Le mémorandum c’est le rigorisme... plus le fiasco. C'est dire combien... l'art de l’austérité ne s'improvise pas en communiquant, et en Grèce en ce moment, la “communication pédagogue” ne passe plus... suffisamment paraît-il. Le seuil létal de notre économie réelle est désormais atteint, et de nombreux sujets de notre baronnie s’interrogent même sur l’autre seuil létal... à atteindre, le leur tout simplement, car celui de la démocratie semble déjà dépassé depuis juin dernier (2012). Le régime méta-démocratique de la... Polynésie athénienne prend déjà la forme de cet hybride... caractérisé et caractéristique de la grande “gouvernance impériale” préparatoire dans sa variante néo-locale, autrement-dit, à l’échelle (visiblement arbitraire) de l’U.E. Mais au moins, notre pays devenu territoire, entre enfin dans l’ère de la politique hors-fiction. La Troïka nous a promis de “l’observation participante” jusqu’à la mort (la nôtre), et elle l’a fait. C’est à partir de là, que tout peut sérieusement commencer, ou peut-être bien, finir.
Place de la Constitution, le 8 février |
La semaine dernière, en plein cœur d’Athènes, c’était derrière un graffiti “monolectique”: “fiasco”, que je rencontrais ce mendiant handicapé, l'un des survivants provisoires avec qui j'ai échangé quelques mots suspendus sous le regard et l’aporie des autres passants. Il n’est pas le seul à penser que notre époque est bien close, sauf que sa clôture à lui est déjà définitive, nous autres je crois, nous nous épuisons encore dans nos derniers anachronismes, d’où cette si grande gêne, provoquée chez les passants. Le fiasco, n’est pas un régime politique si facile à vivre finalement, à plus forte raison que ce dernier ne concerne pas que nous, sauf que les autres ne se sont pas encore extirpés (et de force), de la politique-fiction. Consolons-nous au moins, car nous finirons nos jours moins idiots que ceux qui parmi nous, nous ont quittés avant 2010, c'est-à-dire avant-guerre.
Samedi matin (09/02), j’ai apporté un pantalon chez le couturier-réparateur du quartier. Je pensais que monsieur Manolis était peut-être un de ces professionnels moins touchés par la crise. Je me trompais. En quelques mois, j’ai découvert un homme transformé: “Vous rigolez ? Les gens ne m’apportent que ces petites bricoles à réparer, comme vous aujourd’hui. Ils ne s’achètent plus du neuf, vous savez de ce prêt-à-porter qu’il n’est jamais prêt. J’ai 63 ans et je travaille depuis plus de quarante ans. Ma famille avait émigré à Paris en 1972, elle avait été chassée par les Colonels. Nous étions persécutés. En France, j’ai énormément travaillé dans la couture, la vraie. De retour en Grèce en 1981, j’ai cru au Pasok et à la prospérité. De nombreuses années étaient bonnes certes, mais là... tout est brisé. J’en veux à tous ces politiciens, Pasok et Nouvelle démocratie surtout. Je rencontrerais un d’eux par hasard dans la rue... je ne sais pas ce que j'aurais fait, je l’aurais mordu... étranglé... Vraiment. C’est ainsi que je pense repartir en France, y travailler, reprendre mon vrai métier. Est-ce encore possible ? Ici, même les retraites n’existeront plus bientôt. Maintenant j’ai compris. Eh... votre retouche sera prête lundi avant midi”.
Chez le couturier-réparateur du quartier, le 9 février |
"Ce samedi était pourtant si ensoleillé", le 9 février |
Ce samedi était pourtant si ensoleillé, car sur nos places, les habitués buvaient leurs cafés dehors. Non, le pays n’est pas encore entré entier en léthargie certes, sauf que certaines apparences peuvent s’avérer trompeuses. “La taxe A, plus la taxe B, plus l’avance exigée sur la taxe C, et voilà comment ma retraite de mille euros ne suffira plus très longtemps”, entend-on dire, depuis une table sur une terrasse de café. C’est en photographiant la banderole du comité de quartier devant l’école, et qui annonce la braderie - “bazar d’échange” et la cuisine collective du dimanche, que je rencontrai Dimitri, l’ancien voisin dentiste. Ce comité est un rassemblement ouvert des habitants, désireux - d’après eux-mêmes (rencontrés le lendemain) - “d’agir par et pour eux-mêmes, dans un but de solidarité anticapitaliste, à ne pas confondre surtout, avec la philanthropie des multinationales, de l’Église et des ONG qui sont des structures sous contrôle et qui ne remettent pas en cause le système dominant et encore moins ses folies. Nous luttons déjà contre l’idée que d’autres feront notre avenir à notre place et contre les fascistes du quartier... Nous pensons que le temps, le nôtre, je vais dire celui de la réaction des gens est trop lent. Ils ne savent pas agir par eux-mêmes...”
