Depuis ce jeudi matin la foule qui entoure le bâtiment de la radiotélévision publique ERT est immense. L’avenue Mesogeion est fermée à la circulation, la pluie tombe par intermittence, et les milliers de manifestants se disent fort déterminés. Suite à l’appel à la grève générale lancé par les principaux syndicats grecs, du privé et du public pour protester contre cette mise à mort, cette journée de mobilisation se transforme également en une journée... de la guerre des ondes.
ERT. Agia Paraskevi, le 13 juin |
Ainsi, de nombreux techniciens avaient déjà rétabli le fonctionnement d’un petit nombre d’émetteurs à Athènes et ailleurs. “Nous avons réussi à rétablir nos émissions par le canal numérique 52, puis par le canal 48 car des interférences volontaires et dans le but d’entraver cette reprise de la diffusion des nos émissions sont toujours très nombreuses. Certes, il y a également comme vous le savez, la diffusion via internet, ou encore par le canal de la télévision 902, celle du Parti communiste. Nous émettons aussi sur la bande FM, et ceci, depuis une vingtaine d’émetteurs à travers toute la Grèce, en ce moment en tout cas. Les unités MAT - CRS, ont investi les installations des émetteurs à Hortiatis, à Thessalonique hier dans la nuit, c’est déjà connu. On sait également que ces installations sont gardées par les forces de police. Je pense que désormais, la seule solution possible ne peut être que politique, c'est-à-dire, un changement dans les funestes orientations actuelles. Samaras doit revenir sur sa décision. En tout cas, nous ne nous attendions pas à un tel... assassinat. Même cinq minutes avant l’allocution du ministre annonçant notre mise à mort, nous ne nous attendions pas à cela. Puis, et à présent, notre perte inaugurera un grand cercle bien tragique je le crains fort en tout cas”, a témoigné F., technicien de la radio et syndicaliste ERT que j’ai rencontré à l’intérieur du bâtiment ce midi.
“Démocratie Véritable”. ERT. Agia Paraskevi, le 13 juin |
F. a voulu me conduire devant les portes désormais fermées de notre troisième programme de la radio publique ERA-3. Sensiblement et essentiellement refondée par Manos Hadjidakis, cette radio était devenue une grande référence en matière culturelle et musicale, en somme, une radio dont ses deux composantes seraient assez proches de ce qu’incarnent actuellement en France, les radios de France Culture et de France Musique. J’ai fait remarquer à F. qu’en tant qu’auditeur en ce... dernier mardi 11 juin, j’avais déjà senti une certaine émotion à travers les voix des animateurs du troisième programme. F., a baissé sa tête, regardant dans le vide: “Tu sais, j'étais le technicien de sa dernière émission... et en ce sens nous étions ensemble”. J’ai salué F. ainsi que le Troisième programme en jetant un dernier regard par le deuxième étage du bâtiment sur la grande foule. Impressionnant. En descendant, j’ai remarqué que la correspondante de la Télévision chinoise CCTV était toujours là, tandis qu’un peu plus loin sur l’avenue Mesogeion, ses collègues de la chaîne turque TRT poursuivaient également leur travail.
Journaliste de la télévision chinoise. ERT. Agia Paraskevi, le 13 juin |
Derrière la correspondante de la télévision chinoise et sur une nouvelle banderole on pouvait lire: “Démocratie Véritable”, finalement, nous sommes si loin pour l’instant. Depuis ce matin, un message électronique du ministère de l’Économie non signé, c'est-à-dire anonyme, a adressé un avertissement à tout média qui rediffuse encore des images et du son depuis le bâtiment d’Agia Paraskevi. “C'est une émission illégale et ceci n’est pas sans conséquences, il va falloir s’y attendre, y compris sur un plan pénal, nous en avons informé également le Procureur d'Athènes”. Vers 16h, les émetteurs repris par les techniciens d’ERT à Athènes ont cessé de fonctionner. Vers 16h30 tel fut le cas des émetteurs de la télévision du Parti communiste, “902”. À la radio 105.5, celui de la Gauche Radicale la déclaration de Kostas Arvanitis à ce sujet fut brève et sans équivoque: “Qu'ils viennent, nous les attendons”. Vers 18h, le signal sur ERT-World par satellite, a été rétabli par les techniciens. Décidément c’est la guerre des ondes et en même temps comme une onde de guerre de type nouveau dans l’atmosphère. Depuis les haut-parleurs installés devant le bâtiment, ainsi que depuis les ondes radio restantes, on peut entendre de temps à autre le célèbre dernier communiqué radiophonique lu sur antenne par Konstantinos Stavropoulos, au matin du 27 avril 1941: “Ici Athènes, ville encore libre. Grecs, les envahisseurs Allemands pénètrent en ce moment dans les faubourgs d'Athènes. Frères, gardez bien dans votre âme, l'esprit qui régnait alors sur le Front. L'envahisseur avance en ce moment avec toutes les précautions possibles, mais dans le désert d’une ville aux maisons hermétiquement fermées. Grecs, gardez le cœur haut! Attention! La station de radio d'Athènes après un certain temps ne sera plus grecque mais allemande, elle ne diffusera alors que de mensonges. Grecs, ne l'écoutez pas! Notre guerre continue! Et elle se poursuivra jusqu'à la victoire finale! Vive la nation des Grecs!”
