Nikos et Savas, les deux étudiants intoxiqués au monoxyde de carbone à Larissa, ont été emportés par l’austérité, ainsi que par une certaine méconnaissance du danger encouru. La Grèce et ses bûches, finiront alors tôt ou tard dans un autodafé social forcement lumineux et probablement même, final. Trois autres étudiants restent hospitalisés à Larissa (03/03), dont un, dans un état critique. “Leurs assassins portent un nom: Yannis Stournaras (ministre des Finances), Antonis Samaras (premier Ministre), Evangelos Venizélos (chef du Pasok) et Fotis Kouvelis (chef du parti gouvernemental de la “Gauche démocratique”), ainsi que tous ceux, qui soutiennent leur politique d’austérité”, a déclaré depuis la blogosphère un “père anonyme”, nouvelle, qui a aussitôt fait le tour d’internet et des autres médias.
“Deux étudiants morts, vous nous tuez, partez" - Athènes 03/2013 - Source: enet.gr |
La presse gouvernementale rétorque “qu’il s’agit plutôt d’une affaire relevant de la plus grande imprudence humaine aux conséquences dramatiques”, tandis que le député Nouvelle démocratie Adonis Georgiadis (transfuge depuis le parti LAOS de l’extrême-droite), s'est efforcé de minimiser (Real-FM, 01/03), le mauvais sort... en matière de politique de chauffage: “Est-ce le résultat d’une quelconque politique que de mettre le braséro en plein salon ?”Une fois de plus, la cinétique d’un fait divers, interpelle le cinéma du réel troïkan et l’entracte avec. L’entracte, c'est-à-dire les manifestations étudiantes quasi spontanées, puis organisées par les syndicats étudiants à Larissa, à Athènes et ailleurs, pour dénoncer et surtout pour crier une colère de plus en plus... criante:
“La plus grande violence c’est la pauvreté - Deux étudiants morts, vous nous tuez, partez”, pouvait-on lire sur deux banderoles déployées par des étudiants, place de la Constitution samedi (02/03). Le lendemain, c'est-à-dire ce dimanche (03/03), les troïkans imperturbables, se sont rendus au ministère des Finances tout proche, et dans l’indifférence générale, visiblement à la grande surprise de certains de nos “adespotes”, habitués des lieux. Sur un mur tout proche on pouvait encore lire (et) depuis un moment déjà: “Ils veulent faire de nous, des esclaves”, j’y ajouterai, de surcroît “desposés” ! C’est sans doute pour cette raison que certains magistrats à la Cour des comptes se refusent à rencontrer la délégation troïkane, au motif que cette dernière est “exo-institutionnelle”, donc certains visiteurs du pays ne sont pas forcément attendus les bras ouverts chez nous, c’est le moins qu’on puisse dire (Kathimerini par exemple, du 3 mars).
“Ne l'oublie pas. Ils veulent faire de nous, des esclaves” - Athènes 03/2013 |
Il paraitrait à ce propos, que depuis la salle des manettes du troïkanisme intégral, on appréhende alors le chaos grec, non sans un certain effroi. Le journal (mémorandiste) To Vima a ainsi prétendu samedi que la Commission de Bruxelles aurait fait circuler par courrier électronique, un avertissement officieux, une note destinée à ses employés et cadres qui s’apprêteraient à séjourner en Grèce, leur fournissant les informations nécessaires à l'exercice de leur mission:“(...) Éloignez-vous des protestations et des manifestations. Dans un contexte politiquement sensible, même la moindre réaction de votre part, peut être mal interprété par les manifestants. Évitez de vous approcher des manifestations ou de les traverser, afin d'accéder à l'immeuble où a lieu votre réunion, si besoin, annulez votre rencontre.
