ainsi que les mendiants en très grand nombre, en comparaison des images et des souvenirs d’un passé presque récent et néanmoins si lointain déjà. “Il n'y en aura jamais autant chez nous, en plus, il fait tellement froid ici que ces gens souffrent trop”.

La soupe aux tripes au marché des halles. Athènes, le 20 décembre

L’autre sujet de discussion entre paysans comme entre citadins ces derniers jours, fut la dernière histoire, emblématique du pourrissement et de la démesure qui caractérisent notre régime politique... en potage. Mihalis Liapis, ancien ministre des Transports au gouvernement de la Nouvelle démocratie et neveu de Konstantinos Karamanlis, patriarche politique de la néo-droite grecque, désormais bien méconnaissable sous les manettes de Samaras, ce Liapis donc, piètre politicien déjà, a été interpellé par les policiers de la route, roulant à bord de son véhicule aux fausses plaques d’immatriculation, sans assurance et évidemment sans vignette, puisque c’est pour éviter... la lourdeur du coût de la vignette et à l’instar de nombreux citoyens paupérisés, qu’il avait déposé les plaques numérologiques de son 4x4 à la Préfecture d’Attique depuis déjà deux ans.

J'ai tout juste voulu faire un tour pour charger la batterie” déclara aux policiers l’escroc Liapis, et il venait de griller un stop, étant donné que sa grosse cylindrée devait être immobilisée depuis 2011. Transféré au Palais de Justice, son procès devait se ternir le lendemain, sauf que son avocat a obtenu le report. Entre temps, ce... pauvre Mihalis aux vingt biens immobiliers en sa procession, aux trois voitures et dont les revenus déclarés dépassent les cent mille euros par an (d’après la presse cette semaine), avait réglé le montant des impayés ainsi que celui des amendes pour poursuivre... sa vie aventureuse ailleurs.

Après embarquement visiblement très immédiat, il a atteint vendredi Kuala Lumpur, capitale de la Malaisie... heureux qui, comme Ulysse, d’avoir fait un si beau voyage. On se souvient déjà des voyages de Liapis en Allemagne en 2005, certains lui auraient été offerts par Siemens d’après une partie de la presse à l’époque, l’intéressé avait toutefois démenti. Ensuite, d’après un rapport du Parlement grec , Mihalis Liapis avait déjà fait perdre suffisamment d’argent à l’État de son pays (la Grèce), ainsi qu’à la Société des Chemins de fer helléniques (OSE), au bénéfice des sociétés, telles Siemens et MAN.

Liapis embarqué à bord d’une une voiture de la police. Athènes, le 17 décembre

La triste Grèce des sinistres Liapis, ses paysans, ses citadins et ses autres fêteraient ainsi Noel ou les fêtes de leurs choix... de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. Sauf ce jeune homme âgé de 28 ans, Iranien lequel d’après le reportage du samedi 21 décembre, s’est auto-immolé par le feu rue Acharnes, il a succombé à ses brulures et autant aux nôtres, si loin déjà d’Aristophane et de son Dicéopolis (Acharnes).

Place de la Constitution, décembre 2013


Nous attendons alors ces fêtes entre deux sucreries sur la place de la Constitution, et sans même être bien nombreux à s’acheter le traditionnel billet de loterie nationale destinée aux pauvres, c'est-à-dire à presque tout le monde.

Traces d'un sans-abri. Athènes, le 20 décembre

Un sans-abri. Athènes, le 20 décembre

Les rues d’Athènes sont décorées “à la plus forte raison du contexte festif”, et la place de la Constitution est chaque soir éclairée de son bateau traditionnel ; installée par la municipalité. Les Crétois, déjà embarqués pour la traversée du retour, tandis que les “parlementaires” avaient terminé par parapher - sauvant les dernières apparences - le diktat de la Troïka et du mois s’agissant de la saisie des biens immobiliers. Sur le site internet de ce même Parlement on y découvre depuis cette semaine le patrimoine en constante augmentation des... élus du peuple. Pas étonnant que la presse de la semaine, reflétant précisément les mentalités du moment représente le Parlement comme une variante du coffre-fort à nager... façon Oncle Picsou. Entre la Troïka et les versions du... Liapisme intégral, il y a de quoi en rajouter.

