Greek Crisis

lundi 25 mars 2013

Les portes de l’enfer



Les peuples de l’Europe ont assisté la nuit dernière à l’invasion de Chypre par d’autres moyens que les divisions blindées. Ils doivent désormais tenir compte de ce paradigme et obéir”, assure le journaliste Trangas sur Real-FM ce matin du 25 mars. Des manifestations quasi-spontanées et non médiatisées ont eu lieu dans toute la Grèce ce lundi, jour de fête nationale, en marge des défilés officiels. Les citoyens sont tenus à l’écart des manifestations officielles, d’abord parce que les unités CRS empêchent tout “contact” entre la “zone interdite” et le peuple et ensuite, parce que seuls les personnes invitées, munies d’un laissez-passer seront admises. De toute manière pour ce qui est de la fête, elle a tourné tellement court, surtout depuis la nuit du dernier Eurogroupe.


Chypre: accord sur un plan de sauvetage - titre Le Monde - Une semaine après une première tentative ratée, qui prévoyait l'instauration d'une taxe sur tous les dépôts bancaires, un accord a été trouvé, dans la nuit de dimanche à lundi 25 mars, entre le président chypriote et ses bailleurs de fonds internationaux pour parvenir à un plan de sauvetage de Chypre. Selon la directrice générale du FMI Christine Lagarde, il fournit "un plan complet et crédible pour traiter les défis économiques auxquels est confronté le pays". Il "met fin aux incertitudes concernant Chypre et la zone euro", a assuré pour sa part le chef de file des ministres des finances de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem. Le nouvel accord maintient la première banque du pays, Bank of Cyprus. Si les petits dépôts seront intégralement préservés, les détenteurs d'actions, d'obligations et les dépôts au-dessus de 100 000 euros subiront des pertes pouvant aller jusqu'à 40 %. L'idée d'une taxe sur tous les dépôts bancaires, prévue dans le premier plan, avait suscité un tollé” (édition électronique du 25 mars).

Non, Chypre n’est pas sauvé, ses banques non plus et encore moins sa population. Le titre du quotidien Le Monde est au mieux un euphémisme, participant de la même escroquerie sémantique qui consiste à baptiser “plan social”, toute attaque délibérée contre les travailleurs, ce qui de toute évidence s’avère être foncièrement un acte antisocial. Ailleurs, on estime déjà que “(l)es Européens ont cassé le modèle économique chypriote (par) La brutalité des propos et des méthodes (qui) est inédite dans l'histoire de l'UE (...) (L)eur objectif était de “casser “la place financière chypriote, hypertrophiée et incontrôlée aux yeux de Berlin. Mais cet objectif étant difficilement avouable, aucun n'a eu le courage de le dire clairement, entretenant la confusion sur la stratégie européenne. En déclenchant une telle crise de confiance, les Européens ont pris le risque de faire exploser le modèle chypriote tout entier construit autour de ce centre financier régional, et de tuer pour longtemps toute chance de croissance dans l'île” (Catherine Chatignoux dans Les Echos ce lundi matin).

Weimar dans la presse grecque, mars 2013

Nous, ici à Athènes, nous comprenons que des moments, longs, très longs, dans l’incertitude, la paupérisation, et dans la dépression économique s’inaugurent à Chypre, comme ailleurs au Sud (et à l’Est déjà de l’Union Européenne). Nous comprenons également que comme l’affirme dans une critique très sévère, le think tank Bruegel, par la voix de Guntram B. Wolff, son directeur adjoint, qui évoque même “dans une étude de “l'erreur la plus importante commise dans la crise chypriote. Pour lui, il est désormais avéré qu'un “euro à Chypre n'a pas la même valeur qu'à Francfort “, puisqu'il sera cantonné sur l'île. Ce qui porte un coup sévère à la zone euro”, (d’après Les Echos du 24 mars. On peut aussi prolonger cet argumentaire, effectivement, l’euro, comme le travail, n’a plus la même valeur entre le Sud et le Nord de la zone euro, dans un tout premier temps. Ainsi, les dépôts des épargnants qui de toute manière ne sont plus garantis comme avant, au moins dans la zone euro, Allemagne comprise