"Ce comité est un rassemblement ouvert des habitants", le 10 février |
Dimitri, lui en tout cas, n’est pas dans... l’autogestion facile: “Ah tu sais, un courrier est arrivé pour toi. Je l’ai récupéré à l’entrée de l’immeuble, il aurait même pu être volé. Sur l’enveloppe, il n'y a pas de nom d’expéditeur, évidemment, je ne l’ai pas ouvert... ”. Depuis quatre mois, Dimitri aussi m’a semblé bien transformé. L’histoire chez nous est si dense, qu’après avoir assisté au départ de Dimitri et de sa famille... sous l’Attaque des clones en octobre, je le retrouve après le... Retour du Jedi en février. Aux dernières nouvelles, il devait prendre le chemin de l’exil pour désormais pratiquer en intermittence au moins, à Londres ou à la Haye. Il n’en dit plus un mot à présent: “Eh... merci, c’est sans doute une facture... sans gravité... nous... Je passerai te voir à l’occasion, là tu vois... Alors à plus... ” Son regard dans le vide, il n’était pas prêt psychologiquement à échanger. L’étoile de la mort, n’est plus une planète si lointaine je dirais, c’est presque chez nous.
Le quotidien Elefterotypia de ce Samedi 9 février, fait sa “Une” sur les conséquences quasi-immédiates, de la fermeture en septembre 2011 de la seule unité spécialisée en chirurgie cardiaque pédiatrique, réalisée jusqu’à cette date au sein d’un hôpital public de la capitale. “Les enfants sont depuis transférés vers Onasio, un hôpital privé spécialisé en chirurgie cardiaque générale (...) Il n’est guère possible de traiter tous les cas (...) ce qui d’ailleurs devient impossible lorsque les patients ne bénéficient d’aucune couverture Santé” (ce qui est le cas de pratiquement un tiers de la population en Grèce, tandis que 35% des employés du secteur privé travaillent sans Assurance maladie - quotidien Kathimerini du 9 février). C’est ainsi que selon ce reportage du journal (Elefterotypia ), au moins deux jeunes enfants pour lesquels “il n’a pas été techniquement possible de trouver une solution à temps, sont décédés ces derniers mois (...)”. Et ce type de fiasco dominant, laisse peu de place à la dérision...
En faillite - “L’équipement est à vendre à bas prix” - Athènes, le 8 février |
L’autre fiasco de la semaine, c’était d'abord à Athènes, s’agissant des intimidations des Aubedoriens, contre un dispensaire de Médecins du Monde, puis dans le Péloponnèse, à l'hôpital de Tripoli, où des membres de l’Aube dorée, ont pénétré dans le bâtiment, afin de procéder à des “contrôles de vérification” quant à l’emploi des infirmières étrangères exclusives, engagées par les familles des malades. La directrice de l’hôpital de Tripoli, Eleni Siourouni, qui a ténu une conférence de presse commune avec les membres de l’Aube dorée, a déclarée sur “ArcadiaPortal.gr” que “ le but commun (avec l’Aube dorée) consiste à confronter le problème du travail illégal à l’hôpital, puisque d’après elle, la loi ne lui autorise pas ce type de contrôle (...)”. Eleni Sourouni a été révoquée de son poste samedi, (reportage sur le site de l’hebdomadaire politique et satyrique To Pontiki , du 10 février).