ERT. Agia Paraskevi, le 13 juin |
L'équipe de la télévision turque TRT. Avenue Mesogeion, le 13 juin |
Visiblement, ses reflets de l’histoire semblent bien étranges, surtout en ce moment. J’ai remarqué que les manifestants ont été émus en écoutant cette rediffusion, théoriquement pourtant “hors cadre” historique. On entend également des extraits de certaines émissions radio devenues emblématiques, ou sinon tout simplement leur générique, voire même, la voix de Manos Hadjidakis. C’est toujours si étrange que de participer à la fois à une manifestation de lutte pour un meilleur avenir et à un... lieu de mémoire. En tout cas, ce n’est pas du tout dit que le gouvernement tombera, rien qu’à cause de l’écran noir, ne soyons pas si dupes. Car son écran noir finalement c’est bien nous, c’est le pays entier, son image réelle et imposée. Antonis Samaras ainsi que ses conseillers, sauraient alors manier les symboles et les imaginaires, qui sait ? Des rumeurs circulent sans cesse au sujet de la tenue d’élections anticipées, car “dans pareil cas, Samaras s'en sortirait indemne tandis que ses partenaires au gouvernement, le Pasok et la Gauche démocratique en seraient laminés”. D’ailleurs, le renforcement prévisible de l’Aube dorée serait même une bonne nouvelle pour la “gouvernance” Samaras.
A l'intérieur du bâtiment. ERT. Agia Paraskevi, le 13 juin |
“Le Troisième Programme”. ERT. Agia Paraskevi, le 13 juin |
Vers la fin de l’après-midi, deux techniciens de l’audiovisuel public ont été interpellés à Stavros, près du bâtiment d’ERT, et par la suite ils ont été conduits à l’intérieur des locaux de la Police au centre d’Athènes “pour vérification d'identité”, d’après les sources de la radio 105.5 ce jeudi soir. Devant le bâtiment de l’audiovisuel public vers 18h30, l’orchestre d’ERT jouait du Tchaïkovski. Pour de l’ambiance en tout cas c’est bien gagné, l’émotion est aussi très palpable. Sur la façade du bâtiment, une nouvelle banderole, celle du “Plan B”, nous avertit sur “le prix à payer pour l'euro: Chômage, pauvreté ainsi que la mise à mort de la culture”. La pluie tombe toujours par intermittence, la météo nous annonce alors des éclaircies mais pour samedi. Samedi n’est guère loin et pourtant, le temps restant s’annonce bien trop incertain. Ce soir en tout cas, les citoyens arrivent de plus en plus nombreux avenue Mesogeion avant la tombée de la nuit. “Que le FMI et l'Union Européenne quittent la Grèce pour que le peuple grec puisse revivre, pour que la démocratie puisse renaître” peut-t-on entendre en direct et depuis un micro-trottoir et l’avenue Mesogeion sur les ondes de la radio 105.5 vers 19h. Météo lourde et temps toujours mitigé. Samedi, c’est finalement encore loin.
ERT. Agia Paraskevi, le 13 juin |
* Photo de couverture: Vue depuis le deuxième étage du bâtiment. ERT. Agia Paraskevi, le 13 juin