Greek Crisis

mercredi 27 février 2013

Poubelle locale




Loin d’Athènes, certains visages humains de la crise grecque peuvent se montrer encore alertes et souriants. Au moins, telles sont les apparences les mieux cultivées en certains lieux et dates. Hier soir (26/02) par exemple, c’était le petit... grand monde qui assistait au conseil municipal de la Ville de Trikala (Thessalie - au centre du pays entre Athènes et Thessalonique), qui avait le sourire plutôt facile. En séance plénière, les élus locaux, plus brillants que jamais on dirait, s’apprêtèrent durant un long moment à débattre et à délibérer en présence du public alors fort nombreux. Le conseil faisait salle comble. Quant à l’ambiance de la soirée, elle était électrique, en d’autres termes, suffisamment animée par ce vieux courant des clientélismes et des liens... patents et transparents, tous deux, grands intégrateurs de la... démocratie locale. Les sourires, les échanges, les regards ou les gestes, tout transpirait la “démocratie de proximité”, autrement-dit... le royaume du lien.

Region de Trikala 26/02

Quelques instants précédant l’ouverture de la séance, un élu du district de Kipaki s’adressant aux nombreux Roms présents, a tenté de les rassurer et de se rassurer lui-même... sur la meilleure gestion possible des faits et surtout des gestes: “Eh les gars, pas d’insultes, pas de cris ici, en plus, il y a des enfants dans la salle qui assistent au conseil, nos enfants, les enfants de l’école primaire de Kipaki. Vous allez exprimer votre mécontentement lorsque je vous le dirai, je vous donnerai le signal, si besoin. Restez calmes alors et suivez bien les débats”. Un chef Rom prit la parole juste après l’élu, pour en rajouter: “Vous avez compris alors, pas une seule insulte aujourd’hui ici...”, tandis que les parents (non-Roms), encouragèrent leurs enfants à exhiber... correctement les petites pancartes auto-fabriquées qu’ils tenaient si fièrement: “Non à la pollution automobile à Kipaki”.

Parmi les élus, Mihalis Tamilos a incontestablement volé la vedette, maire sortant (2009), conseiller municipal et surtout, nouveau député... Nouvelle démocratie depuis juin dernier (2012). C’est ainsi que les figures locales finissent par faire leur entrée triomphante au théâtre nationale des ombres, le “Parlement”, Place de la Constitution à Athènes. De nombreux habitants étaient présents, car motivés par l’examen de “leur affaire”, à l’image de ceux de Kipaki, très remontés et pour cause: la nouvelle rocade périphérique en voie d’achèvement... depuis cinq ans, risque de passer près de l’école primaire, coupant en deux le district et isolant par la même occasion le campement Roma, de la ville et de l’école. Les habitants aussi de la bourgade de Kefalovrysso (administrativement absorbée par la ville comme tant d’autres depuis la réforme de 2009) ont fait le déplacement, car ils viennent d’apprendre que le projet d’installation d’une usine à proximité de leur localité est réactivé. De surcroît, désormais rattaché à la nouvelle loi-cadre issue du mémorandum III régissant les “investissements Fast-Track”.

Emplacement destiné initialement à l'installation de l'usine. Kefalovrysso, le 26 février

Il y avait donc urgence, d’autant plus, que ce projet a été jugé déjà indésirable par l’Assemblée populaire de Kefalovrysso en mai 2012. Il faut dire que comme maintenant, et comme en mai, les habitants ont été informés en dernier, car les élus locaux depuis la reforme de 2010 (regroupement des communes), sont de... moins en moins locaux, puisqu’ils agissent parfois dans la plus grande discrétion, imposant aux populations, des décisions sans aucune consultation préalable. Comme je l'écrivais en commentaire sur un billet précédent de ce blog, et y compris au niveau local, le processus décisionnel devient de plus en plus... catastrophique et "lointain". C’est ainsi que le maire (PASOK) de la ville de Trikala, avait déjà menacé ouvertement les habitants de Kefalovrysso, village de 1300 habitants, de représailles économiques implicites, depuis que ces derniers, s'opposent au projet de l'usine "biogaz" (en recyclant des déchets organiques et végétaux), pour la construction de laquelle, le maire et le Président de Région (Nouvelle Démocratie) avaient déjà paraphée tous les contrats et accords possibles et... inimaginables, sans en informer les habitants bien entendu.