Les portes de l’enfer ont été ouvertes”, voilà ce qui est dit ce matin à la radio et dans nos cafés. Nous savons que chez nous, l’épargne est en nette diminution, ce qui n’empêchera pas sa prochaine confiscation par la Troïka, tout le monde le voit venir. Et comme par hasard, on nous annonce (dans nos médias) ce matin, “qu’un nouveau salaire minimum serait imposé dès le 1er avril en Grèce: 260 euros par mois ”. D’autres rumeurs (sur internet d’abord et qui depuis, courent les rues d’Athènes) font état même de “la haute dangerosité (sic) de cette fermeture paneuropéenne des banques entre le 29 mars et le 1 avril”, laissant entendre que l’unification du secteur de la zone euro amènerait des surprises à très brève échéance. Ce qui est certain c’est que l’argumentaire du ministre de l'Économie, Pierre Moscovici, qui a estimé dimanche qu'il fallait trouver les moyens pour en finir avec ce qu'il qualifie “d'économie-casino” à Chypre: “Il s'agit d'une économie-casino qui était au bord de la faillite, et il fallait, et il faut faire quelque chose parce que sinon c'est vous, c'est moi, c'est nous qui allons payer la facture ”, en référence aux contribuables européens, lors de l'émission “Dimanche+” sur Canal +, (voir Le Figaro, du 24 mars), ne peut pas convaincre grand monde ici (et ailleurs).

Athènes, février 2013

Non pas, parce que nous irions obligatoirement pleurer les banques chypriotes, grecques ou autres, mais tout simplement, parce qu’il s’agit (aussi) d’un autre phénomène, celui du changement de civilisation politique et d’entrée en guerre. D’ailleurs, il serait temps de mettre fin à l’économie casino partout, et pas seulement à Chypre, mais en tout cas pas ainsi. Ce qui est imposé à Chypre depuis hier soir, c’est ni plus ni moins, le passage brutal d’un régime démocratique à celui d’une tyrannie économique et politique, en pulvérisant par la même occasion la souveraineté nationale et populaire et en hypothéquant les ressources et les vies humaines sur un ex-pays, devenu depuis ce matin territoire administré de manière coloniale. Tel est également le sort réservé aux Grecs, et dans une moindre mesure aux Espagnols, Italiens et Portugais, car l’UE des banques de "première classe" et le directoire des élites économiques et politiques allemandes et de leurs alliés (volontaires et forcés) en ont décidé ainsi

"Aucune ratification du présent accord par le Parlement chypriote n’est nécessaire a déclaré aux journalistes, le ministre allemand et de facto européen, des Finances Wolfgang Schäuble", (déclarations aussitôt reproduites par la presse grecque comme Kathimerini du 25 mars). Le “Non” populaire chypriote de la semaine dernière est resté inachevé, car les élites politiques de Nicosie n’ont pas voulu suivre. Dimitri Konstantakopoulos, journaliste, écrivain et connaisseur de la situation chypriote, note sur son blog, que “tant que le conflit perdure, Chypre doit mettre en place un plan d'urgence d’économie de temps de guerre, autrement-dit administrée, pour ainsi permettre au moins la survie de la population et de l'État, et préparer immédiatement la population pour l'introduction d'une autre monnaie, par forcement de sa propre initiative, mais seulement lorsqu’une telle introduction deviendrait alors inévitable. Ce qui nécessite évidemment, une attention méticuleuse portée à l'aspect juridique internationale, d’abord vis-à-vis de la législation européenne où toutes des dispositions doivent être prises dans ce sens, avec l'invocation possible de l’état d’urgence, et du danger pour la survie de la population et la sécurité de l'Etat (...) Car il est toujours possible de se baser déjà sur certains traités européens, et sur la jurisprudence des résolutions de l'ONU. Chaque action, doit tenir compte de la légalité internationale (...) tout en argumentant en tenant compte des intérêts de l'ensemble de l'Europe, non seulement en Chypre. Le peuple grec dans son ensemble doit se rendre compte qu'il a été victime d’une guerre, et que, sans réponse de sa part, cette guerre sera définitivement perdue “(...) (voir le Blog de Dimitri Konstantakopoulos, le 24 mars

Vent d’Athènes et de Nicosie... aux portes de l’enfer

“Animal adespote”, Athènes, mars 2013




* Photo de couverture: Journal Ta Nea du 25 mars 2013