Greek Crisis

mercredi 7 août 2013

Figues et raisins



En cette saison, les figues apparaissent enfin sur les étalages des primeurs ou sur les charrettes des marchands ambulants. Sur les étals du marché central, le poisson est abondant sauf que nous préférons attendre plutôt la dernière heure, c'est-à-dire vers 15h, pour en acheter à moitié-prix. L’été pour une fois demeure entier, Athènes se vide peu à peu mais plus complètement, tandis que sur le Lycabette, les nombreux touristes s’avouent toujours si émerveillés du panorama qu’offre sur Athènes, cette colline, point culminant de notre ville.

Touristes sur le Lycabette. Athènes, août 2013

Depuis le Lycabette on peut alors presque tout distinguer: l’Acropole, le golf Saronique, le Pirée, le mont Parnasse et même Égine et Salamine. L’autre jour et en attendant le départ du funiculaire du Lycabette, une touriste italienne a alors posé cette questions d’ordre politique à une ami grecque italophone: “Alors, quel est l'état des lieux des forces politiques en Grèce depuis les élections de l'année dernière ?”. “Mi-figue, mi-raisin”, fut la réponse, brève et pour ainsi dire, fidèle au dernier “zeitgeist”.

L'Acropole depuis le Lycabette. Athènes, août 2013

À part l’Acropole ou Salamine, on peut aussi distinguer les piscines sur les toits des immeubles et parfois des hôtels proches du quartier de Kolonaki, les grues du port industriel du Pirée sans ses ouvriers, ainsi qu’une certaine stratification sociale, pour une fois... vue d’en haut et en apparence muette. Mais on oublierait presque tout sous le vacarme des cigales de cet été, seulement presque.

Piscine depuis le Lycabette. Athènes, août 2013

Le port industriel et en deuxième plan, l'île de Salamine. Août 2013

Notre ville se vide peu à peu mais pas complètement comme les autres années jusqu’à mi-août, comme de saison. Costas par exemple, le voisin dentiste ne partira pas comme avant à Naxos, “le coût du voyage c'est à dire du ferry est désormais exorbitant. Nous sommes partis durant quatre jours en juillet, invités au bord de la mer du côté de Corinthe chez un confrère et ami, c’est tout pour cette année. Je remarque aussi que les gens ne sont pas autant partis que les autres années. Mes patients ne disent pas autre chose en ce moment. Les immeubles vides en août, cela, ne se verra plus ou plus jamais. Si nous y prêtons bien attention, les gens restent plutôt cloitrés chez eux, souvent ils boivent une bière au balcon, ils ne sortent même pas, ils n’ont plus les moyens ou alors ils dépriment”. Costas voit juste.

Christos, l’autre voisin ne partira pas non plus. “Nous nous contentons des plages proches et seulement de temps à autre. Il m'arrive même de travailler au noir quelques heures seulement par semaine et encore... Quant au chômage, je n'ai rien touché pour l'instant”. Je remarque aussi que les plages d’Attique ne désemplissent pas en ce moment, sauf que certains habitués de juin et de juillet n’y viennent plus, visiblement ils sont en vacances ailleurs que chez eux. Ils appartiennent alors au 20% des... ayant droit. En plus, les vents forts ces derniers jours, contribuent à leur manière au désengorgement de certaines plages, sauf que de nombreux incendies d’origine criminelle ont été ainsi attisés, même et surtout, près d’Athènes. Et pour finir, ce mercredi 7 août, deux secousses de 5,1 et de 4,1 sur l’échelle de Richter et dont l’épicentre se situe à cent kilomètres au nord de la capitale, ont été assez ressenties à Athènes même. Pour une fois, les journalistes du direct ont enfin délaissé les affaires courantes de la Troïka et de notre triste sort. Ce qui n’a pourtant pas duré longtemps.

Plage d'Attique. Août 2013

Chez ERT, c’est aussi le presque vide, hormis quelques concerts et débats. La non-situation s’éternise, tandis que l’ersatz gouvernemental nommé NERIT est sur les rails. Pour environ deux mille postes de techniciens, journalistes et administratifs et pour de contrats de deux mois “dans un premier temps” d’après l’annonce parue dans la presse, il y aurait déjà plus de huit mille candidats dont des anciens d’ERT. Pavlos exemple, qui ne cache pas la nature de sa motivation: “Je fais toujours partie du comité de lutte chez ERT. Sauf que demain, je dois nourrir ma famille, nos professions sont déjà sinistrées, je n'ai guère de choix...”.

ERT, août 2013.

