“Depuis trois ans, nous sommes en train de vivre une paranoïa totale. Embourbés comme nous sommes dans les eaux saumâtres de la crise, nous nous battons alors pour la survie. Le courage nous manque, l’espoir nous fait défaut, ainsi que nos rêves, liés au futur. Dans leur écrasante majorité, les Grecs vivent cette situation toute nouvelle de l’annulation, à tous les niveaux: vie privée, univers professionnel ou réalité économique. Toutes nos croyances, toutes nos notions du monde et de notre place dans celui-ci, sont renversées et de manière dramatique. Notre conscience collective est constamment sous le feu des attaques, (d’où cette) politique insistante et éhontée, afin de nous convaincre que pour cette situation, nous sommes les seuls et uniques responsables.”
Manifestation à Skouries - 24/02 - Elefterotypia 25/02 |
D’habitude, cette “désinstallation” qui a anéanti tout confort... des certitudes d’antan, intervient alors sur notre psychisme de manière négative. Elle conduit les hommes vers l’apathie. Elle provoque des phénomènes de démission collective, les sujets désertent alors la vie, ainsi que sa sphère de l’action encore possible. Des attributs vitaux de notre destinée individuelle se trouvent désamorcés, et parmi eux notamment, la joie de créer, la quête de l’innovation. Sauf que cette règle n’est pas absolue. Car chez certains, la crise et ses conséquences, provoque ce renouveau de la délivrance, ou en tout cas, ne les empêche pas de s’en occuper. Telle est précisément la situation de ces cinq jeunes étudiants, dont Elefterotypia dresse aujourd’hui le portait. Ils appartiennent tous à cette génération dite “perdue”. Sauf qu’ils ont décidé de ne pas se laisser abattre. Parmi eux, ce jeune âgé de 19 ans, qui vient de rapporter l’Olympiade de l’Astronomie.
Il a déjà transformé la terrasse de sa grand-mère en mini-Planétarium, il consacre alors ses nuits à l’observation des planètes et des galaxies. Malheureusement pour lui, il sera peut-être obligé de partir à l’étranger puisque les opportunités offertes dans le domaine de la recherche en Grèce sont nulles. Un autre étudiant à l’École Polytechnique d’Athènes, vient d’élaborer avec le concours de ses amis, une plate-forme web destinée aux programmeurs. Son invention, déjà utilisée par de milliers d’usagers, intéresse paraît-il Silicon Valley. Tous ces étudiants, déjà primés à trois reprises pour leur inventivité, se préparent enfin pour le grand rebond. Sans doute ce sera encore à l’étranger, puisque la Grèce et comme à son habitude, elle dévore ses propres enfants. Ces jeunes Grecs ne sont pas les seuls à quêter sur la voie de sortie depuis notre univers contemporain, et qui serait alors sans issue.Pourtant, pour que ces jeunes puissent poursuivre dans cette voie qui est la leur sans se décourager et pour ainsi (bâtir) une société renouvelée, il va falloir que nous fassions plus d’efforts. Tous ensemble.” - (éditorial du quotidien Elefterotypia, 25/02 ).
Le kiosque - 25/02 |
Le ton est ainsi donné... en plus du printemps (qui est de saison). Notre presse anti-mémorandum (ou supposée telle) “travaille” alors notre psychisme au même titre que nos “syllogismes collectifs”, au moyen de la... gouge de l’espoir. Il en faut, certainement et urgemment. Le reportage du jour rapporte également les faits marquants du week-end: d’abord la manifestation très massive à Skouries contre l’exploitation des mines d’or, ensuite la réorganisation du mouvement “Je ne paie pas” quartier après quartier, les rassemblements populaires en Espagne contre l’austérité et pour “finir”, l’expulsion du ministre Portugais Miguel Relvas (il est depuis 2011 ministre des relations avec le Parlement portugais sous le gouvernement de Pedro Coelho), expulsion d’un forum par des étudiants en colère. La nouvelle rubrique: “éphéméride du Sud (de l’Europe)”, comble déjà un manque cruel d’information sur les mouvements populaires ailleurs que chez nous, mais toujours depuis le même... subcontinent de l’austérité. Il était plus que grand temps.
Nous réaliserons désormais (et) ensemble, combien ce temps du nouveau totalitarisme économique et politique imposé par les élites méta-démocratiques de l’Union Européenne, du vaste monde et bien de chez nous, pays après pays, risque d’être long et “définitif”... par conception. Les peuples du Sud de l’Europe connaîtront alors le sort des nations “introduites” dans l’U.E. élargie... vers la “Chine nouvelle” pour ce qui est déjà des salaires de subsistance. L’Europe... vivrière étant déjà née, sauf que la... supernova de l’Euro en tant qu’arme anti-sociétale totale, aura longtemps (et suffisamment) brouillé les pistes du... contre-possible. Les Grecs, les Portugais, les Espagnoles ou les Italiens commencent tout juste à réaliser... l’étendue et la taille de l’astéroïde tandis qu'en France on évoque désormais la "crise"... à ciel ouvert. De même que nos amis Bulgares pour qui le ciel est déjà tombé sur leurs têtes.
