Ces derniers jours, la protestation retrouve ses marques et ses griffes. Au pays dégriffé d’Antonis Samaras, même ce dernier n’échappe plus, paraît-il, aux “agissements” de la rue, comme hier soir (06/03) par exemple devant le Palais de la Musique, où il aurait été agressé par deux femmes en colère. Selon certaines sources, une soixantaine de manifestants l’ont accueilli aux cris “d'assassin”, nouvelle qui n’a pas été reprise par la “grande” presse. La soirée organisée au Palais de la Musique, commémorative et politique rendait hommage à Constantin Caramanlis (1907-1998), pour les quinze ans après son décès. La mémoire de cet homme politique considéré entre autres, comme le principal artisan de l'adhésion de la Grèce à la Communauté économique européenne et restaurateur de la démocratie en 1974, “grand homme d’État”, était alors célébrée... et ainsi de suite !
”Photoshop au Premier ministre. La politique doit être reconnaissable”. Couverture Unfollow, mars 2013" |
Et cette suite fut interminable hier soir, tous les chefs politiques de la baronnie d’Athènes y étaient présents, à l’exception de Panos Kammenos (parti des Grecs Indépendants, droite anti-mémorandum), d’Aleka Papariga (KKE, PC grec) qui ont décliné l’invitation, ainsi que de Nikos Michaliolakos, (chef de l’Aube dorée) lequel n’a pas été convié. Nos figures politiques d’hier (c'est-à-dire du mercredi !), dont Alexis Tsipras, ont toutes, à leur manière, “rendu hommage à l’homme politique Caramanlis (...) fidèle partisan du conservatisme, à savoir de la conservation et de la consolidation du système social auquel il croyait et qui est pour nous, un régime de l'injustice sociale, sauf que Caramanlis, avait fait preuve également d’hypersensibilité et d’écoute, face aux nouveaux équilibres politiques et sociaux. (...) Personne ne peut nier le rôle particulier joué par des personnalités éminentes de l'histoire (...) car par sa contribution, Constantin Caramanlis était l'homme politique qui a réussi cette transcendance politique et personnelle rare, surmontant en même temps les limites étouffantes qui ont été imposées au pays et jusqu’à son propre camp politique, la guerre civile, ainsi que les puissances étrangères” (propos d'Alexis Tsipras - quotidien Ta Nea du 7 mars ).
L’homme de la rue, coincé entre les anachronismes et les mythes fondateurs de la récente période post-dictatoriale (1974-2010) et pré-dictatoriale (2010-...), ne sait plus à quel saint se vouer, et je dirais même qu’il n’a plus envie de le savoir. J'estime, et je ne suis pas le seul) que toute cette hagiographie "Caramanlesque" est ridicule et pour tout dire, historiquement et littéralement... “hystérique” (manquant de sens), d’autant plus, que célébrer ainsi ces “héritages” devant une société désormais pillée, relève, pour le moins du burlesque. Hier encore, la Troïka paraissait intraitable quant aux licenciements prochains dans la fonction publique ou encore, sur le nombre des prélèvements à définir pour ce qui est de la mensualisation des impôts et cotisations impayés, (plus de 50 milliards au total dont une dizaine “créés” rien qu’en 2012).
Manifestants Crétois en route vers Athènes, le 4 mars - Source: cretaplus.gr |
Selon la presse, “nous serions tout près d’un blocage”, information démentie par Yannis Stournaras (ministre des Finances), au point même d’agacer le “gouvernement” qui insiste sur “ses” 60 à 72... prochaines mensualités à visage humain en lieu et place des 36 échéances alors admises par la Troïka. On comprendra dans un sens, qu’au-delà des 36 mois, toute visibilité troïkane deviendrait nulle, devant “l’effondrement total qui nous conduirait tout droit vers le chaos” (d’après l’hebdomadaire politique Ta Epikaira, du 6 mars).Les Troïkans insistent pourtant. Ils exigent du “gouvernement” qu’il leur “fournisse la liste contenant les 12.500 noms des premiers fonctionnaires à licencier rapidement, et ceci, dans un délai d’une semainee”, (quotidien Dimokratia du 6 mars). On vient aussi d’apprendre lors d’un récent colloque sur le vieillissement de la population, “que plus de 350.000 de chômeurs s'ajoureront à la liste des... Troïkans en 2013, dans la mesure où l'on prévoit la fermeture de plus de 200.000 petites entreprises cette année contre seulement 100.000 nouvelles créations de petites entreprises” (Yorgos Trangas Real-FM, le 7 mars).
