Après les éclaircies des derniers jours, la semaine s’achève sous la pluie. Dans nos appartements mal chauffés, nos vieux... se montrent de plus en plus pédagogues envers nos générations de la civilisation... chaude et trahie: “Patience, nous, nous avons déjà vécu tout cela...” Jeudi soir (14/02) place de la Constitution le parapluie était forcement de saison, les passants alors... décimés par l’orage, se précipitaient comme ils le pouvaient tout droit dans la bouche du métro. Imperméables à tout temps, les hommes des MAT (CRS) s’y trouvaient également, ils étaient certes postés de façon quelque peu inhabituelle, leur car était garé à l’opposé du “Parlement”. Le matin même (14/02), certains jeunes Syrizistes avaient symboliquement occupé le bureau tout proche du Secrétaire général au ministère du travail, Giorgos Mergos.
Place de la Constitution, le 14 février |
La cinétique du jour fut aussitôt saisie... et entière par les MAT. Intervenus au pied du bâtiment, ces policiers frappèrent violemment les intrus, un député Syriza a été conduit au dispensaire le plus proche. Rien d’extraordinaire dans un sens, si ce n’est que parmi les MAT, certains ont tenté d’empêcher leurs confrères, ce type de “schizophrénie” avérée sur le terrain de la répression policière est si rare qu’elle mérite d’être mentionnée. Mergos, c’était bien lui qui avait indirectement suggéré dans sa déclaration de la veille, la baisse du smic grec, 580 euros par mois pour l’instant et... encore... Les rares passants qui commentèrent cette énième sinistre prophétie, l’ont fait la tête bien baissée. Au bureau où travaille Matina et ses collègues, tout le monde fit semblant d’ignorer le prochain futur... encore plus impossible que jamais: “mais non, ce n’est pas possible, nos salaires ne seront pas ramenés à 300 euros par mois... dans pareil cas, mieux vaut rester chez soi et tenir compagnie à son conjoint déjà au chômage, que se rendre au travail”. Pas si sûr. En tout cas, Giorgos Mergos bénéficie d’un salaire annuel de plusieurs dizaines de milliers d’euros (selon notre hebdomadaire politique et satyrique, To Pontiki 14/02), il ne serait pas trop concerné par la géométrie variable de l’histoire, la nôtre et dans ses ultimes ajustements.
Tout le monde comprend ce qui a à comprendre désormais: “Les occupants de notre pays n'ont pas besoin de quoi que ce soit et qui serait nôtre. Ni la santé ni l'éducation, ni la recherche, ni même les forces de sécurité et l’armée, ou quoi que ce soit. Ils apporteront les leurs, transformant "Griechenland-Thalassinat" en paradis pour les riches retraités d'Europe du Nord. Ils exploiteront à leur manière tout avantage comparatif du pays, son histoire, ses monuments, sa culture, sa nature, ses produits agricoles et de l'élevage, son parc immobilier, la richesse minérale. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Hans-Dietrich Genscher a choisi à la fin de sa carrière politique, de résider de manière quasi-permanente dans la très belle île de Skiathos.
Dans ce programme, nous Grecs, nous n’aurons pas tous notre place. Nous sommes trop nombreux. Notre crash démographique serait alors un cauchemar, d’où le risque même d'extinction. Nos occupants, dispersent déjà nos jeunes, les obligeant d’émigrer à l’étranger. Des générations entières de Grecs seront perdues. En réalité, ces générations n’existeront pas, parce qu’elles ne seront pas nées. Si tout cela n'éveille pas les Grecs, il n'y aura pas d'avenir. Si tout cela ne suffit pas pour nous unir dans une lutte patriotique inébranlable pour le salut du pays, alors il y n’aura plus d'espoir. Aucune résistance dans l'histoire ne s'est développée sans un leadership politique et surtout, sans ce leadership capable d’inspirer et d’unir les peuples.” (“Nous sommes des étrangers chez nous”, Dimitris Christou, quotidien Avgi. Syriza, le 13 février ).
Athènes, janvier 2013 |
Les masques tombent. Toute la Grèce se raconte désormais ce même mythe des... nouvelles origines (et horizon). Des sympathisants de l’Aube dorée, à certains jeunes issus du mouvement anarchiste, et en passant par les camarades du KKE (PC grec), ce niveau d’analyse ne diffère plus tellement. Certainement, et sur tout le reste, c’est l’abysse. D’ailleurs, le comportement parlementaire de l’Aube dorée ne brille pas toujours par son... exemplarité anti-mémorandum, mais ceci relève d’une autre analyse. Chez les Syrizistes de toute manière, l’analyse se radicalise. Quant aux actes... c’est encore autre chose. Nous sommes par exemple assez nombreux à ne pas comprendre comment Alexis Tsipras nous débarrasserait du mémorandum tout en restant européiste... de gauche. Surtout si l’on ne bouge pas, nous autres. Ceci-dit, nous ignorons pratiquement tout du contenu exact des pourparlers (et) “dans une ambiance très chaleureuse” (selon la “Une” du quotidien Elefterotypia - 14/02), entre Alexis Tsipras et Éric Rubin, assistant au Département d’Etat Américain , lequel est en visite officielle en Grèce.
Le pays-territoire, ses visiteurs, ses habitants et leurs pensées, tout se mélange en ce moment. Comme la météo du jour, notre temps des idées est mitigé, voire mélangé. Un auditeur du soir (14/02) s’est immiscé par téléphone dans la grande émission quotidienne sur Real-FM, à priori consacrée au football. Il évoqua et dans l’ordre, “la musique pentatonique, l’harmonie de Pythagore, son rapport au chaos, l’arithmologie, l’agenda 21, notre extermination lente en cours, le totalitarisme de l’U.E., les 300 euros de salaire mensuel pour tous, et les derniers déboires de l’équipe de Panathénaïkos”, avant de conclure: “Désormais, nous avons une certaine idée de leurs plans”. Preuve que le pays, ou plus exactement sa société, baigne dans une culture de guerre, car pratiquement plus aucun “domaine réservé” comme le football, n’échappe à la sémantique de la crise, et encore moins, à son inévitable téléologie, fondée ou pas, peu importe.
Quotidien des Rédacteurs, du 14 février |
Depuis 2010, depuis... l’avènement Troïka, ce n’est plus le même match qui se joue ici, et nous avons déjà entamé les prolongations. Par contre, cela risque d’être encore trop long, qui plus est, sur un terrain qui n’est plus le nôtre. L’ensemble de la société grecque sent maintenant qu’on ne joue plus à domicile. Sauf Giorgos Mergos, les siens... et les politiciens.
Sauf encore, qu’il y a des limites à l’hybris. Mercredi soir, Evangelos Venizélos, chef du Pasok, s’adressant à un auditoire partisan a estimé que “le Pasok n’est pas la queue, mais le chat, car comme cet animal, le Pasok dispose de sept âmes, il est habile, intelligent, et il sait nous sauver des reptiles politiques” (To Pontiki, 14/02). C’en est trop de l’usurpation de tout... et des nos chats, aurait-on dit à propos de cet ultime zoomorphisme Pasokien, mais en Grèce en ce moment ça ne rigole plus et avec rien.
Chiffres du jour: chômage 27%, chômage des jeunes 61%, baisse de -6% du PIB durant le troisième trimestre de 2012 (comparé à 2011) selon le quotidien Elefterotypia (du 14 février). Une jeune femme policière s’est jetée du pont de l’Isthme de Corinthe mettant fin à ses jours. Sale temps.
Athènes, février 2013 |
* Photo de couverture: Athènes, le 15 février 2013