En mai dernier, les habitants se sont réunis en assemblées populaires, et ensuite, ils s’étaient présentés devant le maire pour s'exprimer. Eh bien, le maire avait tout simplement expliqué et avec que “toute autre représentativité (que la sienne) comme les assemblées populaires sont illégitimes et illégales”. Je précise que la reforme imposée suite au Mémorandum I, avait obligé à l'unification forcée des communes. Ainsi, un département comme celui-ci (Trikala) et pour une population d'environ 130.000 habitants, “on a conservé” en tout, quatre hyper municipalités. Je note également qu'un projet analogue dans le Péloponnèse dans la région de Tripoli, rencontre la même opposition des habitants, également dépourvus de municipalités à la taille des communes et des localités. C'est aussi cela le Mémorandum...

Place Centrale (slogan anti-austérité). Trikala, le 27 février

Aux dires des habitants qui l’avaient rencontré, le maire de Trikala, Christos Lappas aurait exprimé l’idée suivant laquelle “les communautés locales sont finalement bien rétrogrades et conservatrices”. Ce qui est déjà certain, c’est que l’argumentaire politique ou... écologique des habitants trouve bien ses limites parfois: “Nous ne devons pas dire que nous sommes totalement opposés au projet, à cet investissement... Car à partir du moment où le Conseil municipal décidera son installation sur un autre terrain de la commune étendue de Trikala nous délivrant ainsi du fardeau, alors... nous pourrons en être satisfaits, nous ne voulons pas devenir la... poubelle locale du département...”, expliqua V., membre actif du collectif anti-usine.

Le maire a enfin ouvert la séance: “Je vous remercie d’être présents, ce soir il y a en plus des enfants parmi le public citoyen, ce qui nous touche profondément, ces enfants sont venus protester contre la pollution automobile me semble-t-il (...) Pour ce qui est de l’utilisation de la biomasse dans la production d’énergie, je me trouvais récemment à un colloque au Nord de la Grèce, dans la région d’Amyndeo, nous avons pu apprendre que ce type de procédé nous ferait gagner plus de 30% pour ce qui est du coût énergétique de notre ville et tel est le sens du projet que nous souhaitons faire réaliser par le promoteur et l’investisseur de cette usine. D’ailleurs, le financement sera européen et vous savez, en Europe des usines de ce type fonctionnent sans problème. Nous avons même pris connaissance d’un projet analogue, réalisé par une commune du Sud de l’Allemagne, on a même fait appel aux habitants, lesquels se sont organisées en collaboration-coopérative. Là aussi, c’était la Banque européenne d’investissement qui a cofinancé le projet (...) Chez nous, c’est à partir de la biomasse d’origine animale et végétale que nous comptons produire du biogaz, sauf que comme vous savez, le projet fut stoppé en juin dernier, suite aux réactions hostiles des habitants de Kefalovrysso, déjà assez nombreux dans cette salle ce soir. Je dois vous informer que récemment, j’ai reçu un coup de fil de la part du promoteur du projet. Il voulait prendre la mesure de l’état d’esprit qui règne chez les habitants, autrement-dit, la position de la communauté locale. Je pense alors lui proposer un autre lieu et terrain appartenant à la commune, en dehors des limites de la localité de Kefalovrysso”.

Trikala - commerces fermés - 27/02

Les membres du collectif anti-usine n’ont pas dissimulé leur inquiétude. “Mais c’était une décision prise à l’unanimité par l’Assemblée populaire, tout le village fut mobilisé, nous ne voulons pas que cette usine s’installe chez nous... Nous sommes là, ainsi mobilisés une nouvelle fois car nous avons appris que cette affaire revient en force, puisque l’investissement a été inscrit dans la récente loi-cadre (législation liée au Mémorandum III, dite “Investissements Fast Track”) Nous avons appris par la même occasion que nous ne pouvons réagir que jusqu’au 1er mars... C’est alors nous mettre devant le fait accompli...”.