Et au pays au régime dictatorial de la dette astronomique, “l’administrateur dépêché par Angela Merkel, Horst Reichenbach, (officiellement, chef de la "Task Force" en Grèce, mandaté par la Commission européenne) vient de fêter son anniversaire (05/03) dans le quartier chic du centre à Kolonaki, en présence de nombreux ministres et sous des mesures de sécurité draconiennes” (Trangas - Real-FM, 07/03). Eh oui, car le pays étriqué manifeste. Les paysans crétois ont manifesté à Athènes, les étudiants sont dans la rue depuis une semaine, samedi prochain les militaires actifs ou retraités organisent un grand rassemblement à Athènes, tandis qu’à proximité de Skouries (au Nord du pays), les habitants d’Ierissos se sont massivement mobilisés, après l’interpellation d’une collégienne de 15 ans, (suite à la guerre qui oppose les gérants de l’exploitation minière (or) et la population locale). Notre régime se durcit et il se nomme “terreur”.
Manifestation paysanne à Athènes 05/03 - Source: dromografos.gr |
La crise devient alors ce contexte étriqué de l’enfermement dans le présent et de la peur (et potentiellement de la révolte). Nous ne voyons plus autre chose ni autrement, si ce n’est qu’à travers les yeux myopes de l’instantané achronique. C’est dire combien et jusqu'à quel point la force de la monochromie financière s’impose à presque toutes nos expressions, faits et gestes. Nous avons basculé, ce qui nous animait avant, cet “autre temps regretté”, ne reviendra plus certes, sauf que le futur, le nôtre, sent... trop le renfermé et l’enfermement. D’où sans doute une première réussite... neurologique du régime méta-démocratique, relevant de sa tautologie combinée à l’absurde. Une stratégie qui s’avère payante, dans un certain premier temps en tout cas.
Puis, lorsqu’ils ne manifestent pas, de nombreux “sujets” choisissent alors le silence, d’autres par contre, insistent et s’adonnent à la création si possible hors cadre. Comme pour beaucoup d’entre nous, blogueurs ou non !On peut ainsi tenir un blog, comme on tient la barre d’un voilier “révélant” une mer bien chaotique, et en plus, penser qu’on n’est pas à la dernière vague de la saison des algorithmes financiers.
Athènes mars 2013 |
Sauf que bien avant nous, certains précurseurs ont ouvert la voie, en d’autres temps, moins chaotiques sans doute. Je pense notamment à ce premier blogueur (grec en tout cas), qui fut à mes yeux l’écrivain et poète Yorgos Ioannou. Plus qu’à la mémoire de Constantin Caramanlis, c’est sur celle de Ioannou que je voudrais m’arrêter un instant. Nous évoquons d’ailleurs parfois sa mémoire, surtout en ce moment, déjà parce que son œuvre est comme un palais de la découverte de notre temps présent (dans une acception historique contemporaine), et ensuite, parce que comme pour chaque mois de février (et déjà nous sommes en mars !), nous nous rappelons qu’il était parti le 16 février 1985 à l’âge de 57 ans.
Mon ami Th., journaliste qui a connu le chômage entre 2010 et 2012, avait même eu la chance de pouvoir discuter deux à trois fois avec l’écrivain du “Seul Héritage” (paru en France en 05/2007 aux éditions de la Différence )... et du... premier blog sur papier. Surtout lorsqu’on sait à quel point Ioannou détestait les relations à l’épiderme nécrosé, on peut considérer que mon ami mérite alors incontestablement, cette mémoire, la sienne, celle de l’écrivain... et la nôtre.
Yorgos Ioannou. Place Omonia 1980 |
Même prise de vue à Omonia 2013 |
Car Yorgos Ioannou entreprit en 1978, la rédaction d’une brochure littéraire, justement intitulée “La Brochure” (To Phylladio), à mi-chemin entre la chronique et l’auto-anthologie sélective et variée, certains de ses textes qui selon l’avis de l’auteur ne pouvaient pas être publiés par les journaux et les revues de l’époque, trouvèrent alors refuge ainsi que toute leur place dans cette Brochure à la périodicité incertaine mais assumée comme telle par son fondateur.
Et à part ses propres (courts) récits et poèmes, cette brochure a été l’occasion pour Ioannou d’offrir à ses lecteurs, une partie déjà de sa traduction (restée inachevée) de l'Anthologie palatine, et surtout ces “Touffes” (“Thyssanoi”), textes alors courts et en continuité, véritable recueil de “micro nouvelles” en chroniques, pamphlets, nécrologies, polémiques, réflexions politiques ou épisodes brièvement relatés sur son enfance durant la guerre et la guerre civile (1940-1940).
Le premier blog sans doute.
“La Brochure” (To Phylladio) de Yorgos Ioannou |