À la marge du Congrès mondial de la philosophie qui s’est ouvert dimanche 4 août à Athènes, Jürgen Habermas a déclaré ceci lors d’une conférence mardi, toujours à propos de l’affaire ERT: “Je ne connais pas l’affaire en détail, j'ai seulement lu certaines choses dans les journaux. Il s'agissait d'un acte politique du Premier ministre grec, qui du moins, ressemble à un acte de désespoir. Cependant, cette décision a été mise en œuvre”, quotidien “Elefterotypia” du 6 août. Cependant... tout est dit. Comme lorsque le grand philosophe critique vivement les dernières orientations de la politique allemande et prône ainsi “l'Europe approfondie et de la solidarité”, d’après le titre même à la une du “Quotidien des Rédacteurs” daté du 7 août.

Hélas, le grand philosophe serait en retard... d’une apostrophe historique. L’Europe, approfondie et surtout de la solidarité c’était peut-être pour avant-hier et encore. Désormais, le séisme devient permanent et nos institutions ex-démocratiques s’enfoncent trop bas sous la ligne de flottaison. Et dans les profondeurs... on y rencontre bien d’autres créatures politiques étonnantes et monstrueuses, c’est ainsi.

Les institutions sous l'eau.“Quotidien des Rédacteurs”, août 2013

Mes amis écrivains, poètes ou musicologues et alors toujours vaillants représentants de la génération des années 1960, s’indignent en plus du reste ce dernier temps, de la programmation musicale à la radio 105,5, celle de SYRIZA: “On n'entend que de la musique anglo-saxonne, ce qui n'est pas un tort en soi, sauf que la musique grecque devient inaudible sur cette radio. Nous avons déjà perdu la guerre de la culture avant même celle de la politique, il serait temps de retrouver un peu d’eau de source de temps à autre. Se rappeler de Manos Hadjidakis, de Mikis Theodorakis et des autres. Nous en dirons un mot à Costas, le directeur de 105,5”.

Mes amis ont raison et Costas Arvanitis achèvera bientôt ses vacances en mer Égée. Ces questions dites “culturelles”, en réalité politiques, réoccupent parfois en ce moment le devant de la scène et pas qu’à gauche. L’éditorial à la variante grecque du magazine “Elle” daté du début juillet dernier, ne disait pas autre chose à propos de la fermeture de la radiotélévision publique ERT: “ERT, c'était d'abord la culture, les archives audiovisuelles de notre pays, le Troisième Programme, Manos Hadjidakis et Mikis Theodorakis entre autres. Cette fermeture, ce muselage, constitue avant tout un acte anti-démocratique”.

Au siège de SYRIZA. Août 2013

Disons par curiosité, j’ai posé cette même question à certains amis au siège de SYRIZA, place Koumoundourou. Ils en étaient fort surpris. “Nous sommes davantage préoccupés par le manque de combativité en ce qu'il convenait d'appeler jadis mouvement populaire, plutôt que par la programmation musicale de notre radio. Il devient en effet difficile que de mobiliser les gens, sauf s'ils trouvent un gain matériel et économique immédiat. On en arrive enfin là. Les gens sont exsangues et de ce fait, atomisés jusqu’à la moelle. Puis, l’affaire ERT a été mal gérée. C’est le moins que l’on puisse dire, une occasion de plus a été perdue je crois. Elle ne reviendra pas. En ce moment, les camarades sont en vacances, nous attendons ainsi la rentrée comme tout le monde, mais c’est une routine bien étrange pour une fois, les circonstances ne sont plus celles de l’année dernière”. Propos qui n’ont évidemment rien d’un positionnement officiel s’agissant davantage d’une sorte de témoignage, d’un instantané.

On dirait qu’entre la place Koumoundourou et le futur, il y aurait comme une voie sans issue. Qui sait ? En tout cas, et à défaut à mon avis d’en sortir rassurant, l’échange avec les amis Syrizistes demeure intéressant, sauf que l'étendue des idées et constats relevés dans de telles discussions ne peut évidemment pas être publiée dans le cadre d’un blog.

Athènes, août 2013

Entre-temps, les autres... camarades, ceux du KKE, autrement-dit du parti communiste, se séparent à la fois de leur chaîne de télévision et de radio, la fameuse “902 à Gauche” et ceci, après presque 25 ans. Dans un communiqué laconique et imprécis publié lundi 5 août, le KKE rappelle que “cette issue malheureuse est le résultat de la situation financière dramatique que connait à la fois le parti et déjà ses medias. Malgré les efforts consentis, la situation n'a pas pu être rétablie”.