Effectivement », répondit le maire, “c’est urgent, car le projet relève désormais de la nouvelle législation, et il va falloir répondre et s’y positionner rapidement”.Le député Tamilos a alors demandé la parole: “Je vous rappelle que les décisions des Assemblées populaires et de la dite communauté de Kefalovrysso, n’ont aucune valeur du point de vue juridique, contrairement aux décisions du Conseil municipal, et celles-ci même de manière exclusive”. Aussitôt, Costas Tassios, conseiller municipal communiste, a rétorqué: “Depuis la dernière Assemblée populaire rien n’a changé. Les habitants s’y opposent et c’est une forme de démocratie directe, donc le conseil municipal qui avait en quelque sorte avalisé à l’époque cette décision des habitants doit réitérer sa délibération de mai, et ceci dès ce soir. Il faut comprendre qu’agir autrement, c’est... laisser Kefalovryso se faire violer” (sic)

Trikala 26/02 - Service de la voirie

L’élu Pasok Thanassis Vavilis (frère de l’ex-députée Pasok du département, Soula Merenditi) est intervenu pour “fustiger ces gens (de la gauche) qui font alors fuir les investisseurs de chez nous”, finalement une séance extraordinaire du Conseil municipal, entièrement dédiée à la question, aura lieu dans quelques jours: “ Nous y inviterons aussi les investisseurs, pour qu’ils nous présentent leurs arguments”, a dit le maire, avant de passer à l’examen des sujets suivants, tant attendus:

C’est vrai que les gitans de Kipaki ne peuvent même plus se rendre chez eux, les nids-de-poule dans la chaussée à proximité de leur campement sont remplis d’eau depuis les pluies diluviennes de la semaine dernière. Sauf que la Municipalité ne peut pas remédier à tout, nous sommes en crise, nous n’avons même pas les moyens de remplir les réservoirs des camions à ordures en ce moment. Je rappelle qu’en espace de moins de deux ans, notre ville a déjà versé plus de 11,5 millions d’euros, rien qu’en intérêts liés à sa lourde dette. Par conséquent, certaines ampoules des lampadaires ainsi que les nid-de-poule attendront un peu...

Une élue de la majorité municipale (Pasok), répondant à une question a tenu à préciser “ qu’il n’y a pas de problème de chauffage dans les écoles de Trikala, les chaudières fonctionnent trois heures par jour, ce qui est suffisant... d’ailleurs de nombreux enfants trouvent qu’à l’école il fait bien meilleur que chez eux, car chez eux précisément il n’y a presque plus de chauffage”.Décidément, la crise est omniprésente à chaque débat. Mihalis Tamilos a fait remarquer “que l’argent européen destiné à financer l’aide à domicile pour les personnes âgées ou souffrantes n’ayant pas suffisamment de moyens, va s’arrêter (sic) fin mars (2013)”, tandis que les élus Syriza se sont exprimés “en faveur d’un vote, exigeant le maintien du programme”.

Transport de bois - Trikala 27/02

Les conseillers communistes ont alors exprimé leur souhait de poursuivre le programme mais “pas n’importe comment, car désormais, et après avoir licencié les employés temporaires qui s’occupe de mille foyers environ, temporaires depuis onze ans... le but de la manœuvre consiste à faire travailler les chômeurs, proches et parents des bénéficiaires, car il n’y a plus de foyer en Grèce sans chômeur, le tout dans une nuée “gestionnaire” et administrative (financement européen vers des ONG spécialisées, comme déjà à Athènes) Les employés doivent être au contraire embauchés (...)”.

Trikala 27/02 - odeur de café !

Finalement, seuls les habitants de Kipaki ont obtenu gain de cause. Le Conseil municipal a rejeté le plan de l’actuel tracé de la rocade, exigeant de la Région Thessalie une nouvelle étude de faisabilité. “Par contre, certains vieux arbres par contre sur la place centrale en face du pont historique seront coupés, ils avaient été plantés trop près les uns des autres à l’époque” a précisé le maire.

Trikala, ville paisible sous le mémorandum III, même une tentative d’évasion par hélicoptère depuis sa prison, a échoué la semaine dernière !

Région de Trikala 26/02 - Les Méteores

Trikala 27/02




* Photo de couverture: Conseil Municipal. Ville de Trikala, le 26 février