Soyez informés et évitez les endroits où des manifestations ont lieu habituellement, comme Syntagma, Omonia et Klafthmonos, ainsi que la zone d'Exarchia ou de l’École Polytechnique. Si vous vous trouvez au milieu d'une manifestation, évitez d'attirer l'attention sur vous-même, et rendez-vous au commerce le plus proche. Si une manifestation vous empêche de quitter les locaux où se tient votre réunion, attendez. Ne restez pas derrière les fenêtres ou dans le hall de l'immeuble regardant le cortège passer, votre présence pourrait provoquer une réaction agressive chez les manifestants.
“Les Troïkans à Athènes à la grande surprise des nos “adespotes”" - Source: ethnos.gr |
Fermez les fenêtres de la pièce où vous êtes, afin de ne pas être affectés par l'utilisation éventuelle de gaz lacrymogène par la police. Pour un départ en toute sécurité, attendez la dispersion de la manifestation, ou suivez les instructions formulées par le personnel de sécurité. Ne portez pas de façon visible, les indicateurs de votre activité professionnelle. Méfiez-vous des documents, badges d'identification ou autres objets bien en vue qui démontrent votre affiliation aux institutions européennes. Par exemple, ne portez pas votre badge de la Commission à l’extérieur des bâtiments de la Commission, et ne lisez pas les journaux de la Commission dans les lieux publics. Méfiez-vous de l'écoute. Évitez de discuter de vos sujets professionnels (salles de réunion, heures, nom d'hôtel, ainsi que de toutes autres informations personnelles liées à votre mission) en public, dans la rue, dans le métro, ou par téléphone. Soyez conscient que vous pourriez être surpris.
Si possible, évitez de réserver des hôtels et des taxis au nom de la Commission. Prenez soin de vos biens sensibles professionnels. Si vous envisagez d'aller boire un verre, déjeuner ou dîner après votre réunion, ne portez pas vos documents sensibles avec vous dans ces lieux de haute fréquentation (bars, restaurants, etc.) Inventez un “petit récit de vie” à usage courant. Le chauffeur de taxi qui vous conduit à votre hôtel ou l’épicier du coin, n'ont pas à savoir que vous travaillez pour les institutions européennes. Lorsqu'on vous le demande, parlez de votre profession antérieure ou de celle de votre meilleur ami comme si c’était la vôtre.” (texte original en anglais, To Vima du 2 mars).
Sur un mur d'Athènes:. Mars 2013 |
Maria Damanaki, membre de la Commission a aussitôt protesté auprès de José Manuel Barroso, puisque l’affaire a été si médiatisée en Grèce. “La Commission européenne contribue au redressement de l’image de la Grèce, c’est néanmoins la médiatisation du règlement à usage interne pour ce qui est de la sécurité de ses agents, qui peut alors nuire à l’image du pays”, a indiqué le chef de la Représentation de la Commission européenne en Grèce, Panos Karvounis, (To Vima du 3 mars).
Ce matin, le 4 mars, Yorgos Trangas sur Real-FM, a remarqué que cette note interne de la Commission, “ prouve que cette dernière est désormais troublée (sic), et que l’on s’attend à la révolte ou en tout cas à des émeutes en Grèce, et peut-être bien dans les autres pays du Sud de l’Europe. De fait, ce code de... bonne conduite, indique aux agents de la Commission, la meilleure manière de se cacher. Donc aux yeux de Bruxelles, Athènes, c’est presque Kaboul ! De quelle Europe unie nous parle-t-on alors ? Déjà plus d’un million de Portugais ont manifesté ces derniers jours contre la Troïka, contre l’U.E. et contre le FMI, car ils considèrent que le régime de la Troïka est une forme de dictature, c’est pour cette raison que les Portugais se souviennent alors de leurs chants datant de la révolution des Œillets”.