Et on ignore en somme tout officiellement, sur l’identité de l’acquéreur, tout comme on ignore le montant de la transaction. Certaines sources journalistiques évoquent tel ou tel nom, dont celui d’un homme d’affaires proche d’Antonis Samaras et quant à la valeur fixée pour la transaction, elle avoisinerait les quatre millions d’euros. Depuis lundi en tout cas, une guerre de communiqués d’ailleurs exacerbée et violente, oppose une partie de la presse, SYRIZA et l’Union des syndicats des journalistes au KKE. Le torchon alors brûle entre nos gauches... mais sur une terre, socialement et politiquement tout autant brûlée.

Aux halles d'Athènes, août 2013

Rue d'Athéna, août 2013

Aux halles d’Athènes ou dans les commerces de rue d’Athéna, on évoque à peine ce dernier film au cinéma de quartier des nos gauches. Vue de l’intérieur par contre, l’affaire devient plus humaine, c'est-à-dire plus dramatique. Les journalistes et les techniciens de la radiotélévision “902 à Gauche” et comme tant d’autres, n’ont pas reçu de salaire entier depuis plusieurs mois. Mes propres sources indiquent que désormais, le sentiment de l’écœurement n’épargne guère leurs familles, pourtant proches et souvent membres du parti. “Ils doivent plus de 25.000 euros à mon Andréas” s’indigne une mère depuis les quartiers sud de la capitale. L’épouse d’Andréas, après plus d’un an de chômage vient d’émigrer dans un pays du Golfe.

Pour la “petite histoire”, Andréas sera licencié, comme l’ensemble du personnel aux medias du KKE car de toute manière le repreneur les achètera “propres”, sans le personnel. De toute évidence et d’après les derniers reportages, ces employés seront “transférés” au sein d’une autre entreprise du parti pour ainsi être aussitôt licenciés. C’est une forme de trucage ou de montage, quoi qu’on affirme du côté du KKE. Le rideau tombe... et il est rouge.

Fouilles inachevées. Athènes, août 2013

Certains amis dont la sensibilité est bien à gauche sans être des proches du KKE, sont bien accablés depuis l’annonce de la fermeture de la station 902. Nous en avions discuté faisant un tour à pied dans un quartier du centre, entre terrains vagues aux fouilles archéologiques abandonnées et animaux adespotes en errance. Un habitant du quartier rencontré par hasard, un chauffeur de taxi à la retraite connu pour ses idées politiques en faveur... des Colonels depuis ces années 1970 de l’autre dictature, et qui ne soutient pas l’Aube dorée pour autant, c’est parfois possible, n’en se réjouissait pas non plus: “C'est triste. Le KKE qui vend ses médias, alors le pays est vraiment démantelé”.

De la Grèce, ne demeurent que certains fragments, il ne nous reste que de prier nos divinités, mais alors lesquelles ?”, avait déjà écrit notre poète Elytis vers 1990, quelques années seulement avant sa mort. De gauche ou de droite et à moins d’être idiot... ou ministre au gouvernement, on comprend que l’effondrement ainsi organisé que nous subissons en ce moment risque d’être total, voire totalitaire. Antonis Samaras en tout cas, doit en savoir ou même en apprendre quelque chose car d’après la presse grecque, il aurait rencontré en huit-clos à New-York, les représentants d’une vingtaine de “hedge funds”, à part sa rencontre officielle avec le président Obama bien évidement, prévue pour demain jeudi.

L'Égée en peinture.“Quotidien des Rédacteurs”, août 2013

L'action remplace les larmes”. Athènes, août 2013

Tout, ne serait pourtant pas si sombre. Nos journaux publient souvent en ce moment des représentations picturales de la mer Égée, tandis que sur une surface au centre d’Athènes on peut encore lire et méditer à partir le slogan du mois: “L'action remplace les larmes”.

On sait aussi ou du moins on le devine, que malgré la guerre économique orientée contre l’essentiel de notre société et du monde du travail devenu en trois ans seulement un “monde parallèle”, nous ne sombrons pas encore dans le chaos. Ceci, grâce à une certaine... main invisible sociale et non pas du marché. C’est ainsi que nous accomplissons encore notre possible, dans nos relations, dans un semblant de normalité et de solidarité tous les jours. À l’image du directeur d’un supposé grand journal. Il a prêté récemment, trois cent euros de sa poche à un employé. Ce dernier, n’avait pas reçu de salaire depuis trois mois déjà. Cette solidarité et d’ailleurs plus amplement cette normalité précaire, n’est certainement pas l’œuvre des partis politiques ni des syndicats car ils n’ont rien pu faire de très efficace dans ce sens. Tel est le sentiment général ici et qui prédomine, justement ou pas.

Tout reste à faire. Surtout dans un tel semblant de normalité et de solidarité... époque mi-figue mi-raisin.

Handicapé sans-abri, son chien et l'indifférence. Athènes, août 2013




* Photo de couverture: Sur le marché d'Athènes, août 2013