L’expulsion du ministre Portugais Miguel Relvas - Elefterotypia 25/02 |
La semaine dernière, des manifestants exprimant leur écœurement face à l’augmentation du prix de l’électricité, ont été agressés et réprimés violement par les policiers de leur pays, ce qui a conduit à la démission du gouvernement. “C’est un scandale pour un pays démocratique que d’admettre cette violence contre ses propres citoyens”, a déclaré le premier ministre bulgare. “Nous avons de la dignité et de l'honneur. Le peuple nous a donné le pouvoir, aujourd'hui, nous le lui rendons.” Boïko Borissov, le charismatique premier ministre bulgare, a théâtralement annoncé au Parlement, mercredi 20 février, la démission de son gouvernement de centre droit (...) Mercredi matin, (note le journal Le Monde - 20/02 ) l'inflexible Borissov, ancien responsable d'une société de sécurité privée, au pouvoir depuis 2009, a fini par craquer, acculé. "Nous avons fait de notre mieux depuis quatre ans, mais chaque goutte de sang versé est une honte pour nous tous", a lancé le premier ministre au Parlement. "Je ne veux pas faire partie d'un gouvernement sous l'autorité duquel les policiers battent le peuple", a-t-il encore dit, assurant qu'il ne participerait pas à un gouvernement transitoire qui serait chargé d'exécuter les affaires courantes d'ici aux élections législatives prévues en juillet.”
Chez nous, de nombreux éditorialistes ont aussitôt souligné la symbolique de cette démission: “En Grèce, la répression est la seule politique possible d'après le gouvernement Samaras, un régime de la terreur prétendument démocratique qui est devenu la règle depuis 2010... il n’y a pas de doute, la Bulgarie voisine est encore une démocratie, pas la Grèce” (Yorgos Trangas Real-FM, semaine du 18/02). La Bulgarie est aussi ce pays de l’U.E. où le salaire moyen ne dépasse pas 400 euros par mois, et où les retraités doivent se contenter de moitié moins pour survivre. Sauf pour les nantis, les grands nantis, cela semble aussi si évident.
Athènes 02/2013 |
Du temps où je pouvais encore voyager “librement”, (c'est-à-dire, ayant une certaine existence économiquement... taxinomique), j’avais rencontré dans une résidence pour écrivains sur l’île de Paros, une équipe universitaire des traducteurs Bulgares. Je me souviens qu’à part la poésie d’Elytis (les paysages cycladiques finissent souvent par impose de fait ce genre de discussions), les échanges portèrent également sur le fait politique alors vécu et pratiqué “d’en bas”, en Bulgarie et en Grèce:
“L’effondrement du communisme pour nous c’était comme de l’écroulement... du système astral. Nous n’avions pas de reflexes politiques, “on” nous a alors expliqué que le démentiellement de tout, allait de pair avec l’U.E. et la démocratie de type occidental... c'est-à-dire la consommation. Nous avons ainsi laissé faire les autres et les politiciens durant plus de vingt ans, sans réagir. Nous avons été dépossédés de tous nos biens publics, ainsi que d’un certain niveau de vie... et de dignité même. Nous nous réveillons tout doucement à présent mais c’est trop tard, tout est allé trop loin et finalement trop vite, ne nous laissant pas le temps nécessaire à la réaction. Et pour ne pas sombrer ou mourir de faim, de nombreux Bulgares ont émigré, plus de 40% de la population de notre pays. Un drame sans précédent et en même temps, un véritable scandale de dimension historique. Pourtant, je ne dirais pas que notre pratique du politique soit déjà plus brillante... après tout ce que nous avons subi. L’histoire restante à imaginer pour nous... elle est bien lente, pas pour eux. J’ai l’impression qu’avec la crise ils vous feront subir le même sort. Disons que ce fichu siècle est déjà perdu pour nous tous ici, dans ce petit coin des Balkans...”.
