Greek Crisis

mercredi 28 août 2013

Métropoles du Chaos



Athènes retrouve ses dysmorphoses humaines habituelles, ses orgues de Barbarie, enfin, ses brisures d’attente et d’espoir. Août se termine. Les touristes ne sont pas encore partis et les athéniens, déjà de retour se racontent leurs vacances. De même que nos mendiants, également de retour. À l’image de cette femme, elle est souvent en train de pleurer près du métro, ou de son voisin de vieillard ainsi que d’un jeune et nouveau mendiant rue d’Athéna. Ce dernier représente visiblement les “derniers venus”, cache ainsi son visage et se tient à l’écart des autres. En plein soleil, assis presque à même le sol rue de la fille de Zeus.

Le jeune mendiant rue Athéna, le 27 août

Mon ami D. qui vient de renter du Péloponnèse et de la maison de ses parents reste formel: “J'ai emprunté quarante euros pour finir le mois. Mais je me maintiens. L'essentiel... c'est de se maintenir. De continuer à pratiquer son métier coûte que coûte, voire même sa passion. Puis on avisera, tout peut changer d'un coup, par le haut ou par le bas. Il va donc falloir rester debout et tenir”.

Il fait chaud, sur la région d’Attique le mercure frôle en ce moment les 37 °C et la rue athénienne, commente alors relativement peu l’actualité internationale, c'est-à-dire la Syrie. Au moins et pour une fois, il y a pourtant consensus: “Ce n'est pas l'affaire des Occidentaux de se mêler de la Syrie. D'ailleurs, nous ignorons la réalité exacte quant à l'usage d'armes chimiques, c'est à dire du prétexte alors trouvé ou fabriqué. L'essentiel, c'est que les Syriens souffrent et souffriront quoi qu’il arrive”. Paroles d’un mois août finissant et du marché d’Athènes.

La mendiante. Athènes, le 27 août

Devant un kiosque près du Musée archéologique, les habitués évoquent plutôt la situation de l’Italie: “Chez nous d'accord, la catastrophe était presque annoncée, mais en Italie? Les gens souffrent autant, pourtant, ils ont tout, de l'industrie, du savoir-faire, leurs firmes sont de la plus grande renommée. C'est donc l'euro qui les aura ainsi mis par terre. Une honte”. L’autre jour, le musée restait fermé, comme chaque lundi matin. C’est ainsi que par une matinée déjà bien mûre, certains touristes attendaient patiemment son ouverture, profitant bien de l’ombre, à l’image des adespotes, alors maîtres authentiques des lieux.

Derrière leurs grilles, des sculptures emballées attendent l’inconnue, comme nous. Elles appartiennent peut-être sans le savoir à la Commerzbank ou aux amis banquiers d’Ulrich Grillo, à ceux qui du... côté allemand de la force, réclament le contrôle du “TAIPED - Fonds de mise en valeur du patrimoine privé de l'État”, ainsi que la mise en vente forcée, autrement-dit la saisie des richesses et biens nationaux de notre pays.Les Allemands reviennent - Ils veulent tout”, note à ce propos le “Quotidien des Rédacteurs” daté du 28août, en précisant que “d'après le Ministère fédéral des Finances, la crise aura profité à l'Allemagne à hauteur de 40 milliards d'euros”. Ce qui ne veut pas dire que les “profiteurs directs” seraient les Allemands... du sens commun, on le sait aussi.

Au Musée archéologique. Athènes, le 26 août

Et n’en déplaise aux actuels locataires du bâtiment de l’ancien “Reichsluftfahrtministerium”, certaines voix s’élèvent y compris en Allemagne, pour insister sur la nécessité de “régler” la dette grecque - et par extension celles du Sud de l’Europe, et de l’Europe tout court, tenant compte du précédent historique de la Conférence de Londres en 1953, où 22 pays dont la Grèce, avaient décidé de renoncer à la moitié de leurs créances à l'égard de l’Allemagne épuisée de l’après la guerre. Tel semble être l’avis de Theo Sommer en tout cas, dans “Zeit Online” récemment. En attendant le... revirement, on peut du moins proposer nos cartes-postales d’ailleurs veillottes, aux touristes. Ils n’en raffolent pas je crois et pour cause.

Génération du Chaos”. Musée archéologique. Athènes, le 26 août

En attendant aussi sans doute, les prochains... spasmes de toute cette “Génération du Chaos”, d’après un graffiti sur un mur du Musée. Déjà que de nombreux jeunes ont manifesté leur colère mardi 27 août au soir dans une marche à la mémoire de Thanasis Kanaoutis, “tombé” du trolleybus à la veille du 15 août après un contrôle musclé, qu’une certaine conscience collective assimile à un assassinat.

Au kiosque devant le Musée archéologique. Athènes, le 26 août

Le... hasard fait qu’Alexis Tsipras, président de SYRIZA, visitera Berlin le 17 Septembre, deux jours après sa venue prévue à la Foire internationale de Thessalonique. D’après les reportages de la presse grecque du 28 août, il prendra la parole lors d'un rassemblement politique du parti “Die Linke”, dans le cadre évidemment de la campagne électorale actuelle en Allemande. D’après certaines sources, “Alexis Tsipras insistera sur sa proposition de mettre fin au Mémorandum, ainsi que sur la solution à la crise par l'annulation de la dette grecque, à la manière de la Conférence de Londres de 1953. Ensuite, et sauf imprévu politique d’envergure, il visitera alors Moscou et Pékin”. On dirait que décidément, certains esprits... communiquent !