Le processus est en route. Les cadres du parti d’Antonis Samaras savent que le glissement vers l’Aube dorée, les concerne en premier lieu. La méta-démocratie, d’abord la leur, est aussi un régime... ouvert à la mutation car justement hors cadre, comme pour l’essentiel du corps social d’ailleurs. Lorsqu’on survie, il n’y a plus d’idée tabou... la barrière anatomique du fait politique en Grèce est désormais ouverte (terrorisme ou “terrorisme” compris). D’où certainement cette précipitation de Samaras, dans la création déjà annoncé et “attendue”, du “grand parti Européen”, c'est-à-dire celui de la soumission mémorandaire, réunissant les meilleures marionnettes du système politique grec des trente dernières années (issues des rangs de la Nouvelle démocratie, du micro-Pasok, et récemment de la “Gauche” démocratique). Le malheur de ces piètres politiciens hétéronomes et pour tout dire anomiques, est que la soumission mémorandaire, exceptée la mise à mort physique et symbolique qu’elle impose à la société, l’obligeant à réinventer (ou sinon de disparaître), a fait de l’indignité et de l’humiliation (en plus de la terreur), la pierre angulaire dans l'art de la “gérer” du pays.
Ierapetra, le 8 février - Source: enikos.gr |
C'est ainsi que les déclarations et les “réussites” d’Antonis Samaras depuis les (bas) sommets de Bruxelles, n’arrivent plus à convaincre grand monde. J’observe autour de moi, qu’un tiers de la population suit le Samaritisme sans grand enthousiasme, un autre tiers décroche pour le moment, tandis que le dernier tiers (politiquement hétéroclite certes) veut “en découdre” et si possible rapidement. C’est d’ailleurs ce tiers de la population de la ville crétoise d’Ierapetra qui a manifesté avant-hier (08/02). Plus de 7.000 personnes, la plus grande manifestation du genre selon la presse locale , habitants alors indignés et révoltés contre la politique du mémorandum: fermeture de la faculté de la ville, ainsi que de son hôpital. Nos fractures sont si évidentes et pour tout le monde.
D'après ce que j'entends, une partie désormais non négligeable de la population s’est complètement détournée des médias mainstream, ces qui appartiennent aux armateurs et aux autres entrepreneurs polyglottes dans l’anomie constituante des structures langagières du nepotisme (voir l’affaire du journaliste Lefteris Xaralambopoulos au magazine Unfollow, qui a fait l’objet de menaces de mort, suite à la parution d’un article sur la contrebande du pétrole en Grèce, reportage sur Okeanews par exemple, accessible aux lecteurs francophones). On sait aussi que ce (dernier) tiers de la population adopte déjà un comportement électoral un politique différent, voire opposé, comparé à cette partie de la population qui s'est exprimée en faveur de la Troïka de l’intérieur (gouvernement tripartite de Samaras). Je me demande parfois s’il ne s’agit pas là, du dernier “tiers provisionnel” du gouvernement Samaras et de “sa” politique. D’où certainement la “faute avouée” par le FMI récemment.
Quotidien des Rédacteurs - 08/02 |
Selon une enquête dont les résultats ont été repris par la presse (quotidien des Rédacteurs - 08/02 ), “50% des Grecs, n’arrivent plus à payer les factures d’électricité, les impôts (...) tandis qu’un tiers de ceux qui travaillent encore, gagnent désormais moins de 10.000 euros en salaire annuel net”, et avec pratiquement 30% de chômage officiel ! Heureusement au moins que l’hiver n’est pas très long chez nous.
Sous le soleil des derniers jours, la Place de la Constitution donnait l’image de la normalité apparente, celle des vendeurs ambulants, des passants et des sans-abris... qui ne passent plus, sauf à travers notre regard désormais habitué. Fait relativement récent et remarqué, les services de la municipalité ont “surligné” d'un “feutre géant”, les parties cassées ou brisées des marbres de la Place, suite aux manifestations et aux autres “dégradations néfastes du climat politique”, aux dires d’un employé au service de voirie de la Mairie d’Athènes rencontré sur les lieux la semaine dernière.
Finalement, le mémorandum, c’est aussi le “feutre” de la mairie, plus... le Photoshop de la police (sur les photos des détenus violentés). Décidément, la “crise” nous impose aussi, tout son graphisme.
"Démocratie" - To Pontiki, le 7 février |
* Photo de couverture: "Fiasco" - Athènes, Février 2013