Je remarque que la presse mainstream en Grèce (et même en France), semble vouloir “durablement ignorer” les récentes manifestations portugaises, espagnoles, italiennes, grecques ou bulgares. C’est sans doute aussi “trop ignorer” cette junte économique (et politique) insolite, alors instaurée par l’Union européenne dans certains pays. On comprendra aussi depuis Athènes ou depuis Lisbonne, le sens complet... de “la fin” de l’histoire: Mardi dernier (26/02), lors d’une rencontre entre le ministre du Développent (!) Kostis Hadjidakis, et des représentants de onze multinationales, il a été question des “engagements et rigidités qui régissent encore l’encadrement du salaire minimum en Grèce, on s’achemine visiblement vers les 200 euros de salaire mensuel net pour un temps plein, une de mes amies, vendeuse au Pirée au sein d’une chaîne internationale de boutiques, me disait récemment que déjà, son salaire mensuel net n’excède pas depuis peu la somme des 300 euros”, remarquait Trangas ce matin dans son émission (Real-FM, le 4 mars, voir également le reportage de la presse de ces derniers jours).
Le Fado à Athènes, mars 2013 |
Ceci expliquerait cela, dont les résultats des élections italiennes de la semaine dernière. “Nous comprenons la haine ressentie par le candidat social-démocrate allemand (candidat du SPD, Peer Steinbrück) à l’encontre de Grillo et de Berlusconi, qui ont mobilisé de façon cumulative 55% des Italiens, lesquels ont voté, à droite comme à gauche en passant par le centre-gauche, sous la bannière de l’anti-germanisme. Qu'ils le veuillent ou non les politiciens allemands et nous, savons bien combien ils n’apprécient pas cette situation, l’anti-germanisme ainsi exprimée par le vote, est désormais l'idéologie la mieux partagée par la majorité des Italiens, un pays qui constitue la troisième plus grande économie de la zone euro, membre fondateur de la CEE à 6, à plus d'un demi-siècle d’écart. Cet anti-germanisme sans précédent en Europe sous sa forme la plus évidente se manifestant en Italie, ne fera objectivement qu’alimenter ce même courant à travers tous les États de la zone euro et de l'UE.
C’est cela qui gêne davantage le président de la social-démocratie allemande, et non pas les "clowns" Berlusconi et Grillo. Je comprends aussi l'amertume de Steinbrück face à la réalité: les valets aux ordres des Allemands, Pierre Luigi Bersani et Mario Monti (sic), se sont avérés incapables de contrôler le Sénat pour ainsi (lui) imposer la politique dictée par le Berlin, et ceci, malgré une loi électorale usurpatrice de la volonté populaire”, écrit l’éditorialiste Yorgos Delastik à travers les colonnes du quotidien Ethnos (pourtant pro-mémorandumdu 1 mars ).
En Grèce, en Italie, en Espagne, au Portugal, on ne mâche plus ses mots. Alekos Alavanos, ancien chef de Synaspismos, courant essentiel au sein de Syriza (Alavanos a depuis pris ses distances) et mentor politique d’Alexis Tsipras, vient d’annoncer son intention de créer un nouveau parti à gauche, lequel participera aux élections futures et dont l’axe central sera la sortie la Grèce de la zone euro. “Politiquement, ce nouveau parti est déjà présent (dans les mentalités). Mais il sera de plus en plus présent aussi chez les électeurs et votants aux scrutins suivants”.
"Croissance veut dire plus de nuit sombre". Athènes, février 2013 |
"Campagne pour le retour à la monnaie nationale et la souveraineté nationale". Mouvement Epam. Athènes, février 2013 |
Alekos Alavanos s’exprimant mercredi dernier, le 27 mars à Patras, a présenté une partie de la plate-forme du nouveau parti, en insistant sur la mise en place d’un “Plan B”: interruption de tout paiement destiné à satisfaire les “créanciers” du pays, sortie de l'euro et réintroduction d’une monnaie nationale, autrement-dit des liquidités massivement injectées sur le marché intérieur lui permettant déjà une certaine reprise du marché intérieur, et le renforcement des capacités d'exportation.
On dirait que le monoxyde d’euro n’est plus si incolore, ni si inodore que par le passé. En Europe du Sud en tout cas.
Place de la Constitution. Athènes, février 2013 |
* Photo de couverture: “La plus grande violence c'est la pauvreté”. Athènes mars 2013 (source: enet.gr )