Je me suis alors souvenu que le quartier du Musée archéologique, fut aussi celui de l’écrivain Yorgos Ioannou, esprit critique sans concessions de son vivant, et pourfendeur alors résolu de l’entrée de la Grèce dans la CEE. Il aurait été certainement satisfait mais avec quelle amertume, de ce slogan sur un mur de sa rue: “La misère n'a pas de monnaie”.

La misère n'a pas de monnaie”. Athènes, le 26 août

Caricature reprise à travers l'Internet grec, août 2013

En attendant... l’avenir, certains cafés et bistros autrefois bien prisés du centre-ville ont fait faillite, tandis que d’autres, se maintiennent contre vents et marrées. Désormais, on n’y prête même plus attention je crois. J’ai toutefois remarqué les premiers livraisons en bois de chauffage, sans doute précipitées, pour ainsi pouvoir s’en approvisionner à un prix disons supportable. Inlassablement, depuis... l’avènement troïkan, nous appréhendons le chômage, la pauvreté, la pénurie et l’hiver. Mon ami Manos par exemple, vient de reconstituer ses “stocks d'urgence”: pâtes, riz, lait pour les enfants, eau minérale, conserves, savon, biscuits et biscottes, confiture, fruits secs, pistaches d’Égine, réchaud à gaz, et enfin, bougies et allumettes. “Ce n'est pas la Syrie ici, mais tout peut s'effondrer d'un seul coup”, affirme-t-il.

Ailleurs en ville, nos sans-abri... résiduels “aménagent” leurs espaces comme ils le peuvent leur donnant une allure de chez soi, le tout, dans une certaine illusion de la sphère privée. Sauf que pour eux, l’hiver est heureusement encore loin, tandis que l’effondrement, le leur déjà, relève au contraire de l’accompli.

Fermeture définitive. Athènes, le 27 août

Taverne ouverte. Athènes, le 27 août

Sans-abri. Athènes, le 27 août

L’été 2013 finit mal. Dans la rue, derrière les murs des appartements on aperçoit l’amertume ainsi qu’une certaine tension qui monte. Les habitants de la “désutopie” s’entre-déchirent, les locataires s’engueulent, on entend leurs cris, surtout dans la nuit. La “crise” alors nous alourdit et nous fatigue, tout le monde le dit.

Pourtant on n’oublie pas, on n’oublie plus nos nouveaux symboles. J’ai ainsi découvert sur une façade du centre d’Athènes, cette belle nécrologie consacrée à Savas Metoikidis, l’instituteur qui s’était suicidé en avril 2012: “Bienvenue dans les métropoles du chaos”, entre autres. Je notais alors dans ce même blog que Savas Metoikidis, en toute connaissance de cause également, s'est échappé de l'hybris, et définitivement. Cet instituteur, âgé de 45 ans, syndicaliste connu sur le terrain de la lutte politique, a adopté jusqu'à sa fin, un comportement “normal”. Jusqu'à 14h samedi 21 avril, il partageait encore certains moments de sociabilité au café de Stavroupolis, bourgade dont il était originaire, en Thrace, au nord de la Grèce. Il a même salué tous ses amis, car vers 18h, il devait entamer le voyage du retour vers le “monde ordinaire” d'Athènes où il résidait, marquent ainsi la fin des vacances scolaires. Il s'est alors rendu dans la demeure familiale où il a retrouvé et pour un dernier repas, ses parents et son frère. C'est alors après 16h que le père de Savas découvrit son corps inanimé dans une annexe de la maison. Il s'était pendu laissant deux lettres. Dans la première, adressée à ses proches, il a réglé ses dernières affaires familiales, puis, à travers la seconde lettre, adressée à un ami, également syndicaliste, il a revendiqué son suicide comme un acte de protestation politique, une sorte de manifeste, dénonçant ainsi les conséquences de la crise introduite par les politiciens et les banquiers.

Mémoire de Savas Metoikidis. Athènes, le 27 août

Les mémoires, les graffitis, les allusions directes et indirectes, voire une partie des éditoriaux même de la presse, tout indique que désormais au moins, nous en savons bien davantage qu’en 2010. Une nouvelle conscience est alors née dans un univers mortel. Sur une porte de service rue Solon, des inconnus ont ainsi affiché une reproduction de l’image d’Antonis Samaras. “Issue de secours, n'entreposez pas des ordures”, peut-on lire sur cette même porte.

Athènes, le 27 août

.“Issue de secours, n'entreposez pas vos ordures”. Athènes, le 27 août

Moi ici, je représente le secteur privé”, s’est vanté récemment Adonis Georgiadis devant un public de délégués du personnel d’un hôpital appartenant à la Santé Publique. Georgiadis, Ministre de la Santé, politicien de l’extrême-droite... transfuge depuis plus d’un an, à la Nouvelle “Démocratie” d’Antonis Samaras.

Heureusement que nos adespotes du Musée archéologique... représentent alors le secteur de l’éternité !

Adespote du Musée archéologique. Athènes, le 26 août




* Photo de couverture: Orgue de Barbarie. Athènes, le 27 août