Place de la Constitution. Athènes, décembre 2013

Le “Parlement” à l'Oncle Picsou. “Quotidien des Rédacteurs” du 18 décembre

Ce n’est guère étonnant non plus que d’après certains reportages non démentis par le “gouvernement” Samaras à ce jour, prochainement, l’Assemblée Nationale (?) serait gardée par un corps composé de mercenaires étrangers à la solde des sociétés privées se spécialisant dans le genre, connues déjà depuis la guerre en Irak notamment.

Déjà, ces mercenaires de la Blackwater rebaptisée Academi, seraient en train de prendre en main le “gardiennage” et le maintien de l’ordre dans la région investie par l’exploitant Eldorado Gold à Skouries (mines d’or), au nord de la Grèce, et ceci, à partir du 1er janvier 2014 (reportage du quotidien “Eleftherotypia” du vendredi 20 décembre). C’est vrai que toute la population s’y oppose et que les policiers grecs rechignent de plus en plus à servir de la (mauvaise) sorte ; les tenants de notre régime d’exception qui n’aboutira en rien, sauf à l’esclavage.

Amblyope en philosophie et visiblement sans contact avec la réalité du pays, Antonis Samaras a certainement présenté cette semaine à Bruxelles à moitié souriant, “ses” priorités de la “Présidence grecque” à l’Union européenne. Sauf qu’à Athènes même, c’est dans l’indifférence totale ou sinon en pleine moquerie que l’événement est ressenti. Samedi 21 décembre 2013, lors de l’adoption de la nouvelle loi autorisant désormais la saisie des résidences principales et redéfinissant la (dernière !) nouvelle taxe immobilière, la coalition gouvernementale a perdu un député supplémentaire en la personne de Vyron Polydoras, ancien ministre et ancien Président de l’hémicycle lequel a voté contre “un texte anticonstitutionnel”. Polydoras a été aussitôt exclu du parti d’Antonis Samaras “pour s'être rangé aux côtés des partisans de la drachme, des anti-européistes et des populistes” (extraits du communiqué de la Nouvelle démocratie), ramenant la courte majorité parlementaire à 152 députés (sur 300 au total dont trois élus de l’Aube dorée qui se trouvent en détention).

Stop aux saisies des biens immobiliers et à leur vente aux enchères. Vous ne nous volerez pas nos maisons”. Athènes, décembre 2013

Et comme chaque mois presque depuis octobre le gouvernement se retrouve avec un député de moins après chaque vote, plus dramatique que jamais au “Parlement”, eh bien à ce rythme et vers mars, le cabinet Samaras rejoindrait alors les orties de l’histoire. On sait en outre que la police de ce régime d’exception pourrait ne plus tenir trop longtemps comme tout le reste et comme on sait également, y compris par les sondages. Ainsi, l’Aube dorée serait durablement installée au fauteuil (“roulant” ?) de la troisième force politique du pays, pour entre 9%, et 13% des intensions de vote et que SYRIZA aurait définitivement distancé la Nouvelle démocratie.

Policiers et manifestant Crétois. Athènes, le 21 décembre. Photo, mouvement Plan-B

Moyennant un étrange moment du syllogisme collectif (autrement-dit de sens commun), ceux qui parmi les Grecs souhaiteraient une intervention de l’Armée pour mettre fin à ce régime d’exception de la “gouvernance” par la dette, sont de plus en plus nombreux d’après ce que l’entends. Les gens de gauche souhaitent que cette intervention introduise alors une période transitoire et de renaissance des institutions dans le but de reprendre le fil du renouveau démocratique au bout de six mois par exemple, tandis que les adeptes de la droite dure, verraient l’armée aux commandes comme étant la “suite logique” au régime actuel d’exception tout en le renversant pour ainsi restaurer la souveraineté nationale mais pas forcement le régime démocratique. Cas théoriques bien entendu, car cela fait déjà presque quarante ans que l’Armée hellénique n’intervient plus dans les affaires politiques.

En attendant, seule une certaine normalité... de nature nous rappelle encore combien des comportements et des stimuli demeureraient alors inaltérables au temps car de tout temps. Telle la saison déjà des amours chez nos sympathiques animaux errants (littéralement sans maître), autrement-dit, nos adespotes des parcs et des rues d’Athènes et de la Grèce. Joyeux Noël et bonne année... adespote.

Animaux adespotes et leurs amours. Athènes, le 20 décembre




* Photo de couverture: Devant le Parlement. Athènes, le 20 décembre