Athènes 02/2013 |
C’était en 2010, après seulement quatre mois de mémorandum. Les Grecs se faisaient encore des illusions, la propagande aidant bien entendu. Plus maintenant. En tout cas pour la majorité, tantôt silencieuse et tantôt en colère dans les rues... certes par échantillons représentatifs pour l’instant. “La politique criminelle du Mémorandum - écrit Yannis Triandis dans Elefterotypia de ce lundi (25/02) - a été un choix central et délibéré, décidé par les créanciers de la Grèce. Ils misent toujours sur la transformation de l’Europe du Sud en une zone franche au profit des investisseurs, et ceci, à l’image des pays de l’ex-Socialisme “réellement existant”. Ils sont évidement, parfaitement conscients des conséquences: dévaluation économique interne, récession de longue durée, salaires de la faim, pulvérisation des droits sociaux liés au travail et démolition de l’État social. Autrement-dit, et pour l’immense majorité des “sujets”, cela veut dire “vivre à la limite” (ou aux limites), survivre, et ceci, à l’unique gloire de la logique du profit pour les investisseurs, dépossédant également et de manière forcée les habitants, des ressources du pays, et ceci pour de nombreuses décennies. La seule inquiétude chez les promoteurs de cette politique réside finalement dans l’incontrôlable potentiel pour ce qui est de la réaction sociale, voire du changement politique qui peut alors s’avérer... drastique dans ce pays. Ils font alors tout pour contrôler et si possible canaliser cette colère populaire “pandémique”, tantôt en marquant une pause dans le processus, tantôt en distribuant des miettes ici ou là. S’ils y parviennent, ils auront vraiment raison de célébrer une si grande réussite”.
Athènes 02/2013 |
La société grecque est déjà brisée (au moins) en deux morceaux. Il y a d’une part, les porteurs de cette politique, toujours plus sadiques que jamais, puis les autres. L’élite politique de la junte actuelle instrumentalise la peur, l'individualisme et la terreur à tous les étages. C’est ainsi que nous devenons insensibles à nos mendiants, à nos suicidés, à nos sans-abri. Par peur de sombrer à notre tour, tôt ou tard. La barbarie nouvelle est arrivée au moyen de cet univers concentrationnaire de type nouveau, à savoir, la “gouvernance” de l’Union Européenne, plus... Hartz XII désormais pour tous. Elle mettra - me semble-t-il - cinq à dix ans à se généraliser un peu partout à travers l’Euroland sciemment dépourvu de toute pratique démocratique (même timide), avec néanmoins, certaines “faveurs”, éventuellement accordées aux citoyens et aux travailleurs-chômeurs dans certains pays, jadis métropolitains de la vieille C.E.E. à six.
Nous voyons loin, bien loin depuis notre mer Égée, mais pas encore très nettement. Une amie et commentatrice de ce blog (et d’Okeanews également), avait remarqué récemment combien elle l’insupporte désormais cette phrase si souvent entendue en Grèce en ce moment: “Ti na kanoume...” (“Alors que faire... (...) il y a juste une phrase que je ne supporte plus entendre, "ti na kanoume ?", j'aimerais tellement à la place un gros yes, we can !” (Commentaire sur “Mystères et Martyres”), et elle a raison.
Athènes 25/02 |
Et à l’instant presque où Maria Damanaki, membre de la Commission Européenne, laisse entendre à destination de la presse (et à destination de nous tous) combien “la Commission considère que la question du salaire de base demeure ouverte, contrairement à ce que déclarent les ministres du gouvernement Samaras” (Elefterotypia, 25/02), certains agents du fisc intègrent le mouvement “Je ne paie plus”, à Athènes et dans l’agglomération. Selon le reportage du même quotidien, hier dimanche (24/02), “ tous ces îlots de la résistance depuis les quartiers d’Attique, se sont retrouvés en assemblée plénière dans l’amphithéâtre du syndicat des électriciens, afin de coordonner leurs prochaines actions. Leur volonté: imposer un défaut de paiement interne et massif envers l’État et ceci dès mars prochain. Plus de cent mille affiches seront imprimées par exemple. “Nous traversons une période où désormais toutes nos illusions ont été pulvérisées. Nous sommes des travailleurs au même titre que les autres, et nous subissons le même sort que les autres citoyens de ce pays, - explique Yannis Toundas, agent des impôts - nous aussi, nous n’arrivons pas à payer nos impôts” (Elefterotypia, 24/02).
Au même moment, le “gouvernement” prétend s’attaquer à ses propres agents... fraudeurs et corrompus, il vise d’ailleurs en premier les agents du fisc, c’est sans doute... un hasard. Ces corrompus existent évidement, sauf qu’ils ne sont pas à l’origine de la “crise”, comme veut nous faire croire la propagande du temps exécrable et de la (si) pluvieuse... suspicion.
Mercredi prochain (27/02), les manifestants de la ville d’Ierapetra en Crète traverseront la mer jusqu’à Athènes, afin de protester contre l’abandon de leur région par les services de l’État, hôpitaux, écoles, université. Ils distribueront à cette occasion vingt tonnes de légumes aux athéniens, “La solidarité peut être aussi protestation”, remarque à ce propos le quotidien Elefterotypia ce lundi, c’est possible... et ce n’est pas tout.
Printemps - 02/2013 |
* Photo de couverture: Printemps. Février 2013